Les sondages pré-électoraux ont manifestement su prédire correctement les intentions de vote. S'il est rageant de constater que les médias dominants et les sondeurs aient pu approcher le dénouement final il faut, maintenant que le calme est revenu et l'objectif atteint, faire les comptes pour tenter de comprendre ce que nous devons réellement aux faiseurs d'opinion.
Tout d'abord disons-le tout net, quelque soit le niveau de similitude entre les sondages de dernière minute et les résultats finaux, cela ne change absolument rien au caractère non scientifique des méthodes utilisées. Mais je suis obligé d'admettre mon erreur complète concernant les résultats du premier tour, en effet j'étais persuadé que le vote Front de gauche était minoré tandis que le vote Front national était majoré par les instituts. Il est malheureusement impossible de connaître l'ampleur de l'incitation que provoquent les sondages quant aux votes réels, dès lors beaucoup d'interprétations sont possibles. Certains estiment que 30% des électeurs de Hollande auraient hésité à voter Front de gauche au premier tour. Je ne sais pas d'où sort ce chiffre qui paradoxalement continue à donner trop d'importance aux enquêtes d'opinion, mieux vaut oublier cela et nous concentrer sur la réalité.
Les faits sont là: le Front de gauche a fait 11% et le FN 18% alors que je pensais, vu la campagne extraordinaire du FDG, que les scores seraient plutôt dans l'autre sens. Or dans une ambiance électrique, probablement due aux thèmes abordés par le FN et malheureusement relayés par l'UMP, la dernière semaine de campagne a été parfaitement surréaliste. Ceci tend à prouver, à mon sens, que les partisans du Front de gauche n'ont pas rêvé, et que beaucoup ont manifestement pensé que le FDG constituait une menace pour le PS au premier tour.
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Que s'est-il passé cette dernière semaine? nous avons assisté à une attaque en règle du Front de gauche, et pas de manière très noble, puisqu'au lieu d'attaquer politiquement le programme, c'est au candidat que certains médias s'en sont pris malheureusement avec un écho extrêmement important. Le message était: "Mélenchon est copain avec Buisson, Guaino et Bachar El-Assad". Cette campagne de dénigrement aurait pu être débutée bien avant la dernière semaine, pourtant c'est à ce moment là qu'il a manifestement été décidé dans les "rédactions" de la mener pour informer le peuple bien entendu.
Ce message très subtile était couplé au message habituel: Le Pen est un immense danger. Remarquons immédiatement qu'à part Le Figaro il m'a semblé que l'immense majorité de la presse et des médias audiovisuels importants étaient pro-Hollande, ou plus exactement anti-Sarkozy, ce point est primordial. Il est très curieux de constater que les médias dans leur ensemble ont réagi comme ils le font depuis toujours face au FN, en criant au loup sans jamais chercher à combattre les idées portées par ce parti, mais en faisant des reportages montrant la solidité de l'ancrage du parti dans tel ou tel quartier, ou dans tel village, etc. Autrement dit l'angle "d'attaque" a été la dénonciation moralisatrice de ceux qui savent. Même Marianne qui prétend pourtant s'ériger contre cette attitude a sombré dans ce travers durant toute la campagne. Soulignons qu'encore une fois le seul média, dans ceux que j'ai eu l'occasion de lire, qui a adopté une attitude résolument combative face au FN c'est Médiapart.
En partant du principe que la plupart des journalistes sont de bonne foi et veulent réellement combattre le FN, il est d'autant plus impardonnable à ceux-ci d'avoir choisi cette tactique car cette fois des argument solides pour combattre ce parti étaient disponibles. Je pense par exemple aux travaux de Sylvain Crepon (Enquête au coeur du Front national), de Claire Checcaglini (Bienvenu au Front), ou ceux de Caroline Monnot et Abel Mestre (Le système Le Pen). Bref comment expliquer l'absence de pugnacité constatée, en dehors de quelques accrochages économiques?
