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Billet de blog 16 octobre 2023

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Hurler avec les loups

À l'exception de quelques voix, les exactions commises par le Hamas ont suscité dans l'essentiel des médias et de la classe politique un soutien quasi unanime et inconditionnel à l'état d'Israël, qui n'est pas sans poser question. Peu à peu toutefois se craquèle la gangue de cette doxa bien pensante. Mais au dela du débat, que faire – et le peut-on encore ?

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Comment qualifier l'attaque du Hamas ?

Disons-le d'emblée et sans ambigüité, ces actes relèvent de l'impardonnable. Pour ce qui me concerne, dans la mesure où ils surgissent incontestablement dans le cadre du conflit israélo-palestinien, je les qualifierai de crimes de guerre (mais au fait y a-t-il une guerre sans crimes ?)

Mais très vite et partout, c'est la qualification de terrorisme qui est apparue, annihilant par la violence du terme toute possibilité d'une quelconque argumentation : il n'y a pas de « oui, mais » a dit E.MACRON. Inutile donc de réfléchir au pourquoi – après tout pourtant, le pourquoi, c'est important...- mais en interdisant d'aller chercher le pourquoi, ce qualificatif à l'évidence nous maintient dans l'évécuation de l'impensé, du non-dit, à savoir la responsabililté de l'état d'Israël et, surtout, la passivité complice de la « communauté internationale ». Notre passivité. Notre complicité.

Pour aider au débat sur ce terme, je renvoie entre autres à cet excellent billet d'Homme de maïs (1)

Quid donc d'Israël ?

On nous a donc servi la fable d'un état pacifique et paisible, ne demandant rien à personne, chacun vaquant dans une concorde générale qui à son travail quotidien et sa jeunesse à ses loisirs bien légitimes, quand une horde de sauvages venus d'on ne sait où et pour on ne sait quoi aurait surgi pour semer le meurtre, l'horreur et la désolation parmi une population sans défense.

Et de nous seriner le sempiternel « Israël a le droit de se défendre et le droit à sa sécurité » (le Hamas détruisant une puissance nucléaire avec ses petits bras, celle-là, il fallait la trouver) Un simple regard sur la carte de la Palestine historique nous rassure, Israël se défend bien, pas la peine d'en rajouter :

Illustration 1

Mais quant à la possibilité des palestiniens de se défendre, voire de leur seul droit à exister, et puis quoi encore ?

En réalité, si le Hamas a incontestablement commis deux journées de crimes de guerre inqualifiables, l'état d'Israël en cumule, lui, au moins 56 années sans discontinuer : Est-on autorisé à rappeler qu'il est puissance occupante, et les palestiniens occupés ? Que la colonisation est contraire à la IVème convention de Genève, que le 23/12/2016 la résolution 2334 du Conseil de Sécurité en demandait l'arrêt immédiat, que la résolution 338 au terme de la guerre du Kippour rappelait la nécessité d'appliquer la résolution 242 (retrait des territoires occupés), et qu'Israël n'a cessé de se soustraire aux innombrables résolutions de l'ONU : criminel de guerre cumulard, Israël méprise, ignore et viole en sus toutes les règles de droit international.(2)

Faut-il rappeler qu'il fait régner un ordre inique sur les territoires occupés : rétentions administratives sans jugement, assassinats extra-judiciaires, incarcérations d'enfants (185 à ce jour, 50 000 au total depuis 1967 (3)) ou leur exécution sans sommation : 34 cette année avant les événements du WE, sans que quiconque s'en préoccupe dans nos chers médias. Je passe sur les destructions de maisons, le captage des eaux, les arbres arrachés, les contrôles permanents aux check-points, le blocus illégal de Gaza. Bref, à se demander qui se comporte comme des animaux et comment s'étonner (en n'excusant pas) qu'après des décennies d'enfermement, d'étouffement, d'écrasement, d'humiliations, des déferlements de haine incontrôlée puissent surgir du côté des occupés ?

La voix éraillée de la France

Lors de son allocution du 12 octobre, le président a commis à mon avis deux fautes indignes de sa fonction :

- en associant le Hamas à Daesh (le terme « terrorisme » est repris 17 fois en 10 minutes) et aux attentas subis en France, il a nié le fait du conflit local pour en faire un combat de civilisation et a tenté d'interdire, comme dit-ci-dessus, tout débat de fond : « il n'y a pas de oui, mais ». Sauf que nier le réel relève du mensonge par omission ou de la manipulation. En psychiâtrie, cela se nomme un délire, terrain sur lequel nous ne devrions pas me semble-t-il nous laisser entrainer...

- En apportant son entier soutien à l'occupant seul, il l'a dédouané de toute responsabilité, a raté une bonne occasion de prendre de la hauteur et a exclu la France du moindre rôle d'arbitre ou de négociateur potentiel, quel gâchis.. En répétant le sempiternel « droit à se défendre », en justifiant "une réponse forte et juste", il a largement ouvert la porte à la réponse à un crime de guerre par un autre crime de guerre : il n'était que de voir l'arrogance cynique sur les écrans des militaires israéliens se lâchant, soulagés, pour annoncer les crimes annoncés et par avance amnistiés..

Il nous a ainsi invité, tous unis derrière lui, à hurler avec les loups. Ce sera sans moi.

D'autres voix ?

