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Billet de blog 25 janvier 2023

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derrière les retraites, un choix de société

Derrière le refus de cet irrationnel projet de réforme des retraites se joue en fait le rejet d'un choix de civilisation : qui l'emportera – enjeu vital - de l'arrogant et capricieux jusqu'au boutisme présidentiel ou de l'émergence – enfin – de la volonté populaire d'un mieux vivre par un partage revisité du savoir, du pouvoir et des richesses crées

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un projet extravagant, cynique et provocateur

En un siècle et grâce à notre intelligence, notre temps de travail a été divisé par deux tandis que notre revenu moyen en monnaie constante était multiplié par 7 et que nous vivions plus vieux, gagnant 25 ans d'espérance de vie. Celà s'appelait le progrès, et force est de constater que ce que nous propose aujourd'hui E.MACRON est l'exact contraire, c'est à dire l'inverse du progrès : on nous serine que comme nous vivons plus vieux, nous devrions travailler plus longtemps (ce qui revient à dire que notre temps de retraite n'augmentera JAMAIS !) alors qu'en fait il faut comprendre l'inverse : c'est parce que nous travaillons moins que nous vivons plus longtemps.(1) (2) (3)

Par ailleurs le projet gouvernemental est indigent concernant l'analyse du marché du travail (4), les carrières longues, l'espérance de vie en fonction des métiers (6 ans de moins pour un ouvrier comparé à un cadre, qui jouira donc plus longtemps d'une retraite par ailleurs plus conséquente), de l'analyse des limites floues salariat-non salariat (4 encore), du réel désir d'E.MACRON de précariser les salariés (5) des causes du chômage, du baby boom, du risque d'alimenter les cohortes d'invalides, de chômeurs ou de précaires en retardant l'âge de départ (6).

Tous ces éléments commencent à émerger au fur et à mesure que ce projet se discute, et il apparaît que des mois de débat si ce n'est plus seraient (seront ?) nécessaires pour valablement proposer un contre-projet qui fasse consensus : nous y reviendrons plus loin. Tandis que depuis des semaines, le pouvoir n'avance en fait que deux arguments pour défendre sa réforme : sa supposée légitimité tirée de son annonce dans le programme présidentiel du candidat Macron, qui l'aurait de fait sanctuarisée et avalisée par avance sauf à violer la démocratie, et la soit-disant urgence à rétablir un soit-disant et monstrueux déséquilibre financier.

Légitimité, vous avez dit légitimité ?

Nous ne reviendrons pas sur la fable d'E.MACRON socialiste qui autrait pu accréditer l'idée que ce projet avait un quelconque fondement de justice sociale : notre Frégoli de Président n'a pas tardé à se débarraser de cet encombrant oripeau et se démasquer pour ce qu'il est, un représentant en mission d'une droite on ne peut plus rude (7)

Nous rejetons par contre formellement l'idée que ce projet aurait été présenté de façon claire lors de la campagne présidentielle, le candidat MACRON ayant avec son habituel mépris refusé tout débat avec les autres candidats (sous-entendu «  je suis trop occupé à régler les affaires du monde pour m'abaisser à parler avec ces gens-là  ») (8) et donc toute possibilité pour ceux-ci de contrer ses arguments ou faire des contre-propositions : s'il y a bien eu en 5 lignes présentation du projet, la clarté n'était certes pas au rendez-vous.

Rappelons aussi que lors de son précédent quinquennat il avait présenté un tout autre programme de réforme, systémique, par points, conduisant chacun à abandonner de fait sa participation symbolique à un système solidaire pour ne s'occuper que de ses propres points dont la valeur aurait été déterminée par le seul pouvoir : on voit par là que le président n'est même pas clair avec lui-même, le seul élément constant dans sa vision étant qu'il fallait diminuer le volume total du coût des retraites (dont l'éventuel déficit se répercute dans la logique maestrichienne à laquelle nous ne saurions déroger !)

Rappelons encore que sa politique de réduction des cotisations (pérennisation du CICE en réduction des cotisations, exonérations sur les bas salaires et sur les heures supplémentaires) est la première cause d'un déficit s'il devait se confirmer, l'omission aveuglante de cette causalité ne venant certes pas alimenter la clarté de sa proposition.

