Mon comptable (oui, ça n'est pas pour me vanter, mais j'ai un comptable. NOn que je brasse des sommes exagérées, mais la paperasse m'emmerde, et mon copain comptable fait ça très bien) mon comptable donc m'annonce que je bénéficie au titre du CICE (Crédit Impôt Compétitivité Emploi) d'un versement de 680 euros de crédit d'impôt.
Diable, médecin en préretraite, ne pratiquant quasiment aucun acte technique mais uniquement des actes intellectuels, me voilà donc contraint d'être "compétitif". Moi qui ai renvoyé des patients vers mes jeunes confrères quand j'avais trop de travail, il va falloir que je me mette en tête de les leur refaucher. Ben oui, c'est ça la compétition. Et puis, toujours pour être compétitif, au lieu de la demi-heure par patient, je vais passer à 20 minutes, et si ça ne suffit pas, paf, le quart d'heure ! allez Mamie, plus vite pour vous rhabiller, la compétitivité, la compétitivité !
me voilà donc conquérant des marchés sanitaires, renonçant à dire à mes patients que la maladie n'est - si elle survient trop tôt ou trop souvent - qu'un miroir de notre mal-être existentiel. Foin de balivernes, à partir d'aujourd'hui j'alpague dans la rue les soi-disant bien portants, au café, au restau où je monterai sur les tables pour haranguer les foules et leur faire comprendre qu'ils ne sont que des malades qui s'ignorent et que - 680 euros, nom de Dieu - mon cabinet leur est largement ouvert.
Quant à ma secrétaire, problème : je n'en ai qu'une, elle est compétente, et tant qu'elle ne m'oblige pas à taper le courrier, je ferme ma gueule. Mais cette manne de 680 euros m'oblige à en embaucher une autre - compétitivité certes, mais emploi !- sauf que je n'en ai pas besoin, et que comme au nom de la compétitivité je vais contraindre celle que j'ai à marner comme une bête, ça compensera l'augmentation de ma clientèle.
Moralité : je ne sais pas ce que vont faire de cette prime mes 170 000 confrères qui n'ont rien demandé, qui n'en ont rien à faire, et pour la majorité desquels elle ne sera qu'un effet d'aubaine, mais pour ma part je crois que je vais continuer à bosser peinard, en prenant le temps d'écouter les histoires savoureuses que me racontent mes patients; je vais partager cette prime avec ma secrétaire en fin d'année, et dépenser le reste d'ici là avec quelques copains en ingurgitant quelques gorgeons, histoire de relancer la compétitivité et l'emploi dans les bistrots du coin en refaisant le monde.
Quant à Hollande, la prochaine fois, avant de faire une autre connerie de cet acabit, il n'a qu'à m'appeler. Sur les 680 euros, il restera bien de quoi prendre impôt - pardon, un pot, pour lui expliquer comment marche le monde. Sinon, au titre de la CICE (Compréhension des Inepties et Conneries des Elites) je veux bien en être de ma poche.