Je m'interroge sur le bienfait pour François Hollande de recevoir, cinq jours avant le premier tour, le soutien de trois responsables de droite, dont deux de l'ère Sarkozy.
Si je suis sûr que du point de vue de l'état major socialiste ce ralliement représente (officiellement) la capacité à rassembler de François Hollande, pour les électeurs de gauche cela apporte plutôt de la confusion.
En effet alors que le slogan fièrement arboré sur les tee-shirts et banderoles des militants filmés lors des meetings est Le changement c'est maintenant, quel changement est-on en droit d'attendre d'un candidat qui reçoit le soutien de l'ancienne secrétaire d'état chargée de la politique de la ville de Sarkozy, Fadela Amara, et de l'ancien haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse du même Sarkozy, Martin Hirsh?
Certes ces deux personnages sont respectables et se situent plutôt à l'autre extrémité du spectre de la droite que Claude Guéant mais tout de même, cela pose un problème pour l'électorat de gauche.
Azouz Begag quant à lui est adhérent au mouvement République solidaire de Villepin après avoir été au Modem. S'il n'est certainement pas exagéré de le considérer comme un opportuniste surtout lorsque l'on sait qu'il cherche une circonscription pour les législatives, encore une fois cette porosité entre droite et gauche est, je pense, très mal vue de la population qui analyse cela comme une même oligarchie.
Attendons le ralliement de Besson et de Kouchner pour parachever ce tableau bigarré.
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Outre l'ironie de la situation, il s'agit bien de la preuve de l'orientation politique choisie depuis le début par Hollande, et qui est malmenée par la montée du Front de gauche. En effet au début de la campagne le Modem était annoncé par les sondages comme une force bien supérieure au Front de gauche, il était donc logique du point de vue électoral de vouloir capter ces voix centristes. De plus cela correspond à l'orientation idéolologique de la 3ème voie théorisée par Clinton et Blair, et dans laquelle Hollande se reconnaît, ce qui n'est pas un secret puisqu'il suffit de lire les textes qu'il a écrits.
Avec un Front de gauche possiblement autour de 20% voire au second tour, pourquoi Hollande n'a-t-il pas modifié sa stratégie?
Pour les socialistes il y a dorénavant deux possibilités, puisqu'ils n'envisagent pas un second tour sans eux:
1- soit Hollande affrontera Mélenchon, dans ce cas il aura besoin de récupérer les voix de droite pour pouvoir l'emporter, sa stratégie très souple est donc parfaitement cohérente, mais la question du "changement" se pose de nouveau de façon aiguë. Il envoie ainsi dans les bras du Front de gauche tout ou partie de l'électorat traditionnel du PS.
2- soit le second tour opposera Hollande à un candidat de droite: dans ce cas il aura besoin des voix du Front de gauche pour gagner. On pourrait penser dans ce cas que la stratégie suivie est périlleuse, mais en réalité il est évident que la discipline républicaine jouera et que l'immense majorité des voix du Front de gauche se reporteront automatiquement sur lui. Cela "fausse" le jeu en quelque sorte car il peut ainsi lorgner tranquillement à droite en sachant pertinemment qu'il récupérera tout de même les voix de gauche au second tour "grâce" à l'épouvantail Sarkozy.
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Cependant l'état major socialiste ne raisonne qu'à court terme, car si le scénario numéro 2 se produit, ils ne prennent pas en compte l'immense exaspération des électeurs de gauche, qui eux ne raisonnent pas uniquement en terme d'élection mais en terme de projet et surprise d'avenir. Ces divers ralliements de droite finiront de faire voler en éclats les espoirs de ceux qui, malgré la campagne, pensaient encore que Hollande incarnait un vrai changement. Il parle d'ailleurs lui-même d'alternance dans ses discours, ce qui en dit long pour le parti majoritaire "d'opposition". Mais il veut gagner vite, tout de suite, peu importe les conséquences tant qu'il est élu.
Si les citoyens de gauche voteront effectivement pour Hollande afin de se débarrasser de Sarkozy, il est quasi certain qu'ils se retrouveront rapidement sous la bannière du Front de gauche une fois l'élection/éviction terminée. L'émergence d'un nouveau courant politique puissant à gauche, obligera le PS à choisir: basculer définitivement au centre-droit, au risque d'imploser et de se couper définitivement de l'électorat de gauche, ou bien entamer une convergence vers le Front de gauche, ce qui ne plaira pas beaucoup à l'état major socialiste provoquant là aussi une éventualité d'implosion très forte. Autant dire qu'une évolution, tant attendue, a été atteinte dans cette campagne car elle aboutit à une explosion du PS tel que nous le connaissons actuellement à très court terme. Car il n'est pas possible avec un Front de gauche puissant sur sa gauche qu'un Hamon et qu'un Valls continuent à faire parti commun. L'histoire politique s'accélère et elle en dépasse beaucoup.
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Mais il y a une autre hypothèse: à force de désespérer le peuple de gauche par une campagne plus que médiocre Hollande prend le risque de ne pas être au second tour au profit du Front de gauche.