Enfin, soyons cruels : le candidat n'avait pas dit que cette réforme, loin de profiter aux seuls retraités, devait alimenter le budget, non seulement pour réduire le déficit comme indiqué ci-dessus, mais surtout pour financer d'autres dépenses, comme – excusez du peu ! - la transition écologique, l'école et la santé (9) :  18 milliards de recettes immédiatement prévus contre 12 hypothétiques à venir : adieu clarté.

Pour compléter, soyons encore cruels : aux 3 scrutins du 1er tour de la présidentielle et des deux tours des législatives, les macronistes ont fait 20, 12 et 16,6% des inscrits : plus de 80% d'entre eux n'ont donc pas adhéré aux propositions de LRM, et en particulier à celle sur les retraites : adieu légitimité électorale.(38% au second tour, dont nous savons qu'il n'avait rien à voir avec un choix"MACRON")

Mais, à supposer qu'une proportion plus importante d'électeurs eut été séduite, que doivent faire les députés ? Il ont certes le droit d'avoir des opinions, et de les défendre. Mais s'il s'aperçoivent qu'à un moment donné, parce que par exemple les événements ont changé la donne et qu'il se trouvent en minorité nette par rapport à l'opinion publique, doivent-ils rester dans leur bulle hors-sol, s'accrocher à leur vote comme une moule à son rocher, ou privilégier l'intérêt général qu'il perçoivent lors de leurs retours en circonscriptions ?

À eux de choisir, entre une légitimité institutionnelle réelle mais plus que bancale et la légitimité assourdissante du peuple en mouvement.

Un gouffre financier, quel gouffre financier ?

Le dernier rapport du COR (10) signale en fait qu' « il n'y a pas de dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ».ajoutant que si « le système de retraite enregistre un excédent de 900 millions d'euros en 2021. »  la situation financière du système de retraite devrait se dégrader de 2022 à 2032, » tout en soulignant «  les fortes incertitudes qui entourent les travaux de projection en raison du contexte international. » le COR ajoute encore « Outre une faible croissance économique, la dégradation serait notamment causée par les mesures d'économie sur la masse salariale de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière » : on ne saurait être plus clair sur la responsabilité du gouvernement dans l'apparition de ce déficit fantomatique

Nous avons donc un déficit hypothétique et à venir ne devant durer qu'une dizaine d'années, avoisinnant les 12 milliards d'euros . Or le fonds de réserve des retraites, même si depuis Jospin tout le monde y a puisé sans vergogne, est encore riche de 26 milliards, tandis que les différents régimes ( indépendants, MSA, etc) affichent une réserve de 200 milliards d'euros dont la moitié environ pour les seuls AGIRC-ARCO. Pactole géré par les partenaires, que le gouvernement verrait bien transférer aux URSSAF ... gérées par l'Etat. Exit donc le gouffre financier, qu'il convient de comparer à la valse des milliards que le pointilleux gestionnaire qu'est Bruno Lemaire a fait danser ces derniers temps :

Pour le quoiqu'il en coûte (aurons-nous droit un jour à un vrai bilan tant au plan économique qu'au plan sanitaire?) de 400 à 740 milliards (dont on peut se demander s'ils n'ont pas contribué à l'inflation, qui avait déjà bondi de 0,6% en janvier 2001 à près de 4% en mars 2022, dès avant la guerre d'Ukraine ) (11) (12) (13)

Ce petit tableau présenté par Clémentine Autain n'est pas mal non plus, en sachant qu'elle aurait pu ajouter les 80 milliards au moins de fraude fiscale et que, gavées comme jamais (baisse de l'impôt sur les sociétés et des impôts de production, taux de marge inégalé depuis des années) nos entreprises « arrivent » à être pour une fois très largement en tête d'un classement... celui du déficit commercial dont nous sommes les cancres achevés (130 milliards à comparer aux 205 milliards de subventions, pour Alternatives Économiques de janvier 2023)

Illustration 1
Illustration 2

Un grand débat à mener sur des paramètres à reconsidérer

Notre système de retraite par répartition ne semble poser de problème à qui que ce soit : qu'il s'agisse de la fonction publique, des salariés, des indépendants ou des régimes spéciaux, personne n'a encore organisé de grandes manifestations pour le contester. Il est là, bien au chaud, pas question de le changer. Il nous inquiète si peu  que très peu pourraient dire sans aller voir leur bulletin de salaire quel est leur taux de cotisation personnel, salarial ou patronal pour les divers postes de prestations : ç'est justement parce que ça marche trop bien que E.MACRON nous compare aux autres pays moins généreux (au lieu de les inciter à s'aligner sur nous!) et veut rogner les ailes à ce généreux système pour faire ce qu'il fait depuis 8 ans qu'il est au pouvoir : augmenter les inégalités au profit des plus riches jusqu'à plus soif, sans aucun bénéfice global pour la nation.

