Dans le débat qui s'engage sur la fin de vie et l'aide active à mourir, nous barbotons me semble-t-il en pleine hypocrisie. En prétendant que notre préoccupation première est le respect de la vie, alors que nous sommes de tous les animaux le plus meurtrier, le moins respectueux de la vie. Et en prétendant agir au nom de l'éthique sans vraiment se donner la peine d'en définir les contours.
Hypocrisie des sociétés qui laissent assassiner sans broncher des dizaines de milliers de bien-vivants. Hypocrisie des églises, qui figurent au panthéon des plus zélés massacreurs, hypocrisie même des médecins, dont l'activisme parfois est plus nocif que ne le laisse penser leur vertueuse indignation quand ils invoquent le « primum non nocere ». Mais il faudrait nous dit-on sauvegarder avec la dernière énergie la dernière étincelle de vie, même quand on sait que tout va s'éteindre, et quelles que soient les souffrances endurées par qui nous demanderait, à bout de forces, de l'aider à passer en lui tenant la main. Ce requérant que l'on voudrait réduire, parce que nous sommes de bons réparateurs des organismes, au rôle de sujet-machine qu'il (elle, bien sûr, une fois pour toutes) ne supporte plus d'endosser.
Foin de morale ici, car il faudrait qu'elle soit unique et parfaite, alors qu'elles sont multiples et contradictoires. Ni de déontologie, qui n'est qu'un catalogue des modes d'emploi du moment. Mais véritablement d'éthique, en fait le respect dû à qui estime que c'en est fini de la seule vie qui vaille, une vie vécue dans la complétude de sa dignité. Que l'on comprenne bien : il ne s'agit pas ici d'assumer cet acte définitif à la va-vite devant toute demande irréfléchie, ou dans un cadre juridique permissif et formellement glacial, mais d'invoquer la rencontre exceptionnelle en tous points de vue entre deux consciences concrètes. Pas de liste de maladies administrativement préétablies, mais bien ce colloque singulier qui devrait présider à toute rencontre soignant(s)-souffrant. Qui prendront le temps de s'apprivoiser, de se parler, aidés par l'entourage bienveillant du malade qui saura prendre aussi le temps nécessaire à des adieux, à se parler, à se toucher, jusqu'au moment où l'on sait que l'on est plus nocif (eh oui, nocif ) qu'utile à quoi que ce soit. Si l'on prend ce temps, et d'aucuns le font déjà, alors les deux consciences savent ce qu'il faut faire, et quand est venu le moment de le faire. C'est exceptionnel, et ce doit le rester. Et si le geste n'est pas indispensable, si la fin est acceptée par tous sans intervention, alors tout vient en paix.
Mais une phrase de la cheffe de service de soins palliatifs de Pau me pose question : « Un point important – dit-elle - est que, culturellement, les soignants des services de soins palliatifs se refusent catégoriquement à donner la mort intentionnellement ». Ils en ont parfaitement le droit, mais ce « culturellement » qui serait commun à tous les soignants de ces services n'est-il pas un présupposé les enfermant dans leur seule vision du monde – quasi religieuse ? - les rendant aveugles et sourds quelque part au ressenti du suppliquant, alors que c'est bien ce ressenti qui devrait être selon moi prioritaire et à respecter.
Il n'y a pas dès lors à opposer soins palliatifs et aide à mourir mais à les associer : l'écoute et l'empathie qui président dans ces services sont l'honneur de la médecine et devraient du reste avoir droit de cité dans tous las autres services de soins. Mais les mourants ne peuvent être soumis à un préalable culturel : quand ils estiment en conscience que leur survie est définitivement et humainement indigne, on ne peut les considérer comme des incapables mineurs inaptes à décider pour eux-mêmes. La clause de conscience des soignants étant indiscutable, et si les conditions draconiennes indispensables à la décision sont réunies, alors il devrait être fait appel à d'autres soignants qui pourront en conscience avoir le courage d'assumer le geste d'apaisement. En renonçant à une sédation qui éteint commodément les plaintes sans que l'on ne sache rien des douleurs ressenties, et au suicide assisté qui consiste à se laver les mains à bon compte en laissant l'agonisant seul face à son angoisse. En donnant l'euthanasie - qu'il faut avoir le courage de nommer -, la bonne mort étymologiquement parlant, plutôt que d'imposer – au nom de quoi ? - la cruauté d'une vie devenue invivable.
Frédéric PIC
* https://blogs.mediapart.fr/frederic-pic/blog/260923/fin-de-vie