Sur notre prétendu attachement indéfectible à la vie, il est inutile de rappeler à quel point les humains sont violents et meurtriers : de tous temps nous nous sommes allègrement massacrés et avons emporté dans notre folie meurtrière animaux et végétaux, oubliant les services qu'ils nous rendent et leurs droits – non inférieurs aux notres - à exister et perdurer. En sabotant avec une bêtise à la hauteur de notre violence le véritable Eden que nous offre la planète, jusqu'à la rendre invivable et mettre en péril notre propre survie collective.
Il y aurait donc un hypocrisie avérée à exprimer la volonté de sauvegarder avec la dernière énergie un résidu, un dernier réduit où la dernière étincelle de vie serait à respecter : aucun respect pour la vie tout au long de nos existences, mais là, quand plus rien n'est à espérer, quand tout va s'éteindre, et quelles que soient les souffrances endurées, le prométhéen en nous s'insurge : je peux le faire, je sais le faire, je n'ai pas accumulé tout ce savoir pour aujourd'hui baisser les bras et laisser la mort, la mort naturelle l'emporter sans réagir. Il y a là on en conviendra un invraisemblable orgueil, doublé d'un mépris surprenant pour celui - celle - qui va mourir, réduit au rôle de sujet-machine qu'on voudrait lui imposer.
Un souvenir me vient à l'esprit : lors d'une réunion médicale, un « grand » - et forcément révéré – patron de médecine nous déclare dans une envolée lyrique : « en matière de polyarthrite rhumatoïde, cette maladie est notre ennemie et le malade est le champ de bataille où se livre ce combat ». Je lui fis alors remarquer que compte tenu de l'aspect habituel des champs de bataille à la fin des hostilités, je me refusais à considérer mes patients comme de simples « champs de bataille » ainsi deshumanisés. Au terme de mes études où l'on avait esquissé l'ébauche – travail inépuisable et constamment remis en question - du fonctionnement de cette machine merveilleuse et mystérieuse qu'est le corps humain, j'avais la certitude que j'avais consciencieusement appris mes maladies, mais qu'il me restait à apprendre la médecine. Ce que j'ai fait, cahin-caha, avec mes patients. Donc oui, soignons les malades et pas simplement leurs maladies...
Là s'invite le débat entre citoyens et soignants, et plus particulièrement les médecins : il y a dans le rapport de la convention citoyenne sur la fin de vie (1) une image que j'aime bien où patient et médecin sont embarqués dans l'avion de la maladie ; le patient y est le pilote et le soignant uniquement copilote. Cela ne veut pas dire que le pilote doit faire n'importe quoi et entrainer le copilote dans des manœuvres que celui-ci réprouverait ou le mettrait en danger, mais invite à redessiner les rapports entre soignants et soignés, ce qui s'est esquissé ces derniers temps mais mérite d'être précisé. Comme le réclament par exemple les « vieux » du CNAV (2)
Tant il est vrai comme le disait déjà Molière dans « Le Malade Imaginaire » que « Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes et non de leur maladie ». Meuh non, je plaisante. Quoique … ?
Très sérieusement, il est bon que les médecins se soucient du « primum non nocere » - d'abord ne pas nuire – et prétendent le mettre en pratique à l'approche de la mort de leurs patients. Mais tout est justement de savoir ce qui , là, est nuisible, ou utile, ou souhaitable. Et qui en décide. Il y a là encore me semble-t-il une certaine hypocrisie du corps médical qui s'exonèrerait au nom de ce principe d'avoir à se « salir les mains » en prenant la responsabilité de mettre fin aux souffrances d'un patient qui en toute conscience le lui demanderait. Car prolonger inutilement des souffrance ne serait-il pas nuire quelque part ? Du reste soyons bien certains que nombre de médecins conscients de leur devoir d'humanité savent en ces moments douloureux ne pas nuire, et font les geste nécessaires de fraternité courageuse qui devraient s'imposer à la loi et non l'inverse – rendons-leur ici l'hommage qu'ils méritent -.
Car enfin, primum non nocere je veux bien, mais nous, médecins, nuisons quand même en toute bonne conscience, et la médecine a sur la conscience un nombre non négligeable de décès : entre infections nosocomiales (contractées durant l'hospitalisation) et les effets indésirables graves des traitements, ce sont aux alentours de 20 000 morts par an, dont la moitié évitables, dûs à la négligence, l'incompétence ou l'enthousiasme thérapeutique auquel certains se laissent aller – on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs, et il faut bien que la science progresse ! En ses souvenant que 95% des effets secondaires des traitements ne sont pas signalés, donc répertoriés...(3),(4), (5) y compris pour la simple prescription de ces examens – merveilleux - dont nous sommes si friands qu'ils viennent parfois – malheureusement – remplacer l'écoute et l'examen du patient.
Invoquer donc pour la seule fin de vie un "primum non nocere" que l'on piétine ailleurs au quotidien n'est franchement pas crédible.
