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Billet de blog 25 janvier 2014

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MÊME UN ÉCONOMISTE PEUT LE COMPRENDRE

Par Frédéric Lutaud membre du Bureau national du Parti socialisteSelon une étude du ministère du Travail[1] publiée en Janvier 2013, les dépenses en faveur de l'emploi et le marché du travail se sont élevées à 90,8 Md€ en en 2010, soit 4,7 points de PIB. Nous atteindrons bientôt une politique de l’emploi qui nous coutera le double du remboursement des intérêts de la dette sans pour autant apporter de solution durable à la crise de l’emploi.

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Par Frédéric Lutaud membre du Bureau national du Parti socialiste

Selon une étude du ministère du Travail[1] publiée en Janvier 2013, les dépenses en faveur de l'emploi et le marché du travail se sont élevées à 90,8 Md€ en en 2010, soit 4,7 points de PIB. Nous atteindrons bientôt une politique de l’emploi qui nous coutera le double du remboursement des intérêts de la dette sans pour autant apporter de solution durable à la crise de l’emploi.

Comment se répartie cette somme considérable selon la DARE ? :

1) D’abord, 50,1 Md€  son consacrées à des « dépenses ciblées » en faveur du marché du travail, soit 2,6 points de PIB. Plus de la moitié (56 %) sont constituées d’indemnisation au titre du chômage, suivi par les aides à l’emploi — principalement les contrats aidés — (18 %), la formation professionnelle des demandeurs d’emploi (15 %) et les moyens consacrés au service public de l’emploi (12 %).

2) Suivent les « dépenses générales » en faveur de l’emploi et du marché du travail. Elles s’élèvent à 40,7 Md€ en 2010, soit 2,1 points de PIB. 22 Md€ au titre des allégements généraux de cotisations sociales ciblés sur les bas salaires et 4,6 Md€ en faveur des heures supplémentaires depuis supprimées par le gouvernement de François Hollande. Mais le montant des dépenses générales a diminué de 3,4 % en euros constants par rapport à 2009. S’y ajoutent essentiellement les dépenses au titre des incitations financières à l’emploi (prime pour l’emploi et RSA « activité ») et des mesures en faveur de l’emploi dans certains secteurs d’activité ou dans certaines zones géographiques. Le montant des dépenses générales a diminué de 3,4 % en euros constants par rapport à 2009 ; il reste ainsi nettement inférieur à celui des dépenses ciblées.

3) Pour finir nous trouvons, parmi les politiques en faveur de l’emploi et du marché du travail, certaines dépenses sociales (minima sociaux dont le RSA « socle » principalement) représentent en sus 14 Md€ en 2010.

Nous pouvons désespérer de certaines politiques de l’emploi mais comment ne pas voir que les dépenses d’indemnisation au titre du chômage constituent le post budgétaire le plus important,  soit 28 Md€. Voire 30 Md€ actuellement ? Tandis que l’activité économique n’est pas au rendez-vous, que les gains de productivité sont en moyenne de 2,5 % par an, nous laissons nos entreprises se départir de leurs compétences. « Former un employé est une proposition très coûteuse et prend du temps », explique Charles Fogarty, directeur du Département du Travail et de la Formation de Rhode Island.  « Si vous pouvez minimiser cela et garder cette main-d'œuvre qualifiée que vous avez déjà, il vous met dans une position beaucoup plus compétitif économiquement[2] ».

Pourtant les licenciements s’accumulent sans que ne se mette en place une politique de l’emploi qui relève du bon sens tant du point de vue économique que de la dignité sociale : je veux parler ici du chômage partiel, autrement dit une manière éprouvée de partager le travail.

Comme le dit Dean Baker, codirecteur du Centre de Recherche d’Economie Politique de Washington : « Le principe est tellement simple que même un économiste peut le comprendre. Au lieu de payer les gens à ne rien faire — sous la forme d’indemnités de chômage —, on leur permet de conserver leur poste en travaillant moins[3] ». Aux Etats-Unis, vingt-trois Etats ont déjà mis en place un système de partage du travail qui réduit jusqu’à 40 % les heures de certain employés. Le Gouvernement rembourse 70 % du salaire maquant. Des projets de loi ont été déposés à la Chambre des représentants et au Sénat pour renforcer ces programmes et inciter les autres Etats à s’en inspirer. Selon le chef Economiste de Moody's Analytics : « Chaque dollar dépensé en partage du travail peut générer 1,64 $ de croissance économique[4] ».

