J'aimerais essayer de comprendre pourquoi les médias audio-visuels ont une telle affinité pour les faits divers comparativement aux journaux papiers dit "sérieux". Dernier exemple en date les mineurs au Chili. Si certains d'entre vous (notamment les premiers intéressés) ont des suggestions...
Si pour une fois le fait divers en question est plutôt une bonne nouvelle, il est quand même extrêmement problématique qu'il soit considéré comme l'information principale toute la journée à la radio puis qu'il soit traité en priorité jusqu'à représenter la moitié du journal d'information.
Certes, exceptionnellement il ne s'agit pas d'une affaire sordide, d'un attentat ou d'une catastrophe qui donneraient envie aux citoyens de s'enfermer à double tour chez eux, mais pour moi il s'agit du même problème de fond: ce journalisme à sensations qui m'exaspère.
D'autant que cette fois la période n'est pas neutre, n'y a t-il meilleur sujet à traiter un lendemain de grève nationale qui a rassemblé plus de 3 millions de personnes dans la rue?
Sans compter que le risque de banaliser le mouvement social existe, comme s'il était normal ou naturel qu'il y ait autant de monde dans la rue toutes les semaines, un sujet secondaire en quelques sortes.
On assiste à un piétinage en règle de la démocratie, à un effritement du pacte républicain avec la loi sur la déchéance de la nationalité qui vient d'être votée à l'assemblée, et la moitié du journal est utilisée pour qu'un journaliste puisse, en direct, nous expliquer tout le parcours de chaque mineur libéré: embrassades, médecin, hôpital, interview, re-embrassades...
C'est magnifique mais l'information aurait pu être traitée en une phrase.
Je n'ai pas eu le plaisir de voir nos chers JT de 20h, mais je mets ma main à couper que l'information a été relayée de la même manière. Ce qui est curieux c'est qu'en dehors des flash d'informations, le sujet des retraites est omniprésent avec de nombreux invités, en tout cas sur la radio publique. On dirait que les informations sont considérées comme secondaires, comme une interruption où le fait divers devient roi.
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Or cette surexposition du fait divers n'est pas la même dans les journaux écrits. Il y en a toujours trop à mon goût, mais cela reste raisonnable, ils ne font ni la une ni la moitié des informations nationales, en général bien entendu. A fortiori je me réjouis que le fait divers soit intégralement banni des sujets de médiapart, même si bien sûr avec le papier (ou le site) le lecteur est plus libre, il peut choisir les articles, alors que le flash est imposé de la même manière à tous les auditeurs.
Pourquoi une telle différence?
Pour reprendre l'exemple de médiapart est-ce que l'indépendance totale de la rédaction permet aux journalistes de préférer les enquêtes plutôt que les faits divers forcément moins compromettants? Je n'y crois pas trop, la plupart des journalistes ont la sensation d'une liberté totale de ton, à priori il n'y a pas de consignes strictes imposant de saturer les informations de faits divers à des fins politiques, le système médiatique s'auto-régulerait.
Est-ce une question de coût? C'est sans doute un argument plus sérieux, couvrir un fait divers est beaucoup moins cher que d'engager un journaliste à temps plein sur une seule affaire, qui ne procurera à la rédaction qu'un (bon) papier irrégulièrement, peu rentable donc. L'impératif d'un quotidien, qui a besoin de matière pour pouvoir être publié tous les jours, a sans doute un rôle important également.
Autre point, le suivisme journalistique, la "concurrence" abordant tel fait divers, chaque rédaction se sent dans l'obligation d'en parler aussi pour ne pas paraître à coté de la plaque.
Peut-être y a t-il aussi une mauvaise appréciation des journalistes audio-visuels qui estiment que c'est cela qu'attend le téléspectateur ou l'auditeur, du sensationnel, du graveleux, voire de l'irréel puisque l'on a parfois l'impression que nous n'avons pas affaire au même monde ou au même pays. Les journalistes se sentent peut-être piégés par leur audimat, se résignant à parler de sujet qu'ils jugent superficiels mais indispensables à leur survie économique puisque c'est cela qui ferait gonfler l'écoute. C'est un cercle vicieux car les auditeurs qui veulent une information sérieuse vont cesser de s'intéresser à ces médias, il ne "reste" donc plus que ceux que cette information superficielle satisfaits, incitant ainsi les journalistes à combler leur attente et à observer, qu'effectivement, lorsqu'ils traitent de sujets plus systémiques l'audimat baisse puisque ce dernier attend du sensationnel. S'il n'est pas satisfait il passera à la concurrence qui, de toute façon, lui en fournira. La boucle est bouclée, les journalistes n'ont plu qu'à conclure que c'est le superficiel qui fait recette, alors que l'échantillon sur lequel il base leur impression n'est représentatif que d'une certaine catégorie de citoyens, les autres ayant déserté.
Mais n'y a t-il pas un problème de formation?
J'écarte ici le rôle des médias dans l'accompagnement ou le renforcement de l'idéologie dominante pour tenter de comprendre pourquoi les JT ou les journaux de radio semblent tous identiques.
Y a t-il une formation "spéciale" pour l'audio-visuel qui formaterait leur vision de l'actualité?
Ou bien les journalistes qui ont envie d'enquêter iraient naturellement vers les médias plus tournés vers l'investigation, ou encore est-ce un privilège réservé à une élite, une sorte d'ENA du journalisme où les meilleurs pourraient prétendre à enquêter, les autres étant condamnés à se partager les faits divers?
Vraiment je m'interroge sur la formation de cette divergence nette de qualité entre les informations contenues dans les quotidiens nationaux et celles des médias audio-visuels, même si la différence tend malheureusement à s'amoindrir pour atteindre une égale superficialité.