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Billet de blog 9 décembre 2010

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Coup de froid

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Si la neige avait un toit, on distinguerait les constellations boréales sur son plafond. Elle a installé son hibernation au nord, bringuebalant des grelots sur le cercle polaire comme un violon fait pendre à son manche des notes de musique. Mais aujourd'hui, elle s'en vient visiter notre pays. Comme nous marquons peu de déférence à son approche, elle engouffre ses bourrasques blanches dans nos vallées. Elle orchestre sur la France la grande symphonie hivernale et transforme notre pays multicolore en territoire rigidifié par le froid. Nos collines, nos villes et nos plaines se figent alors, comme un décor sur une porcelaine monochrome.

Les gens d'ici sont étranges. Ils font comme si la neige ne devait jamais venir. Alors quand elle s'invite, ils enragent, ils bisquent, ils écument de colère! Tous les ans ils l'insultent lorsqu'elle débarque chez eux avec tout son frimas. Mais le soir venu, en catimini, ils se rendent au fond du jardin pour ériger secrètement de grands bonshommes de neige. Ils façonnent des milliers d'allégories de leurs existences d'artistes en herbe -givrée- pleines de gants et de bonnets. Ces êtres transis que le redoux immole, sont autant de sacrifices offerts à la Sneedronningen d'Andersen pour qu'elle transite, qu'elle ne s'installe.

Ce matin là, je mis de grosses chaussures pour ne pas glisser. Mon écharpe descendit du porte-manteau, puis glissa sur mon épaule avant d'enserrer mon cou. Lorsque je sortis, les rafales m'assaillirent en un tourbillon de lames, recouvrant mon corps de flocons ainsi que mon âme. J'avançais péniblement dans le froid d'une aube hésitante. Je ne levais pas une seule fois la tête vers la vieille remise. Mais je devinais la quiétude du lieu où hier encore je coupais du bois, seul avec ma scie, mes pensées et ces murs encastrés de pierres ancestrales. Je chassai ces pensées et rentrai dans le break.

Cette fois, ce fut la ceinture de sécurité qui ceignit mon ventre et ma poitrine. La clef tourna sournoisement dans un vrombissement familier. Puis la voiture s'ébranla, emmenant dans son estomac métallique un homme vers son labeur quotidien. Elle connaissait le chemin par cœur. Je la laissais faire, et j'en profitais pour regarder au dehors la mousse blanchâtre traverser les rayons des phares. A chaque minute son véhicule, à chaque croisement le même ballet luminescent, à chaque stop, les mêmes véhicules digérant leurs passagers et leurs vies avec.

J'affirme qu'un jour, l'arrêt de bus à la sortie de la ville va péter. Il est tout petit mais se prend pour une gare. Il est toujours plein à craquer de gosses, et veut abriter plus qu'il ne peut contenir. Et voilà que les mistons s'entassent les uns sur les autres, me regardant passer avec mépris. Ils n'aiment pas ce qu'ils voient. C'est-à-dire moi. Un perdant, sans nul doute. Un loser, un vaincu au teint blafard sans forfait sms illimité qui ne sera jamais la Nouvelle Star. Si j'avais réussi ma vie, je roulerais en coupé et jouerais le pédéraste à la télé. Mais surtout, je me devrais de faire plus jeune. Beaucoup plus jeune! Car je ne leur ressemble pas. Alors ils me détestent, je le vois dans leurs yeux fatigués. Ils ont une trouille bleue de devenir comme moi. J'ai le sentiment qu'ils seraient moins perdus dans un désert que sous cet abris de bus. La génération consommatrice, à qui on fait croire à coup de marketing que l'accomplissement c'est être dans le coup! Plus besoin de passer par l'âge adulte pour réussir sa vie. La maturité est démodée. Terminus, tout l'monde adolescent! Il passe pas bien à la télé, l'adulte. Ces jeunes n'en deviendront jamais d'ailleurs. Ils vieilliront, certes, mais ils passeront leurs soirées à jouer en ligne à des jeux vidéos avec tout un tas d'enfants déboussolés. C'est déjà le cas pour certains de ma génération. Mais que dis-je? Cela fait trente ans qu'il n'y a plus aucune génération!

