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Billet de blog 2 mars 2022

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On ne rabiboche pas un couple qui s'effiloche

On peut comprendre que POUTINE veuille reprendre sous sa coupe celle qui flirta si longtemps avec sa Russie, l'Ukraine. Mais bon, il en va des peuples et des nations comme des couples, la rupture n'est pas rare. Sauf qu'ici, le partage des meubles émaillé de rancoeurs et d'acrimonie rejaillit sur la planète entière. Et il en est responsable.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Wikipédia nous apprend que l'Ukraine comme d'autres nations ne s'est faite ni en un jour ni uniformément, mais a connu de nombreux hôtes en ces temps où les frontières n'avaient pas le caractère quasi-sacré d'aujourd'hui et se faisaient et se défaisaient en fonction des alliances et trahisons au gré des convoitises des puissances locorégionales voire d'envahisseurs nomades.

Les Khazars (dont on discute la filiation avec les Turcs, les Ouïgours et même les Huns !) y prospéraient entre Caspienne et Volga en s'y étant installés aux dépens des proto-Bulgares dès le VIIème siècle et en y conquérant la Crimée … aux dépens des Goths ! Coincés entre Byzance et Arabes au sud, Vikings orientaux au nord, ils finirent au IXème siècle envahis par ces derniers, les Varègues venus de Suède. Ceux-ci fondent avec capitale Kiev l'état slave « Rus ». En 1051, son grand-prince Iaroslav "le sage" marie sa fille Anne – Anne de Kiev – à … Henri 1er, roi des Francs et petit-fils d'Hugues Capet. Tout ça pour dire que ça circulait pas mal dans le coin et que cela s'est prolongé sous une menace Pologne-Lituanie au nord, turco-tatare au sud avant que ne s'y crée un état Cosaque dépecé par la Russie tsariste et l'empire Austro-Hongrois. Après cinq ans d'indépendance (1917-1922) l'Ukraine revient dans le giron de l'URSS qu'elle quitte en décembre 91 lors de son éclatement...

Si l'on comprend donc que POUTINE ait pu mal vivre la séparation de ce territoire-clé de l'URSS, ce bref rappel historique montre bien qu'il ne s'agissait que d'un mariage opportuniste et hasardeux et que son dépit amoureux – pour compréhensible qu'il soit – ne repose sur aucune réalité juridique lui donnant des droits sur le territoire ukrainien. Une exception peut-être, la Crimée, « offerte » par Khrouchtchev à l'Ukraine par simple décret en 1954 et dont le rattachement à la Russie ne paraît pas tout compte fait si choquant que ça (et dont la pérennisation pourrait bien servir de monnaie d'échange ?) Quant à la menace "OTAN", si elle existe bien, il suffit de regarder la carte des missiles russes pointés vers l'Europe pour comprendre que l'équilibre de la terreur est bien en place et que ce n'est à l'évidence qu'un faux prétexte.

Un terme m'a interpellé, celui de « pacification » utilisé par POUTINE, qui est celui qu'employait l'état français pour les « opérations de maintien de l'ordre » en terre algérienne entre 54 et 62. Là encore, une histoire d'amour se termine, une Algérie s'estimant mal traitée nous quitte au désespoir des pieds-noirs, dont le ressentiment est aussi compréhensible que celui de POUTINE. Et comme dans les couples passionnels qui se sont trop longtemps déchirés, la rupture n'en finit pas de générer des violences - parfois jusqu'au meurtre - sous couvert de rancoeurs mal digérées. Mais elle est inéluctable, comme elle l'a été entre France et Algérie.

Qu'en sera-t-il en Ukraine ? POUTINE est de ces furieux capables du pire, voire de se saborder avec nous en cas d'échec ou d'humiliation mal digérée. Mais jusqu'où peut-on le laisser avancer ses pions sans réagir plus qu'économiquement pour ne pas nuire définitivement aux intérêts des Ukrainiens d'une part, à la paix mondiale d'autre part ? S'il est urgent de négocier, nous ne pouvons obéir à ses caprices mortifères d'autocrate, et la discussion ne peut se faire qu'en position de force. Il est temps peut-être que l'Europe – qui en a les moyens et qui doit ici se distinguer clairement de l'OTAN– se montre ne serait-ce que diplomatiquement – et peu importe par quels canaux - infiniment plus menaçante, en marquant très vite une ligne rouge claire à ne dépasser sous aucun prétexte. Car chaque mort dans cet imbécile conflit est un mort de trop.

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