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Billet de blog 3 déc. 2011

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Sondages : la quadrature du cercle (2)

Dans mon précédent billet, je démontrais que les sondages n'ont aucune valeur scientifique. Cependant en politique, ce qui est vrai n'est pas forcément  le plus important, il faut prendre en compte ce qui est jugé vrai par le corps électoral et les faiseurs d'opinion. En l'occurrence la grande majorité des journalistes et des citoyens utilisent les sondages comme base de réflexion, donnant ainsi un pouvoir considérable à des données en réalité  non interprétables et divulguées par des entreprises privées.

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Dans mon précédent billet, je démontrais que les sondages n'ont aucune valeur scientifique. Cependant en politique, ce qui est vrai n'est pas forcément  le plus important, il faut prendre en compte ce qui est jugé vrai par le corps électoral et les faiseurs d'opinion. En l'occurrence la grande majorité des journalistes et des citoyens utilisent les sondages comme base de réflexion, donnant ainsi un pouvoir considérable à des données en réalité  non interprétables et divulguées par des entreprises privées.

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Premièrement sans sombrer dans la théorie du complot, nous pouvons légitimement douter des intentions des instituts de sondage. Ces derniers

ne sont pas les garants de la démocratie et de la liberté d'expression, mais bel et bien des entreprises privées, cherchant à augmenter leurs profits grâce à une demande de sondage croissante. En d'autres termes sur le plan purement économique il leur importe peu que leurs résultats soient justes ou faux, ce qui compte c'est que les journalistes dans leur ensemble soient persuadés de leurs nécessités et de leurs justesses pour que les commandes soient continues. Ce seul argument devrait inciter les journalistes, prompts à accuser (à juste titre) les médecins de conflit d'intérêt avec les grands laboratoires pharmaceutiques, à se méfier très sérieusement des justifications de ces entreprises sondagières car l'analogie est là encore parlante. Un journaliste utilisant les arguments des sondeurs pour justifier l'utilité et l'importance d'un sondage que son journal a lui-même commandé, pourrait être accusé pareillement de conflit d'intérêt.

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Deuxièmement l'importance des sondages dans une campagne de primaire n'est plus à démontrer malgré les protestations du vainqueur. Que cela soit S.Royal en 2006 ou F.Hollande en 2011 faire voter massivement des citoyens non militants, donc moins à même de comprendre les luttes intérieures ainsi que les différences stratégiques et idéologiques (adhésion sur internet à 20euros en 2006, primaire citoyenne à 1euro en 2011), entraîne un biais de sélection énorme. Les citoyens de bonne foie viennent voter pour élire celui ou celle qui leur semble le ou la plus à même de battre le candidat d'en face. Comment se faire une idée de celui ou celle qui est le(la) mieux placé(e) à 1an de l'échéance? seuls les sondages offrent cette possibilité, il est frappant que dans les deux cas cela soit le candidat donné largement vainqueur au second tour, par les enquêtes sur les intentions de vote, qui soit largement vainqueur lors des primaires...

Dans ce cas le rôle des sondages est clairement néfaste, et chacun peut imaginer qui si Montebourg par exemple avait eu les chiffres de Hollande, le résultat du vote aurait probablement été bien différent. Cependant là encore , cela est difficile à prouver sur le plan scientifique.

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Finalement le rôle des sondages dans l'élection à la primaire socialiste est moins grave, dans une élection pluraliste où chaque courant politique est représenté au premier tour, que celui qu'ils jouent sur les résultats du premier tour de l'élection présidentielle, c'est le dramatique "vote utile". S'il existe probablement à droite un vote utile dans le sens où certains électeurs centristes par exemple seraient tentés de voter Sarkozy plutôt que Bayrou, dans la crainte d'avoir à choisir au second tour entre un candidat de gauche et l'extrême droite, je vais aborder le vote utile qui me concerne le plus à savoir celui de gauche jouant en faveur du PS.