La route est une séductrice et je constatais sans frémir qu'elle s'était discrètement vernie le goudron. Mais ma voiture avançait quand même. A cette heure, je suis presque toujours le seul à traverser la forêt. La radio crépitait! Le bruit de fond du laborieux, avec les infos pour lui faire croire qu'on s'occupe de tout. Comme à son habitude, le monde ne tournait pas rond. Peu importait, car même s'il avait tourné rond, il aurait tourné sans nous. Et puis la pub. Les assouplissants et les assurances. Les mêmes pulsions de meurtre pour ces comédiens aux répliques débiles. L'envie de tenir le gars des tickets Leclerc par la gorge. Un jour je l'aurai, JE L'AURAI!!!

Brusquement, la grande embardée.

J'ai d'abord senti que ma voiture perdait le contrôle de ses roues. J'ai ouvert en grand mes yeux et essayé de rectifier la trajectoire. Mais trop tard. J'ai fini dans le fossé.

Merde! hurlai-je.

...

Merci! criai-je.

Je me souviens que la radio s'est tue. Le silence a envahi l'habitacle. Le moteur ne tournait plus. Je venais de tuer le monstre qui me dévorait chaque jour. Dans une poussée d'adrénaline j'ouvrai la portière et sortis.

Un premier rayon de soleil s'est immiscé au travers des branches nues. Devant moi se dressait une forêt opalescente.

J'étais encore un peu sonné, et je me souviens que la neige tombait d'une drôle de façon. J'ai jeté un regard vers le ciel, et alors, l'hiver s'est mis à jouer pour moi. Je prenais note de chaque flocon. Les gros mourraient sur le sol et les plus petits les retournaient sur le dos. Ils se disaient amis, et sans fadaise, désemparés, ils larmoyaient, leurs cristaux trop purs pour redevenir poussière.

J'ai erré un petit moment dans les bois. J'écoutais leurs histoires en déambulant dans les congères. Car depuis que je suis revenu vivre à la campagne, j'entends des voix. Tout a débuté dans la remise. Un jour, les pierres se sont mises à me parler alors que je rangeais mes outils. Elles racontaient des anecdotes, des choses drôles et parfois terribles ! Les pierres du pays sont bavardes. Mais j'ai vite compris qu'ici, toute chose parle. Les pierres se souviennent des gens, les ruisseaux évoquent leurs périples, les cheminées révèlent le secret de leurs journées estivales, les chemins doutent des points de départ et se moquent des arrivées, et les puits... Les puits sont si tristes de n'être que des puits! Eux qui rêvent de grands lacs, de mers et d'océans! Je prends juste le temps de les écouter. Parfois, tous murmurent à voix basse que le bonheur n'est pas loin. Pas loin du tout!

Je ne sais plus combien de temps j'ai marché. Mais je me sentais heureux. Le froid tendait ma peau, et l'air que je respirais emplissait mon âme d'une fraîcheur qui n'avait d'égale que ma joie d'arpenter le fossé.

Et puis les choses se sont enchaînées. Il y a d'abord eu la Ford qui s'est arrêtée sur le bord de la route. Une dame qui se faisait digérer en allant au boulot m'a proposé de monter, alors j'ai eu peur. Je lui ai balancé quelques boules de neiges pour l'éloigner... D'ailleurs, elle n'a pas demandé son reste!

Ensuite est arrivé le car de ramassage scolaire. Les gosses sont passés devant moi. Je les ai regardés avec mépris. Ils m'ont aperçu avec leurs yeux toujours fatigués. Alors j'ai baissé mon froc et je leur ai montré mon cul. Rien de bien méchant. J'espère qu'il y en a au moins un qui a souri.

Et puis je me suis retrouvé à l'entrée de la ville. L'hiver continuait sa valse, et les arbres gloussaient. La neige dansait à mes côtés, heureuse de trouver enfin à qui parler. J'ai alors tenté d'arrêter les voitures. Oui, si vous voulez, j'ai canardé les bagnoles avec de la neige bien fraîche. C'est vrai. Mais monsieur l'agent, je voulais juste libérer les gens. Les soustraire aux monstres métalliques qui les guettent toute la nuit, en bas de chez eux, comme des fauves tapis dans la poudreuse. J'espérais arrêter tout le monde! Vous, vous devez me comprendre! Je voulais qu'ils écoutent tous les récits que la neige jette dans ses bourrasques. Le bonheur est dans toute chose, je dois le leur montrer. Mais pour ça, ils doivent s'arrêter.

Ne me jugez pas trop sévèrement, je vous en conjure. Je sais que j'ai déraillé. Mais que voulez-vous?

Je ne sais plus si c'est le bonheur, ou si c'est la neige qui rend fou...

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