L'actualité de ces dernières années est souvent comparée aux années 30, la crise de 2008 étant reliée à celle de 1929. Si ces 2 périodes ont en effet des similitudes, je trouve que l'analyse de la période des années 20 apporte des clés supplémentaires, tant en termes de politique intérieure qu'en termes de politique économique.
Sur le plan financier la situation française au sortir de la guerre est dramatique avec un endettement public passée de 33 milliard de francs-or en 1914 à 219 milliards de francs-or en 1919, soit une multiplication par plus 6.5 de la dette publique!
Or environ la moitié de cette dette (120 milliards) est constituée d'une "dette flottante", autrement dit une dette contractée sur les marchés financiers. Autre analogie avec l'actualité, le franc est surévalué puisque son cours forcé permet artificiellement de conserver sa parité-or avec le franc de 1913. Malgré les multiples artifices comptables utilisés par les gouvernements successifs pour tenter de masquer cette réalité, cette dette flottante représente une grave menace pour la stabilité du franc, qui provoquera sous la pression des marchés une dévaluation massive.
Mais surtout cette dette est utilisée par les milieux bancaires, qui la détiennent en grande majorité, pour peser lourdement par le biais de la banque de France sur la politique économique du pays, et l'orienter selon leurs intérêts. Ce n'est un secret pour aucun historien, ce ne sont pas "les marchés", mais bien les milieux d'affaires qui agissent selon leurs intérêts propres durant cette période, qui n'a rien à voir avec l'intérêt général.
Une différence importante toutefois, il existe dans le pays une inflation importante du fait de l'utilisation de la "planche à billets" auprès de la banque de France, qui n'était pas encore interdite. Cette situation ne nous concerne pas étant donné le taux d'utilisation de l'appareil productif très bas actuellement, qui permettrait une inflation très modérée en cas de recours à la monétisation de la dette.
*
La gauche lors de cette période, est composée de 3 grands partis. Les Radicaux-socialistes qui constituent le groupe dominant, que l'on pourrait associer aisément au PS actuel, parti réformiste de centre-gauche, libéral sur le plan économique mais refusant tout rapport de force avec le capital. En revanche il est plus laïc que le PS actuel, Herriot ayant même tenté d'abolir le concordat en 24-25.
La deuxième force est la SFIO traversée de plusieurs courants, mais dont la ligne est un réformisme révolutionnaire par les urnes, devant aboutir à l'avènement du socialisme. Il faut donc s'attaquer au capital, mais la SFIO rejette l'action violente prônée par les communistes. Alors que les radicaux ne la remette pas en cause, les socialistes estiment qu'une partie de la dette est illégitime puisqu'elle correspond à l'enrichissement de certains capitalistes sur le dos des citoyens partis se faire massacrer au front, et qu'il faut taxer fortement le capital. La SFIO accepte de former le cartel des gauche pour battre la droite aux élections de 1924, mais il s'agit d'une alliance électorale sans contenu programmatique. Les socialistes refusent de participer à un gouvernement dirigé par les radicaux mais leur poids important à l'assemblée pèsera sur la politique du gouvernement.
On retrouve ici une orientation politique qui peut évoquer celle du Front de gauche actuellement.
La troisième force est le jeune parti communiste (SFIC), né d'une scission avec la SFIO en 1920 sur la base des 21 conditions de Lénine leur donnant le droit de faire partie de la 3ème internationale. Ces conditions font de la SFIC un parti quasi-clandestin dans son action politique durant les années 20, refusant la moindre alliance du fait de son attitude maximaliste et espérant l'avènement de la dictature du prolétariat grâce au "grand soir". La SFIC refusant en particulier la "discipline républicaine" qui veut que lors du 2eme tour des élections, tous les candidats de gauche appellent à voter pour le candidat de gauche le mieux placé au soir du premier tour. Cette tactique coutera chère aux candidats de la SFIO avec de nombreuses triangulaires en particulier en 1928.