En effet il est  frappant de constater dans les discussions, sur les blogs, dans les journaux que la plupart des citoyens admettant vouloir voter PS au premier tour ne justifient pas leur vote par des idées mais bien par la peur de devoir choisir entre deux scénarios catastrophes: choisir entre l'extrême droite et Sarkozy au second tour. La plupart sont d'ailleurs très critiques vis à vis du PS, et ne semblent pas nourrir trop d'espoir quant aux solutions qu'il pourrait apporter une fois au pouvoir. Outre le fait que cela représente une négation du principe démocratique, puisque les citoyens ne votent plus au premier tour pour des idées mais pour le candidat qu'ils pensent être le plus à même de leur éviter au second tour le ou les candidats qu'ils jugent être les pires pour le pays. Cette stratégie amène une importante question: comment les citoyens arrivent-ils à savoir lequel des candidats du premier tour pourra les protéger du scénario catastrophe redouté?

La réponse est évidente il n'y a que les sondages qui puissent leur apporter les éléments dont ils ont besoin. Dans le cas français, la ligne démocrate représentée par le PS est actuellement créditée de 30% d'intentions de vote au premier tour tandis que la ligne du socialisme historique

ou jauressienne représentée par le Front de gauche est autour de 6%. Historiquement c'est la branche principale du socialisme français, on peut donc légitimement penser qu'une partie importante de l'électorat PS se reconnaît davantage dans cette ligne que dans la ligne centriste. Pourtant le calcul est vite fait, même si les idées de l'électeur de gauche lambda sont plus proches des propositions du Front de gauche le risque paraît trop grand de se retrouver avec un nouveau 21 avril 2002. Notons avec ironie que les partis que l'on pourrait légitiment juger responsables de la montée du Front national à cause de leur incapacité gouvernementale chronique depuis 30ans (l'UMP et le PS), sont justement ceux qui profitent à plein de son score dans les sondages, alors qu'ils devraient logiquement être sanctionnés.

Il est évident que si les scores évoluaient, et que le PS était crédité de 20% d'intentions de vote et le Front de gauche 15%, le vote utile en faveur du PS s'effondrerait, puisque l'électeur de gauche se retrouverait dans la situation où il pourrait voter pour le candidat qui défend ses idées, sans avoir peur de tendre le septre à la droite extrême ou pas, le pied démocratique quoi. Cela sauverait peut-être le parti socialiste de la destruction qui l'attend en cas d'échec, car la perte de son seul argument électoral en l'état actuel des choses l'obligerait à revenir aux fondamentaux de la poilitique: être une force de propositions avec un projet politique d'avenir.

Nous voici arrivés à toute l'absurdité de ma position, je défends les idées du Front de gauche et malgré ma connaissance de la nuisance ainsi que de la fausseté des chiffres divulgués en masse par les sondeurs, je sais également que le victoire de mes idées passe par une augmentation du score du Front de gauche dans ces mêmes sondages, car ils font dorénavant parties de la campagne électorale . Seul un score à deux chiffres dans les sondages pourra briser les chaînes du vote utile. C'est la quadrature du cercle.

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Une dernière remarque. Nous ne pouvons pas écarter une hypothèse étant donné l'opacité dans laquelle sont fabriqués et maintenus de force les sondages: les sondeurs connaissant leur influence actuelle (et ne voulant surtout pas la perdre)  il est possible qu'ils aient parfaitement intégré l'argument du vote utile, il est possible également que le rôle du Front national dans le statu quo politique français soit également parfaitement intégré par ces mêmes sondeurs, et il est possible aussi qu'un parti comme le Front de gauche représente une menace pour les intérêts économiques de ces instituts, qui encore une fois ne sont pas des institutions démocratiques et publiques mais bien des entreprises capitalistes privées. Nous ne pouvons

donc pas écarter l'hypothèse selon laquelle le score du Front de gauche soit maintenu artificiellement bas et celui du Front national artificiellement haut pour permettre d'assurer la victoire d'un candidat qui défendra au mieux l'intérêt de ceux qui produisent les sondages. En tout cas tant que tous les résultats et méthodes ne seront pas publiés pour chaque sondage, cette hypothèse ne pourra être considérée comme totalement ridicule, surtout lorsque l'on connaît la porosité du milieu oligarchique.

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