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Car quelque soit le penchant politique, il faut admettre que les attaques de la dernière semaine ont été réservées non pas au Front national, ni au Front de gauche, mais à Mélenchon personnellement, et cela de la part de journaux foncièrement anti-Sarkozystes (Nouvel obs notamment).
Si certains éditorialistes vouent une haine sans borne aux idées défendues par Mélenchon et ont attaqué ce dernier par goût idéologique, je reste persuadé que la plupart des journalistes l'ont attaqué car ils ont pensé qu'il pouvait passer devant Hollande. Or dans l'hypothèse d'un second tour Mélenchon/Sarkozy il y avait un risque pour que Sarkozy soit réélu, et comme il s'agissait pour la plupart des journaux de se débarrasser de lui, il fallait à tout prix empêcher le Front de gauche de doubler le PS. Le combat "à la régulière" semblant tourner à l'avantage du FDG, les attaques personnelles leur ont semblé l'ultime carte à utiliser.
Cependant je voudrais ici souligner un effet extrêmement pervers de cette stratégie. Même si ce n'était peut-être pas le but, le résultat a été d'inclure Mélenchon dans l'oligarchie alors qu'il prétend la combattre. D'un autre côté le FN est présenté comme une menace. Or les électeurs qui votent FN par protestation ont tendance, on se demande bien pourquoi, à détester les journalistes et à estimer qu'ils sont l'une des composantes de l'oligarchie. Dès lors que Mélenchon est un faux révolutionnaire (n'oublions pas qu'il est ami avec El-Assad) et qu'il fait partie intégrante de cette oligarchie, tandis que manifestement Le Pen fait peur à la bonne société où va se placer le vote protestataire?
En effet la subversion, le vote anti-système, deviennent effectivement le vote FN. Notons avec ironie que ce sont les mêmes arguments qui ont été choisis par le FN pour combattre le Front de gauche: Mélenchon est un faux révolutionnaire, un "leurre", il fait partie du cénacle car c'est un ancien ministre etc,etc. Autrement dit plutôt que de combattre le FN, les médias les plus puissants ont préféré utiliser les arguments du FN pour combattre...le Front de gauche.
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Lorsque l'on connaît les résultats du premier tour (FN 18% et FDG 11%) qui sont proches de ceux des sondages effectués la dernière semaine, il faudra bien un jour avoir une explication de texte: pourquoi avoir attaqué aussi violemment Mélenchon au dernier moment plutôt que le parti réellement menaçant? quels informations justifiaient un tel lynchage?
Il paraît ridicule aujourd'hui d'avoir chercher à démolir un candidat qui finalement n'a fait que 11%. Il y a donc deux possibilités, soit ils ont très mal analysé la situation, soit le FDG menaçait réellement Hollande et la contre-attaque a été efficace, le score du FDG en a alors subi les conséquences. Il est impossible de trancher, mais ce qui est certain c'est que cette attitude (qui valide les pires thèses des nouveaux chiens de garde préférant le FN au FDG) a révélé une fébrilité très importante à l'approche du dénouement qui à long terme coûtera chère à ceux qui l'ont pratiquée. Cette inquiétude vis à vis du FDG s'est également retrouvée tout au long de la campagne, avec un Hollande semblant courir derrière Mélenchon, jusque dans les bureaux de vote où le PS était loin d'être serein malgré des sondages ultra-favorables.
Tout cela nous amène à la conclusion suivante: manifestement beaucoup de personnes bien placées ont réagi comme si le FDG pouvait être présent au second tour, ou du moins comme s'il représentait une menace pour le candidat adoubé. Dès lors que nous connaissons le score final qui invalide complètement cette thèse, faut-il penser qu'il s'agit d'une mauvaise analyse de la situation, ou bien que la stratégie de déstabilisation du FDG a fonctionné impeccablement? ou bien y a-t-il une réalité se situant entre ces deux hypothèses?
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