Le paysage politique des années 20 nous rappelle l'existence du "tapis roulant" de l'histoire politique, l'apparition de nouveaux partis à gauche entraîne inexorablement vers la droite les partis de gauche les plus anciens, à mesure que la société évolue.
*
Pour poursuivre l'analogie avec l'époque contemporaine, la crise des subprimes a provoqué une augmentation des dépenses publiques à laquelle il faut ajouter la contribution des gouvernements de droite successifs qui en représente la majeure partie. Mais le résultat, bien que dans des proportions moindres qu'après la première guerre mondiale, est bien une dette publique ayant explosé et, c'est le point primordial, elle a été contractée sur les marchés financiers. La pression exercée par les milieux d'affaires, en particulier financiers, sur le gouvernement français utilise actuellement comme relais la BCE, comme ceux des années 20 utilisaient la banque de France. Durant cette période Herriot (leader des radicaux et président du conseil de 24 à 26) échouera à "rassurer les marchés", et c'est Raymond Poincaré qui rétablira la situation grâce à un mélange d'économies budgétaires, d'augmentation des impôts directs et indirects, associées à une dévaluation qui surviendra en 1928. Aucune remise en cause de la libéralisation de la finance n'est abordée, la crise de 29 se chargera de mettre en évidence cet oubli.
Mais ces mesures ont été prises dans un contexte de reprise économique survenant après l'hécatombe de 14-18, avec une croissance importante ce qui a permis leurs succès. Notons que dans la France contemporaine la dévaluation est impossible, les impôts ont été augmentés de manière homéopathique et seules les économies budgétaires semblent sérieusement envisagées, mais elles surviennent dans un contexte de stagnation voire de récession ce qui rend le remède au mieux inefficace, au pire dangereux.
*
La comparaison avec les années 20 me semble intéressante car, comme actuellement, le problème n'était pas tant la dette publique en elle-même que la manière dont elle a été contractée. En effet la fameuse dette flottante détenue par les investisseurs des années 20, renvoie à celle d'après 1973 date à partir de laquelle la France a été obligée d'emprunter sur les marchés financiers pour financer ses emprunts. Grâce à l'analyse de cette époque nous avions les moyens de savoir qu'une telle dépendance à l'égard des marchés financiers, donc des banques, entraînait automatiquement une prise du pouvoir de fait par ces marchés au détriment des citoyens et donc du suffrage universel, les gouvernants étant pris en otages. Herriot avait appelé cela le "mur de l'argent".
Ce point crucial n'est jamais débattu par aucun des deux partis majoritaires, puisqu'il semble admis que les états européens soient dorénavant contraints de se financer uniquement sur les marchés financiers, ceci étant inscrit dans le traité de Lisbonne, alors qu'il s'agit d'un choix politique. Les marché financiers sont alors les boucs émissaires d'une situation validée depuis 40ans par les représentants du peuple qui sont en réalité les vrais coupables. En effet on peut comprendre que dans la panique de la guerre de 14 la France ait fini par emprunter sur ces marchés, à l'époque le chantage qu'effectuerait ensuite les détenteurs de cette dette pouvait paraître secondaire devant les problèmes immédiats de la guerre. En revanche qu'est ce qui a forcé le gouvernement français de Giscard en 73 à suivre ce même chemin, qui a ensuite été confirmé par tous les gouvernements suivants?
D'autant que cette fois-ci le précédent des années 20 permettait aux gouvernants de connaître le risque que cela comportait pour le suffrage universel et donc pour la démocratie. Il y a alors trois possibilités, soit ceux qui ont pris ces décisions ignorent l'histoire, soit le but recherché était justement d'amoindrir très fortement le vote des citoyens, tout en conservant l'apparence de la démocratie, soit ils ne comprennent pas ce qu'ils font. Sur ce sujet crucial qui est le coeur de la crise de la dette publique en europe, le PS reste dans une ambiguïté inquiétante.
Autre enseignement la pusillanimité des radicaux durant cette période charnière finira par provoquer un basculement du rapport de force à gauche, la SFIO devenant le premier parti de gauche dès les élections de 1928.