Après l'interview de Nicolas Sarkozy ce matin sur France Inter, mon inquiétude est montée d'un cran quant à la capacité des journalistes des grands médias à pouvoir mettre en difficulté, ce qu'il faut bien appeler un virtuose de la manipulation.
Après ces cinq années au pouvoir, son bilan est tellement catastrophique que cet homme ne devrait pas connaître de répit sur un plateau, sans oublier le mépris dans lequel il tient les journalistes dans leur ensemble, en témoigne ses "vœux" à la presse. Ce simple rappel devrait suffire à donner un peu de pugnacité à ceux qui, après cinq années de privation (puisque les "journalistes" qui en avaient le droit étaient soigneusement triés sur le volet), peuvent enfin mettre le chef de l'état face à ses responsabilités.
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Or sur France inter ce matin la situation a été quelque peu différente, Nicolas Sarkozy m'y étant apparu un peu trop à son avantage.
Si on peut lui reconnaître un charisme et un pouvoir de séduction tout bonnement phénoménaux, son arme principale comme en 2007 est bien un culot qui dépasse l'imagination à tel point que dorénavant il faut bien appeler cela par son vrai nom: il s'agit de manipulation à grande échelle. Mais pas n'importe laquelle car c'est bien tout l'appareil d'état qui est au service de celle-ci, à laquelle il faut ajouter les amis richissimes qui mettent la main au portefeuille de manière étonnamment synchrone avec l'entrée en scène du candidat, afin de régler superficiellement et à bon compte des conflits sociaux vieux de plusieurs mois.
Ce matin il annonce en direct l'investissement qui va être réalisé par Mittal pour relancer le haut fourneau lorrain grâce à la pression de "l'état français", autant dire de Nicolas Sarkozy lui-même. Ajoutons à ce coup de pouce fortuit la technique consistant à réfuter tous les chiffres qui le mettent en défaut, ainsi qu'une curieuse passivité des journalistes de France inter et nous aurons un aperçu quasi-complet de l'interview/plébiscite de ce matin.
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Nicolas Sarkozy a quand même dit une chose incroyable, en effet d'après lui il faudrait sortir de "la paupérisation les enseignants". Oubliant sans doute qu'il a été chef de l'état pendant cinq ans, il admet que ceux qui ont en charge l'éducation dans notre pays sont des travailleurs pauvres, il serait effectivement temps d'y remédier!
S'il admet qu'il y a un problème de vocation, en bon néolibéral ce ne sont pas les conditions de travail (qu'il a considérablement dégradées) qui sont en cause mais une insuffisante rémunération. Il faut donc augmenter les salaires, mais en augmentant aussi le temps de travail ce qui abouti au résultat suivant: la rémunération horaire sera finalement diminuée puisque le nombre "d'heures supplémentaires" qui seront imposées "volontairement" au corps enseignant du secondaire correspond à 44% d'heures de travail en plus par semaine, pour un gain de salaire de...25%. Aucune "revalorisation" en revanche n'est prévue pour les enseignants du primaire, sont-ils moins en "voie de paupérisation" que leurs collègues du secondaire?
La technique bien rodée de saturation du champs médiatique fonctionne malheureusement à merveille pour le moment. Les journalistes ne semblent plus savoir sur quoi l'attaquer tellement ils ont l'embarras du choix. Tous les jours de nouveaux mensonges apparaissent: "candidat du peuple", "la France forte", aujourd'hui l'éducation, et il a encore osé parler de la "république irréprochable" ce matin au nez et à la barbe des impertinents Thomas Legrand et Bernard Guetta qui semblent mieux inspirés quand Nicolas Sarkozy n'est pas présent physiquement. Cet homme ne reculera devant aucun cynisme, puisqu'il engage sa campagne avec l'idée maîtresse de rupture avec sa propre politique c'est à dire avec lui-même. La rupture avec Chirac passe encore mais là comment une idée aussi curieuse peut-elle ne pas recevoir la sanction médiatique qu'elle mérite?
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J'arrive néanmoins à comprendre cette anesthésie journalistique même si je ne l'excuse pas, cet homme enchaîne les mascarades et les mensonges avec une force de conviction telle, qu'on aurait presque envie de le croire. Il semble mettre au point une nouvelle technique électorale, plus le baratin est gros et ridicule plus il a de chance de ne pas être contrecarré puisqu'il n'est même pas interrogé dessus.
Tous ces mensonges demandent du temps pour être déconstruits, mais quelle frustration d'entendre ce manipulateur n'être même pas mis en difficulté une seule fois. Le choix est tellement large et le temps qui reste tellement court qu'il faut accepter de ne pas pouvoir traiter de tous les scandales que ses gouvernements successifs ont commis. Il me semble que par delà les clivages, au moins un fait devrait être systématiquement rappelé à Nicolas Sarkozy à chaque interview.
Il s'agit de l'affaire Woerth-Bettencourt, où l'ancien ministre a été mis en examen pour recel et trafic d'influence passif. Cette mise en examen est un fait monumental et devrait être ingérable pour le clan Sarkozy, d'autant que cette affaire a l'avantage d'être un condensé de ce qu'il y a de pire dans notre république: justice manipulée, oligarchie toute puissante, médias amorphes, politiciens corrompus, cynisme...une multitude de questions apparaîtrait instantanément au journaliste qui voudrait bien ne serait-ce qu'aborder le sujet.
Quand même dans quelle démocratie vit-on pour qu'aucune question ne soit posée sur cette histoire? va-t-il pouvoir faire sa campagne sans être inquiété le moins du monde par cette affaire tentaculaire? sans oublier l'affaire Karachi...
Il doit des comptes aux français, il est du devoir des journalistes de na pas le lâcher avec cette affaire, même s'il montre les muscles les questions doivent être posées dix fois s'il le faut mais la liberté de la presse est à ce prix. Cela pourrait constituer une sorte d'antidote au déferlement d'annonces qui nous submerge tous.
A propos il serait intéressant qu'il vienne débattre librement à Médiapart comme F.Bayrou et E.Joly, mais en aura-t-il le courage?