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Billet de blog 13 août 2010

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Songe nomade

Je me suis découvert un appétit insatiable pour l’asphalte des autoroutes. J’en ai dévoré l’autre nuit sans modération pour me rendre à la montagne. Pèlerinage estival, le chemin s’arpente en famille et sous la lune. Avec deux enfants en bas âge, c’est plus pratique. Enfin, tout ça pour dire que cette nuit là, j’ai transhumé, comme un animal nomade, comme un homme en voyage.

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Je me suis découvert un appétit insatiable pour l’asphalte des autoroutes. J’en ai dévoré l’autre nuit sans modération pour me rendre à la montagne. Pèlerinage estival, le chemin s’arpente en famille et sous la lune. Avec deux enfants en bas âge, c’est plus pratique. Enfin, tout ça pour dire que cette nuit là, j’ai transhumé, comme un animal nomade, comme un homme en voyage.

Voyage ? Vous avez dit « voyage » ? Comme c’est étrange ! La voix de notre Président s’échappe de mon autoradio. Il s’est justement découvert un intérêt soudain pour les gens du voyage, qui s’est traduit cette semaine par l’expulsion des « Roms de l’A86 ». En fait, pas si soudain que ça car déjà au Ministère de l’Intérieur en 2002 le Ministre d’alors s’étonnait : « Comment se fait-il que l'on voie dans certains de ces campements tant de si belles voitures, alors qu'il y a si peu de gens qui travaillent ? »

C’est drôle, mais quand on assiste à la sortie du Conseil des Ministres on se pose souvent la même question.

N’en prenez pas ombrage, Monsieur Sarkozy. Loin de moi l’idée que vous et vos proches collaborateurs soyez en fait une bande de Roms squatteurs de palais et d’hôtels privés parisiens. Ou alors vous faites partie d’un peuple différent des Tziganes, Roms ou Gitans. Une nouvelle famille de nomades qui ne se déplacerait pas en caravanes mais à bord du Carla Force One ! Un airbus A320 relooké avec pleins de super-gadgets, ça laisse quand même supposer que vous n’appartenez pas à la même société que nous. Car faut-il rappeler que pour le peuple, l’heure est à l’austérité ?

Non, non et non. Vous n’êtes pourtant pas un homme du voyage. La preuve : dans votre avion on ne trouvera qu’une seule guitare, celle de Carla. On est loin de la réplique Selmer de Tchavolo Schmitt ! Eric Woerth, François Fillon, et Brice Hortefeux, même s’ils composent souvent, n’arrivent pas à la cheville du Rosenberg Trio.

C’est dommage. Je vous imaginais déjà, Monsieur le Président, lors d’une intervention télévisée depuis votre bureau de l’Elysée. Les Français auraient découvert qu’entre les portraits de François Mitterrand et de Jacques Chirac, vous aviez glissé par malice un portrait du grand Django ! On aurait aperçu Carla, dans un coin du palais, plumer une poule qu’elle aurait préalablement chourée à Borloo, et votre fils Jean s’échinant à fabriquer des paniers percés pour ses potes manouches de la Défense…

Tels furent les songes que m’inspirèrent les dernières infos diffusées sur Autoroute FM. Puis je décidai par décret interne de laisser notre Président et sa famille là où ils étaient, et de ne pas les emmener avec nous en vacances.

La route était saturée de voitures. J’ai assisté à un samedi « noir ». Une de ces journées dans l’année durant laquelle le peuple sédentaire français se métamorphose brusquement en grande tribu nomade.

Cette nuit-là, les phares de mes compatriotes se répandaient en une rivière d’argent fondu sur les collines du pays. Serpent flamboyant, dévorant l’obscurité, avec dans son flanc des milliers de familles en quête d’une terre promise. Dans ce cortège lumineux, une multitude d’enfants qui sur les sièges arrières rêvaient paisiblement d’aventure en dormant. Devant, un nombre incalculable d’hommes et de femmes qui eux aussi rêvaient d’aventure en conduisant. Le GPS branché pour certains, et pour les autres, la vieille carte Michelin déchirée sur les genoux. Cette dernière ressemble plus à un vieux manuscrit. Une véritable carte au trésor trouée de toutes parts. Le plus souvent on constate avec humeur que la destination se situe exactement sur la pliure. Alors, on la déplie entièrement. Et on passe tout le trajet à essayer de la replier jusqu’à ce qu’on décide de tricher un peu en forçant sur un côté car…Mince ! On l’a déchirée !

J’entends déjà les moqueries de certains sédentaires indécrottables, qui dans un écho me murmurent des mots tels que « foule, embouteillages, accidents… »

Je suis déjà au courant, merci. Je sais aussi, comme disait Baudelaire, que « les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent pour partir. » Voilà pourquoi nous ne faisons qu’effleurer de nos lèvres la coupe de l’itinérance. On la repose bien vite pour revenir s’enfermer entre nos murs et nos grillages.

Mais au cours de ce voyage, j’ai descendu ma vitre pour que le vent fouette mon visage. Il a emporté avec lui toutes ces réflexions, toutes ces inquiétudes, et la fraîche rafale me redonna ardeur et courage. Puis je me suis senti extraordinairement bien lorsque soudain, je reconnus à la lueur de l’aube, les silhouettes gigantesques des premiers contreforts alpins. J’étais Christophe Colomb et j’apercevais enfin le but de mon voyage. J’ai éteint la radio. Fini Sarkozy, fini Saint-Aignan. et "les Roms de l'A86." Nous commencions l’ascension vers les sommets.

Alors, des notes de piano raisonnèrent dans ma tête.

Puis la voix de Barbara, qui chantait :

« … Que c'est beau, les voyages

Et le monde nouveau
Qui s'ouvre à nos cerveaux,
Nous fait voir autrement
Et nous chante comment
La vie vaut bien le coup
Malgré tout ! »

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