Par Frédéric Lutaud, membre du Bureau national du Parti socialiste
En 2012, deux chiffres doivent retenir notre attention.
Le premier c’est la réduction de 14 milliards du déficit commercial hors énergie de la France. Le second, c’est 200 sites de production fermés l’an dernier sur le territoire Français.
On constate un déficit commercial hors énergie qui recule quasiment de moitié en passant de 29 à 15 milliards d'euros. « Ces chiffres, en nette amélioration pour la première fois depuis 2009, s'expliquent par une croissance des exportations françaises (+3,2 %) couplée à une stabilité de nos importations (+1,3 %) », constate le ministère du Commerce extérieure. Les exportations ont toutefois marqué le pas (+3,2% après +8,4% en 2011), ce qui ne fait que souligner la performance.
Parallèlement, « l'économie française s'installe dans une tendance dépressive » déclare l'Observatoire de l'emploi et de l'investissement Trendeo[1] dans son étude sur l'année 2012. Sur un an, le rythme de fermeture d’usines s'est accéléré, bondissant de 42 %.
Le contraste est criant : d’un côté un secteur productif compétitif qui redresse son déficit de moitié (peut-être excédentaire l’année prochaine si la tendance se poursuit ?). De l’autre, un nombre de sites industriels en chute libre diminuant presque d’autant. Malgré un léger recul de nos parts de marché dans la zone Euro (59 % contre 61 % en 2011), « en 2012, les entreprises françaises ont su aller chercher sur des marchés plus lointains la croissance qui a fait défaut sur leur marché de proximité », reconnait le ministère. Par exemple, le marché asiatique a connu sa plus forte croissance pour la France avec une progression de 13 % qui témoigne de la compétitivité de nos entreprises.
Notre premier secteur excédentaire est celui de l'aéronautique avec un record de 20 milliards d'euros, suivi des produits agroalimentaires (+11,5 milliards). De même, l'excédent pharmaceutique s'améliore pour atteindre +3 milliards d'euros.
Comment cela se traduit-il sur le terrain de l’emploi pour ces trois secteurs ? L’aéronautique avec 1 828 créations de postes l'an dernier confirme son dynamisme sur le marché du travail. Par contre l'industrie alimentaire connait pour la première fois une perte nette de 885 emplois. La pharmacie subit sa quatrième année de pertes d'emplois consécutive avec une perte net de 2 198 emplois. L'industrie manufacturière dans son ensemble, qui affichait pourtant des signes d'amélioration en 2011, s'est fortement dégradée l'an dernier avec 23 897 postes supprimés. L'automobile tire le secteur vers le bas avec 12 470 suppressions d'emplois sur la même période.
Quant aux activités de service, si elles ne sont pas dans le rouge, elles se dégradent fortement. « Pour le secteur du commerce, le solde net des emplois créés a été divisé par presque trois de 2010 à 2012, signe que les secteurs du tertiaire ne peuvent indéfiniment relayer une industrie qui est à la peine », avertit Trendeo.
Il y a bien des gisements d’emplois déclarés : les secteurs liés aux énergies durables. Depuis 2009, ce secteur a créé près de 24.000 emplois, soit plus de la moitié des postes détruits par la filière automobile sur la même période. L'éolien est leader avec 7531 créations de postes en 2012. La méthanisation — transformation en gaz inflammable des déchets organiques — connaît une véritable montée en puissance avec 1012 postes créés en 2012. Le solaire semble s'affaiblir avec 174 créations de postes alors que 2 463 emplois avaient été créés en 2009. Les biocarburants sont pour leur part devenus destructeurs d'emplois en 2012.
Pour Trendeo, les secteurs liés aux énergies durables devraient encore être porteurs en 2013 mais cela restera très difficile pour les autres branches d'activités. Pourtant la facture énergétique de la France s'est alourdie de 7 milliards d'euros l'an dernier, la facture globale s'élevant à 69 milliards. C’est là, toutefois, que la création d’emplois se poursuit contrairement aux autres secteurs productifs qui se redressent mais où l’emploi est détruit. Autrement dit nous créons de l’emploi là où la balance commerciale se creuse et nous en détruisons dans les secteurs compétitifs. Etrange paradoxe ou simple logique économique ?
