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Billet de blog 12 février 2011

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Philippe Askenazy: une analyse précieuse

Le dernier livre de Philippe Askenazy, «Les décennies aveugles», par une analyse historique minutieuse et passionnante étaye de manière très solide l'une des mesures clamée par Jean-Luc Mélenchon qui, d'après ce que j'ai pu lire et entendre ici où là ne manquera pas d'être taxée de démagogie, à savoir la titularisation de tous les statuts précaires dans la fonction publique. Soit environ 800 000 personnes. 

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Le dernier livre de Philippe Askenazy, «Les décennies aveugles», par une analyse historique minutieuse et passionnante étaye de manière très solide l'une des mesures clamée par Jean-Luc Mélenchon qui, d'après ce que j'ai pu lire et entendre ici où là ne manquera pas d'être taxée de démagogie, à savoir la titularisation de tous les statuts précaires dans la fonction publique. Soit environ 800 000 personnes.

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Tout d'abord Philippe Askenazy n'a, à ma connaissance, aucun lien avec le parti de gauche ou avec Jean-Luc Mélenchon. Et d'ailleurs son livre n'est absolument pas une validation des thèses du PG. C'est un chercheur du CNRS, et il appartient également au groupe des économistes attérés.

Mais l'analyse qu'il développe est passionnante et nous donne des clés pour l'élection de 2012.

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Son analyse des 40 dernières années de politiques économiques concernant l'emploi et la croissance dans les pays de l'OCDE, aboutit à un constat implacable : les gouvernements de gauche comme de droite ont systématiquement privilégié les réformes ficalo-sociales pour tenter de remédier au chômage (les contrats aidés, incitations fiscales pour les emplois peu qualifiés, heures supplémentaires, etc...). Or non seulement il est très difficile de réussir à connaître l'efficacité de ces mesures pour des raisons méthodologiques et de conjonctures internationales, mais nous sommes certains en revanche que ces mesures coûtent très chers à l'état français. En clair ces réformes sont très couteuses pour un résultat non significatif. Et Philippe Askenazy montre qu'en moyenne le coût pour l'état d'un emploi créé grâce à ces exonérations fiscales est équivalent à celui d'un fonctionnaire à temps plein, alors que dans le même temps les emplois dans la fonction publique sont considérés comme trop coûteux, voire néfastes à notre économie et que l'obsession de tous les gouvernements a été de "dégraisser le mammouth"...

Il prétend également que n'ayant pu obtenir des résultats flagrants par ces mesures d'incitations fiscales en terme d'emplois (hormis la création d'un "précariat" comme le dit Mélenchon, particulièrement des jeunes), l'état doit intervenir notamment en stabilisant massivement le statut des employés de la fonction publique (soit environ 800 000 postes crées) tout en étendant les champs de cette dernière, car il s'agit d'un levier rapidement utilisable, tout en supprimant les diverses éxonerations de charge mises en place depuis 40ans. Outre le soulagement moral des fonctionnaires ainsi titularisés et le cercle vertueux enclenché, cela aura un autre effet que Mélenchon a peu souligné jusqu'à présent : celui de tirer les contrats vers le haut (c'est à dire vers des CDI) par "capillarité" car les employeurs privés sont en concurrence avec l'état dans de nombreux domaines.

Pour le financement, qu'il chiffre à environ 20 milliards d'euros pour les 800 000 CDI, il propose plusieurs points qui n'auront d'après lui aucun effet négatif sur l'économie marchande, sauf en ce qui concerne les profits :

- suppression des avantages sur les heures supplémentaires

- suppression de la TVA réduite dans la restauration (car aucun effet sur l'emploi n'a été démontré, pire chaque emploi créé coûte l'équivalent de 4 infirmières débutantes à temps plein!)

- suppression des exonérations de plus-value de cession

- refonte du Crédit d'impôt recherche

Une mesure simple, réalisable dès l'accession au pouvoir et possédant des vertus intrinsèques intéressantes pouvant retentir sur toute l'économie française. Pas une simple annonce électorale donc mais bien déjà une petite rupture idéologique.

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Au delà de cette mesure, qui n'est que l'une de celles proposées par P.Askenazy, la lecture de son livre donne une étrange impression d'incompétence et surtout de copinage validant une fois encore, sans doute sans le vouloir, la thèse de Jean-Luc Mélenchon. En effet tous les décideurs de droite comme de gauche semblent interchangeables les uns les autres tout en assurant une certaine continuité de la politique économique. Ils passent ainsi d'un groupe d'expertise en conseils économiques à la direction de l'INSEE, pour devenir ensuite directeur de cabinet de tel ministre puis conseiller économique de tel PDG, pour ensuite prendre la direction de tel groupe... En fait depuis 40ans les politiques publiques sont basées sur exactement les même paradigmes économiques véhiculés par les mêmes experts, formés dans les mêmes écoles, pour se tromper de la même manière...

La sensation d'inaptitude économique semble tout de même plus prégnante dans la dernière décennie, où les mesures adoptées en France étaient systématiquement appuyées sur des études peu fiables car demandées dans l'urgence de la prochaine échéance électorale. C'est pour cela que de nombreux effets pervers passent systématiquement entre les mailles du filet donnant à l'ensemble une certaine forme d'amateurisme.

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Cependant P.Askenazy souligne un point important commun à tous les gouvernements: l'absence de réel projet économique de long terme pour la France, à

part l'obsession de rendre notre marché de l'emploi plus flexible. Il propose pour cela plusieurs pistes notamment un renforcement très important des systèmes éducatif, de recherche et de santé.

Au total un livre qui ne se contente pas d'une analyse pourtant passionante mais qui fourmille d'idées. Un bémol toutefois, à l'image de la critique faite aux économistes attérés, P.Askenazy ne semble pas entrevoir d'autres horizons que la croissance du PIB même si à la fin du livre il évoque la possibilité d'utiliser d'autres indicateurs, j'aurais aimé une remise en question de ce paradime là également. Le capitalisme n'est de même jamais ébréché, seul ses déséquilibres sont pointés, mais il s'agit quand même d'un livre extrêmement précieux.

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