Je ne développerai pas ici ces divers paramètres, indispensables à une réflexion sur le modèle de civilisation que nous désirons mettre en place dans le contexte de la catastrophe climatique qui nous obligera de gré ou de force à des révisions déchirantes, sauf à disparaître : Il s'agira des revenus, du financement par l'impôt et/ou les cotisations, du patrimoine (« Au début des années 1970, la valeur totale des patrimoines privés – nets de dettes – était comprise entre deux et trois années et demie de revenu national, dans tous les pays riches, sur tous les continents. Quarante ans plus tard, au début des années 2010, les patrimoines privés représentent entre quatre et sept années de revenu national, PICKETTY), du temps de travail (et donc de loisir et/ou de retraite) (14) (15) (16)

Le travail est incontournable, sans lui pas de création de valeur ni de richesses utilisables à partir des richesses naturelles offertes par la nature. Mais quel travail, de quelle durée, pour qui, comment, et surtout pour quoi faire : de quoi avons nous besoin, de quoi ont besoin les pays pauvres et les pauvres des pays riches ?

Quand Marie TONDELIER d'EELV dit que nous ne voulons plus de milliardaires, elle a raison : personnellement peut me chaut qu'un quidam soit milliardaire, s'il n'y a pas de sans-abri à côté, grand bien lui fasse. Mais le problème est qu'il y a de plus en plus de sans-abris, de plus en plus d'inégalités. Quant aux milliardaires, force est de constater qu'ils sont nuisibles : doit-on continuer à fabriquer des yatch de luxe ? Bien sûr que non, les ateliers sont à reconvertir d'urgence. Pourquoi paie-t-on une TVA de 20% pour un vêtement, et zéro% pour acheyer une action ?? Comment n'avons nous pas réussi à mettre en place une taxe TOBIN ?? Quant au mythe de l'entrepreneur créateur de richesses parti de rien, Forbes nous apprend que 80% des milliardaires français se sont contentés de naitre et d'hériter (17)

Illustration 3

Le temps consacré au travail devra être discuté calmement, en tenant compte des inégalités soulignées ci dessus en termes de santé, de revenu, de patrimoine. Et son inéluctable et bienvenue réduction pourra s'enrichir des solutions prônées par entre autres P.LARROUTUROU et Nouvelle Donne (18) tandis que le financement d'un nouveau contrat social pourra s'inspirer soit des théories du revenu de base inconditionnel, soit du salaire à vie prôné par Bernard FRIOT …en choisissant une base fiscale beveridgienne ou de cotisation bismarkienne (nous qui avons opté pour un mélange des deux avec l'introduction de la CSG) (19) (20) (21) (22) (23)

Illustration 4

Le débat n'est pas neutre, qui décide de quoi, et surtout qui gère, l'Etat ou les cotisants ? Vaste programme qui ridiculise encore si nécessaire l'espèce de rogaton de réforme extravagante et cynique présentée par le pouvoir. À ma connaissance, l'infatiguable Haut Commissaire au Plan, peut-être occuppé à d'autres tâches, ne s'est pas non plus encore penché sur le problème.

Lorsque je participais à l'élaboration du programme de Nouvelle Donne, j'avais imaginé que le budget social de la nation, bien plus important que celui de l'état (750 milliards au total dont 331 pour les retraites contre 350 pour le budget de l'état) méritait qu'une assemblée s 'en préoccuppe à temps plein. Ç'aurait pu être un Sénat rénové, fusionné avec le Conseil économique, social et environnemental, enrichi éventuellement de représentants tirés au sort...Il aurait pris le temps, aurait organisé la réflexion collective, géré la mise en place du protocole retenu, et en aurait validé chaque année le financement et la pérennité ou sa modification...