Pour y voir plus clair, faisons un calcul simple : retirons des emplois détruits dans l’industrie manufacturière, le secteur sinistré qu’est automobile, il nous reste 11 427 suppressions de poste. Ce ne sont pas les 1 828 créations de postes de l’industrie Aéronautique qui peuvent inverser la tendance. Les marges de progression sont faibles avec un bilan record de 20 milliards d’excédents. Le bilan de l’activité industrielle a donc des raisons d’inquiéter. En trois ans, la France a perdu 1087 usines : « Ce délitement du tissu industriel s'opère à bas bruit : au-delà des sinistres les plus spectaculaires, la taille moyenne des sites fermés est de 71 salariés. La taille moyenne des sites créés est de 65 salariés ». Depuis 2009, ce sont 121 946 postes qui ont disparu dans le secteur industriel sans constater de compensation par d’autres secteurs de l’économie, le commerce proposant de moins en moins d’embauches. Les prévisions sont particulièrement sombres pour l’emploi. « Nombre de tâches intermédiaires vont disparaître, nombre d’emplois rémunérés vont disparaître du fait de la dimension collaborative de notre société et de nos entreprises. L’économie de la collaboration va faire peser une pression supplémentaire sur le marché de l’emploi », nous prévient les Echos[2].
De plus, en cherchant à résorber le décrochage qui donne une densité de 608 robots pour 10 000 employés, soit deux fois moins qu'en Italie (1 220), qu'en Allemagne (1 130) ou aux États-Unis (1 110), mais aussi 45 % de moins qu'en Espagne (884) et 21 % de moins qu'en Corée du Sud (738), nous supprimerons encore immanquablement de la main d’œuvre.
Sur la totalité des emplois détruits depuis 2009, seuls 3,5 % sont dues aux délocalisations nous dit Trendéo. Ce pourcentage s’élève à 8,5 % dans les industries manufacturières. 91,5 % des emplois détruits dans se domaine sont donc dus à la saturation des marchés, à un simple transfert d'emplois auparavant industriels vers les services, sans véritable changement de leur contenu et… aux gains de productivité[3].
Si l’on en croit l’aggravation de la courbe du chômage qui accompagne l’amélioration de la balance commerciale cette année, aucune inversion de tendance n’est à espérer.
Partout et pratiquement dans tout les domaines, le développement des moyens de production inhérent à la compétitivité détruit de l’emploi. Le volume d’heures travaillées ne fait que décroitre depuis un siècle.
Quelles perspectives pour l’emploi ? L'enseignement a les faveurs du gouvernement de François Hollande. Il est le seul secteur à connaître une nette amélioration avec 9 439 emplois créés en 2012. Un bilan qui pourrait encore s'améliorer alors que le ministre de l'Education nationale Vincent Peillon entend recruter près de 40.000 professeurs cette année. Nous ne pouvons que nous en féliciter, mais cela reste insuffisant pour éponger les 120 000 postes détruits dans l’industrie et totalement sous-proportionné quand il s’agit de résorber la crise de l’emploi qui touche près de 9 millions de personnes sur 32 millions d’actifs[4].
Le Cabinet du Recrutement du Développement durable recense 1 293 offres d’emplois dans les énergies renouvelables (+51%), 575 offres d’emplois dans l’efficacité énergétique (+125%), 90 offres d’emplois dans la Responsabilité Sociale et Environnementale (+6%), soit 1 958 offres d’emplois. Bien que nous puissions miser sur un fort potentiel lié la transition énergétique dans les années à venir, nous voyons que nous sommes très loin du volume d’emplois permettant de traiter le chômage de masse.
Alors comment résoudre la crise de l’emploi sans ajuster la durée légale du travail sur le volume d’heures travaillées ? La diminution du temps de travail n’a-t-elle pas permis de libérer du temps pour les travailleurs mais aussi de rééquilibrer le marché de l’emploi ? Schématiquement, on peut dire que la baisse de la durée du travail a permis la création de 10,5 millions d’emplois depuis le début du siècle dernier.
Si la compétitivité retrouvée de nos entreprises crée déjà moins d’emplois qu’elle n’en détruit, quel espoir peut-on placer dans la « réindustrialisation » de notre appareil de production ? Il devient urgent de réfléchir à une baisse significative du temps de travail, sans quoi nous encourageons l’inacceptable : l’exclusion d’une partie croissante de la population.
[1] « Les fermetures d’usines en France, de 2009 à 2012, et autres données », Trendéo.
[2] Le modèle "collaboratif" va détruire des emplois, Les Echos, 2012.
[3] Déjà, les gains de productivité enregistrés dans l'industrie entre 2000 et 2007 ont conduit à réduire les besoins de main-d'œuvre de 30 % dans le secteur industriel, Trésor-Eco n°77, 2010.
[4] Dernières estimations de l’INSEE/DARE, toutes catégories confondues, décembre 2012.