Pour les habitués de la critique médiatique, l'affaire concernant Dominique Strauss-Kahn n'est qu'un révélateur de plus du fonctionnement de ce que l'on appelle encore parfois du journalisme. Pour ceux qui douteraient de la nécessité de modifier profondément le financement et la pratique du journalisme cette affaire pourrait être un catalyseur.

La situation médiatique que nous vivons est tout simplement ahurissante: depuis 3 jours les journalistes ne parlent que de D.Strauss-Kahn, les éditions spéciales s'enchaînent, toute l'actualité française et apparemment mondiale ne tourne qu'autour du même sujet. Finalement que sait-on? nous savons que DSK a été arrêté puis emprisonné à la suite de la plainte d'une femme, point. Ce n'est pas un secret, ces mêmes journalistes avouent à chaque intervention qu'ils n'en savent pas plus, nous mettant en garde de ne surtout pas juger avant d'avoir plus d'informations, que la justice doit faire son travail. A la bonne heure! Alors comment est-ce possible que l'actualité se soit auto-phagocytée autour de ce seul évènement? Certes c'est une information importante, mais comment se fait-il que depuis 72 heures les médias ne puissent plus parler d'autre chose que d'un sujet dont on ignore tout?
Forcément les pauvres journalistes se rabattent sur ce qu'ils ont, à savoir des photos humiliantes, et des descriptions plus ou moins scabreuses ayant fuité du poste de police de New-York. La description des sévices éventuels que DSK aurait faits subir à cette femme n'apporte rien, si ce n'est la petite dose de perversité maquillée en enquête objective qui semble tant plaire à nos médias. Que dire des victimes de meurtre retrouvées découpées en morceaux? un must pour les rédactions, il ne reste plus qu'à ajouter la fameuse voix off monocorde, et l'avis d'un spécialiste pour pouvoir estampiller le reportage "journalisme officiel".
Honnêtement depuis 72heures j'ai l'impression de vivre dans la présipauté de Groland...

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Les journalistes des grands médias, en particulier audio-visuels, semblent fonctionner comme les traders des salles de marché qu'ils se sont tant plus à nous décrire comme de grands irresponsables, leur propre nullité étant du même coup occultée. Dommage que leurs analyses de la psychologie des traders ne soient pas mises en pratique concernant leur propre profession.
Une information surgit et tout se passe comme si les journalistes de ces médias se mettaient à essayer de penser ce que vont penser de cette information les autres journalistes ainsi que leurs lecteurs. Comme des traders. Ils ne cherchent plus à faire une enquête, à vérifier puis recouper les faits, non, les seules questions qui paraissent être importantes sont :
- cette information va-t-elle intéresser les lecteurs même si elle est sans intérêt?
- même si elle est ridicule voire peut-être fausse que vont penser les autres journalistes de cette information? le corollaire de cette question est qu'elle renvoie à la première. Si tous les autres médias parlent d'une information c'est qu'elle "doit" fatalement intéresser le public, donc il faut en parler sinon le média frondeur se retrouve au ban des médias. Quoi, vous n'avez pas publié les photos de DSK menotté? mais votre journal est nul!
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On peut d'ailleurs remarquer dans quel estime nous tiennent nos chers rédacteurs en chef puisqu'ils pensent que plus le sujet est glauque, plus il va plaire aux lecteurs/téléspectateurs. Les crimes et le sexe tiennent manifestement les premières places. On peut le constater tous les jours : plus les victimes sont torturées, violées, découpées, plus le sujet sera traité par nos médias, mais attention toujours de manière professionnelle,cela va de soi. Il est vrai que d'autres informations beaucoup plus triviales comme les révolutions arabes ou l'affaire Bettencourt ont la place qu'elles méritent puisqu'il aura fallu plusieurs semaines pour que ces deux évènements atteignent nos JT.
Il est étonnant que ces mêmes rédacteurs en chef ne se soient jamais demandés si, par hasard, les ventes étaient en chute libre justement parce qu'ils essayent de penser à ce qui pourrait plaire aux lecteurs/téléspectateurs. Parce que si ces derniers adoraient effectivement les crimes, le sexe, et la politique poubelle (incluant les sondages quotidiens pour 2012) alors les ventes devraient exploser. Ce qui fait fuir les citoyens c'est tout simplement la baisse de qualité et l'uniformisation complète de la presse en général, or les stratégies commerciales adoptées ne font qu'aggraver le problème en poursuivant la dégradation de l'information qui est devenu un objet de consommation continu. Il faut de l'info tout le temps même quand on a rien à dire. Et si cela peut éviter aux médias de faire de longues enquêtes couteuses en temps journalistique, tant mieux la comptabilité ne s'en portera que mieux. La recherche du scoop sordide devenant l'alpha et l'oméga du casino médiatique. L'information continue salit malheureusement tout le journalisme, même celui qui est encore pratiqué noblement. Cependant le nombre de téléspectateurs que réunissent encore les principaux JT de 20h, alors même que ceux-là sont conscients de leurs médiocrités, reste pour moi incompréhensible.
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Pour les amateurs d'ironie, entendre des journalistes tenter une critique de l'avalanche médiatique de l'affaire DSK entre deux flash concernant la même affaire, et au milieu d'une journée spéciale DSK ne manque pas de sel. En croyant se démarquer des autres médias, qui bien entendu sont uniquement attirés par le scoop, ils oublient de remarquer que tous font la même chose. Alors ils amplifient et se perdent dans le flot du magma permanent censé nous servir de source d'information, mission qui semble n'être plus qu'un bien lointain souvenir...