L'autre erreur, ou hypocrisie encore, est d'invoquer la morale et l'éthique, sans les définir ni véritablement les comprendre, pour recaler les demandes éventuelles d'euthanasie. Mais de quelle morale parle-t-on, car il y a autant de morales (stoicienne, chrétienne, bouddhiste, spinoziste, zoroastrienne, etc ?) que de cultures et de civilisations.
(Voir ici l'excellent ouvrage « La signification de l'éthique », MISRAHI, éd. « les empêcheurs de tourner en rond » qui a largement nourri ma réflexion)
C'est parce que la responsabilité que donne le supposé pouvoir magique de la médecine empêche qu'elle soit affrontée en toute sérénité que l'on a voulu ajouter aux connaissances scientifiques ces règles dites « morales ». Mais toute morale est supposée porteuse d'un souverain bien, idéal et absolu (on n'imagine pas une morale « molle ») Donc inatteignable. Donc inutilisable. Et si on cherche à le définir, ce ne peut être encore qu'arbitraire, à nouveau inutilisable.
Pour être plus pragmatique, on a fait appel au « sens du devoir », tout aussi contingent puisqu'influencé par notre culture, nos interdits, nos désirs et ceux du sujet, le Code de santé publique parlant bien des « principes de moralité indispensables à l'exercice de la médecine » … mais en se gardant bien de les expliciter !
Il faut donc en recourir au droit, qui ne se soucie pas de la vertu des personnes concernées, mais du bien public, renvoyant la morale au domaine du privé et de la liberté de choix individuelle. La première approche est celle d'un code de déontologie. Mais celui-ci n'est qu'une suite de recettes pratiques avec ses contradictions (soins constants versus acharnement thérapeutique par exemple) ne disant pas non plus le pourquoi de ce qu'il faut faire et ne s'avérant valide que tant qu'il n'y a pas de crise de conscience... et nous voilà ramené au point de départ, comment juger de ce qu'il faut faire ?
Le cœur du problème sera donc de définir ici l'éthique, qui ne doit rechercher ni un « Bien » abstrait moralisateur ni le seul travail bien fait d'après le règles déontologiques après quoi on s'en lave les mains mais la plénitude d'une existence dans la dignité d'un individu concret. Balançant entre les connaissances techniques du soignant et le désir du patient, la réflexion éthique doit rechercher le préférable à proposer au malade.
Il est clair que nous ne sommes pas dans un débat manichéen du bien contre le mal, du pour ou du contre. Que le doute et la prudence sont en permanence de mise. Que ce qui est en place dans le cadre des soins palliatifs, qui est fait et bien fait, doit être étendu, complété par de l'information, de la formation et les moyens financiers nécessaires, comme le plaide le Dr Régis AUBRY (6) Lequel ajoute pourtant, concernant la sédation profonde et continue (dont le choix entre elle et l'aide active à mourir est un des enjeux principaux de la réflexion à mener) :
« La sédation profonde et continue ne traite pas la douleur, on administre en parallèle des antalgiques pour éviter la douleur liée à une pathologie. (...) Je ne veux pas dire avec certitude qu’on endort la souffrance du patient. On l’atténue. »
Alors sur quoi se baser ? En tant que futur mourant (mais si, mais si!) je n'en sais fichtrement rien. Peut-être voudrais-je m'accrocher au dernier journal d'infos avant de vous quitter, savoir ce que deviendra le monde (mais comment allez-vous faire sans moi ?!)...peut-être pas. Une bonne définition de ce que pourrait être la situation m'amenant à demander l'aide active à mourir (et ce ne sera en aucun cas le suicide assisté, quelle horreur, c'est au technicien d'assumer sa responsabilité technique) me paraît être celle qui figure à l'art.2 du projet de loi proposé par l'association (ADMD) pour le droit à mourir dans la dignité : « ...affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable qu’elle juge insupportable ou la plaçant dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité »
Si c'est le cas, j'espère pouvoir trouver l'écoute compatissante d'un soignant à qui la loi permettra un geste fraternel libérateur sans que sa conscience s'en offusque. Après tout, je n'en suis pas moins digne qu'un animal de compagnie que l'on euthanasie parce qu'on l'aime et que l'on lit dans son regard que la vie dans ces conditions est plus un insupportable fardeau qu'une source de la moindre étincelle de joie.
Frédéric PIC
médecin retraité
Pau
(2)https://www.mediapart.fr/journal/france/220523/comite-autoproclame-de-la-vieillesse-une-bande-d-octogenaires-pour-l-euthanasie-et-contre-le-paternalisme
(3)https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01719243
(4')https://www.santelog.com/actualites/imagerie-trop-de-scanners-risque-accru-de-cancer
(6)https://www.youtube.com/watch?v=pFqBK7fevIY&t=144s
(7)https://www.admd.net/