Mais en attendant qu'un vrai débat s'instaure sur le sujet, il faut en finir avec le projet parasite et sans intérêt proposé par le gouvernement. Si le tournant environnemental doit gérer notre survie, ce nouveau contrat social à venir devrait gouverner une bonne partie de nos vies. Hors de question donc de céder, ni d'accepter qu'il passe, même édulcoré : L'enfant gâté qui nous gouverne doit en finir avec son désir infantile de toute puissance et retirer son texte.

Frédéric PIC

PAU

(1) https://www.ihscgtaquitaine.org/ihsa/actualite/28/56-reperes-historiques-sur-les-grandes-etapes-de-la-reduction-du-temps-de-travail-.html

(2) https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-diminution-du-temps-de-travail-en-france-expliquee-en-4-graphiques-20191119

(3) https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/graphiques-cartes/graphiques-interpretes/esperance-vie-france/

(4) https://www.google.com/imgres?imgurl=x-raw-image%3A%2F%2F%2F9de7f4ad0b6ea309b8de15f9ce6557a5c7479d3a7752733870fef05e61cef37b&imgrefurl=https%3A%2F%2Fwww.insee.fr%2Ffr%2Fstatistiques%2Ffichier%2F4253035%2F510_511_512_Marchand_Minni_FR.pdf&tbnid=CaNuC630550swM&vet=12ahUKEwjy5ufXx-L8AhUSrEwKHTkRCr0QMygHegQIARAz..i&docid=BS_BYICQf9M6DM&w=1600&h=2263&q=510_511_512_Marchand_Minni_FR.pdf&client=safari&ved=2ahUKEwjy5ufXx-L8AhUSrEwKHTkRCr0QMygHegQIARAz

(5) https://www.liberation.fr/checknews/2019/12/04/macron-a-t-il-affirme-que-les-salaries-francais-sont-trop-payes-et-doivent-pouvoir-travailler-plus-s_1766779/

(6) https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/hal-03507914v2/document

(7) https://www.liberation.fr/checknews/2018/04/17/emmanuel-macron-a-t-il- vraiment-deja-dit-qu-il-etait-socialiste_1653554/

(8) https://www.20minutes.fr/elections/presidentielle/3248435-20220309-presidentielle-2022-emmanuel-macron-refuse-debattre-autres-candidats-position-injustifiable

(9)

  1. https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-mot-de-l-eco/la-reforme-des-retraites-pour-financer-d-autres-depenses_5339668.html

(10)

  1. https://www.vie-publique.fr/en-bref/286299-retraites-le-cor-prevoit-des-deficits-apres-les-excedents-2021-2022

(11) 400 milliards https://www.tf1info.fr/economie/covid-19-crise-sanitaire-a-ce-stade-combien-coute-le-quoi-qu-il-en-coute-de-macron-2194693.html

(12) 440 milliards dussopt https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/france/la-crise-du-covid-va-couter-424-milliards-d-euros-en-3-ans-aux-finances-publiques_AD-202104130397.html

(13)740 milliards une-commission-d-enquete-pour-lever-le-mystere-des-aides-publiques-au-secteur-prive.pdf

(14) http://www.blog-illusio.com/2018/04/comment-se-repartissent-les-revenus-en-france.html

(15) https://ses.ens-lyon.fr/actualites/rapports-etudes-et-4-pages/inegalites-de-patrimoine-en-france-quelles-evolutions-de-1800-a-2014-banque-de-france-juillet-2018

(16) https://www.cadtm.org/L-evolution-des-inegalites-de-patrimoine-au-cours-des-deux-derniers-siecles

(17)

  1. https://www.ouest-france.fr/economie/pres-de-80-des-milliardaires-francais-sont-des-heritiers-selon-forbes-e12c546e-b63b-11eb-9d0b-d31a5f1d6514

(18)

  1. https://www.mouvementpourundeveloppementhumain.fr/nos-fondements-theoriques/en-finir-avec-le-chomage-un-choix-de-societe/la-reduction-du-temps-de-travail-peut-elle-supprimer-le-chomage/

(19) https://www.vie-publique.fr/fiches/37945-quel-est-le-budget-consacre-aux-retraites

(20)

  1. https://www.vie-publique.fr/fiches/37945-quel-est-le-budget-consacre-aux-retraites

(21) https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277707?sommaire=4318291

(22)

  1. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-documents-de-reference-communique-de-presse/panoramas-de-la-drees/les-retraites-et-les

(23) https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-05/00%20-%20Vue%20d%27ensemble.pdf

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