Les grandes puissances, la communauté internationale, la routine : aux abonnés absents, invitant, terrible vocabulaire, « à la retenue »

Alors que le massacre annoncé a commencé par le bombardement de Gaza (1800 morts environ dont 1/3 d'enfants, on ne compte plus) certains s'en offusquent mais soulignent la légitimité de la « juste vengeance » : larmes de crocodile.

D'autres par contre, malheureusement impuissants, parlent plus vrai, comme dans ce très beau billet de patric JEAN (4) ou au cours de ce débat de haut niveau sur le site (5)

Et comme les idées reçues sont souvent liées à la mésinformation davantage qu'à la mauvaise foi, je pense que chacun peut consulter ce site de 41 associations et ONG françaises pour se faire une idée sur le problème (6)

y avait-il des alternatives ?

La lâcheté de la communauté internationale, sa volonté de détourner le regard : cachez donc se massacre que l'on ne saurait voir. Il gêne notre confort et risque de soulever des litiges néfastes au commerce. Inutile d'y revenir, un sursaut est-il encore possible ? Je n'y crois malheureusement pas.

On nous parle de corridors humanitaires : mais d'abord, pourquoi faire, si c'est pour déplacer encore et encore de camp en camp ces éternels réfugiés, quel intérêt ? Il est un corridor évident, énorme : la Méditerrannée. Rien n'empêche des navires de passer des eaux internationales dans les eaux territoriales de Gaza, la loi internationale interdit tout blocus pour qui apporte aide et assistance. Et puis quoi, va-t-on encore supporter la morgue de la flotte israélienne se permettant d'intercepter en actes de piraterie impunis l'abordage et l'arraisonnement du Marmara en 2010 ( 9 ressosrtissants turcs assassinés) et surtout du Liberté El Karama, battant pavillon français en 2011, sans que nous réagissions, quelle honte !?

Notre président aurait pu demander un cessez-le feu immédiat et dire qu'il dépêchait en urgence de l'aide humanitaire par la Méditerrannée, la Turquie proche aurait pu faire de même. Avec personnel et matériel, et qu'il était hors de question qu'Israël s'y oppose ou les mette en danger.

Plus tôt, lorsque TRUMP a sans raison rétabli des sanctions contre un Iran respectant à la lettre les recommandations de l'AIEA, l'Europe et la France ne s'y sont pas opposés avec toute la vigueur nécessaire. En laissant la Perse s'enfoncer dans une crise économique là où le commerce aurait pu reprendre avec elle à l'avantage de tous, nous avons suivi – une fois de plus – les errements étasuniens, laissant l'Iran se replier sur lui-même, durcir ses positions à l'international et surtout en interne, avec les conséquences que nous savons. Après tout, l'Arabie saoudite que nous adorons n'est pas clairement plus vertueuse ni fréquentable et l'équilibre ainsi rompu au détriment des iraniens n'est pas ce qu'il y a de mieux pour, justement, rétablir un équilibre ...

Quant au devenir des territoires et des populations locales, je me souviens de manifestations de fraternité entre israéliens et palestiniens au soir des accords d'Oslo : si leur enthousiasme a vite été douché, il montre que la cohabitation n'est pas impossible. Dans un état bi-national ? Impossible à l'évidence, les contentieux sont malgré tout trop lourds. Mais ceux qui estiment impossible la solution à deux états doivent savoir qu'ils condamnent à la destruction ou la déportation les palestiniens j'allais dire « résiduels »..

À discuter avec qui ? Sous l'égide de l'ONU et de quelques arbitres ayant de préférence reconnu officiellement l'état palestinien (Qatar, Turquie,Suède.. ?) et côté palestinien surement pas avec avec Mahmoud Abbas, qui cogère l'occupation avec Israël. Et donc avec le Hamas bien entendu : il est gagnant des dernières - et trop lointaines - élections, il a opté dès 2016 pour un état palestinien dans les frontières de 67 et a donc renoncé à la destruction d'Israël comme l'ânonent jusqu'à d'anciens présidents, comme François Hollande. Il y renoncera encore plus quand il sera adoubé interlocuteur officiel (comme l'avaient fait ARAFAT et le laïque Fatah : Israël qui a promu le Hamas n'aura pas gagné au change)

Et si les colons installés illégalement en Cisjordanie aiment tant cette terre, qu'ils y restent dans un état palestinien enfin reconnu. Qu'ils indemnisent pour les dégâts occasionnés, qu'ils prennent s'ils le veulent la double nationalité, et qu'ils y paient leurs impôts.

Je rêve ? Trouvez mieux, je suis preneur.

Frédéric PIC

PAU

1/ https://blogs.mediapart.fr/homme-de-mais/blog/131023/quand-laccusation-de-terrorisme-sert-legitimer-des-crimes-de-guerre/commentaires

2/ https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Depuis-1947-Israel-fait-resolutions-lONU-2016-12-26-1200812984

3/ https://fr.irna.ir/news/84948902/Isra%C3%ABl-50-000-enfants-palestiniens-d%C3%A9tenus-depuis-1967

4/ https://blogs.mediapart.fr/patricjean/blog/141023/puisqu-il-parait-qu-il-faut-s-exprimer-sur-israel-et-gaza

5/ https://www.mediapart.fr/journal/international/101023/guerre-israel-hamas-la-question-palestinienne-revient-au-centre-dans-les-pires-conditions

6/ https://plateforme-palestine.org

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