De son côté l’Allemagne a mis en place un dispositif appelé kurzarbeit, littéralement « travail court ». Autrement dit réduire le temps de travail en moyenne de 35 % dans les entreprises menacées par la crise. Lorsque la réduction de l’activité conduit au moins un tiers des effectifs à subir une perte de salaire brut de plus de 10 %, l’Agence pour l’emploi prend le relai et verse 67 % de la perte de salaire net. En mai 2009, le gouvernement a porté la durée maximale du Kurzarbeit à 24 mois et la part patronale des cotisations sociales est désormais prise en charge à partir du septième mois. Le salaire net moyen en Allemagne en sort renforcé et la consommation des ménages allemands se porte plutôt bien. En 2008, alors que la crise était plus profonde outre-Rhin qu’en France[5], l’Allemagne a perdu 200 000 emplois quand nous en perdions plus d’un million. Au final, le taux de chômage y remonte deux fois moins qu’en France.

Franz Segbers, spécialiste d’éthique sociale, s’en explique : « Tant que cette société se définit comme une société du travail, qui lie la participation sociale et le revenu du travail, chacun doit avoir accès à un emploi lui permettant de vivre. Ce ne sera possible que si nous reprenons le débat sur la réduction du temps de travail. En fait, la classe politique l’a déjà compris. Elle a déjà modifié deux fois les règles du chômage technique pour éviter des pertes d’emplois. Actuellement, nous avons de facto en Allemagne une semaine de travail de 30 heures.[6] ».

Alors, qu’attend la France pour généraliser un dispositif permettant de maintenir les salariés dans l’entreprise et de conserver leur salaire ? Cela couterait moins cher à la société que de payer des indemnisations chômage à des chercheurs d’emplois qui pour la plupart n’en retrouverons pas. « La première ligne de défense durant une récession devrait consister à accroître le partage du travail plutôt qu'à simplement prolonger les prestations de chômage[7] ». Cela jouera aussi sur les autres postes budgétaires (aides à l’emploi, formation professionnelle des demandeurs d’emploi, moyens consacrés au service public de l’emploi). En maintenant les salariés dans l’entreprise et en soutenant les salaires, l’Etat continuerait aussi à percevoir les cotisations pour les caisses de maladie et de retraite. Cela représente des sommes considérables nécessaires à l’équilibre de nos comptes publics. C’est assez simple à comprendre.

Fort de ce constat, pourquoi ne pas aller plus loin en généralisant le dispositif à l’échelle de la société toute entière ? Le diminution de la durée légale du temps de travail s’impose à nous comme une évidence. L’usage abusif des temps partiels, des contrats courts et des CDD de toutes sortes en témoignent. « Sur les 20 millions de contrats signés chaque année, 80% sont des contrats de moins d'un mois, estime Eric Heyer, économiste à l'OFCE. En 2000, c'était 35 %. Il y a une progression continue du nombre de contrats courts, qui correspond à une hausse de la précarité ».  Le CDI a temps plein représente encore les trois quarts de l’emploi de l’emploi, mais il ne progresse plus. L’intégralité de le progression de l’emploi est du essentiellement à des formes d’emplois non standard.

Le temps partiel a doublé depuis les années 1970. C’est donc qu’il correspond à une réalité économique. Effectivement, une enquête de l’université de Manheim a démontré que la productivité horaire d’un travailleur à mi-temps est, en moyenne, 33 % plus élevé à celui d’un travailleur à temps plein.  L’employeur ne doit pas rester le seul à profiter de ces gains de productivité.

Alors que 9 millions de personnes sont à la recherche d’un emploi stable, il devient indécent de ne pas répartir équitablement la charge de travail qui occasionne du stress chez quatre salariés sur dix. Le Bureau International du Travail estime que le coût économique annuel du stress au travail représenterait entre 3 % et 6 % du PIB des pays industrialisés. Il est temps de légiférer et de passer à la semaine de 4 jours, nos responsables politiques devraient le comprendre. 


[1] Les dépenses en faveur de l’emploi et du marché du travail en 2010, DARE, Janvier 2013.

[2] « Le programme américain de partage du travail aide les employeurs à éviter les licenciements », Lorraine Woellert, Bloomberg Bisunessweek, 2013.

[3] Dean Baker, Courier International, 2010.

[4] « Le programme américain de partage du travail aide les employeurs à éviter les licenciements », Lorraine Woellert, Bloomberg Bisunessweek, 2013.

[5] L’Allemagne a connu en 2008 une chute de 5 % de la croissance de son PIB contre 2,3 % pour la France.

[6] Franz Segbers, Courier International, 2010.

[7] The Human Disaster of Unemployment, Dean Baker et Kevin Hasset, The New York Times, Mai 2012.

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