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Billet de blog 23 janvier 2012

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Trouble-fête. A propos du discours de Hollande au Bourget

François Hollande est un très bon orateur, son discours en est la preuve éclatante, mais c'est surtout un excellent communiquant. Pas de grande surprise, pourtant les éloges semblent unanimes sur le fond comme sur la forme. Il serait même allé trop loin sur la gauche selon certains!

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François Hollande est un très bon orateur, son discours en est la preuve éclatante, mais c'est surtout un excellent communiquant. Pas de grande surprise, pourtant les éloges semblent unanimes sur le fond comme sur la forme. Il serait même allé trop loin sur la gauche selon certains!

François Hollande se présente fièrement comme étant "socialiste". Soit, cependant ce terme a une signification politique qu'il semble ne surtout pas vouloir aborder. Dans le larousse le socialisme est un "ensemble de doctrines économiques, politiques et sociales condamnant toute la propriété privée des moyens de production et d'échange.". Pourtant après avoir écouté soigneusement ce discours, aucune des mesures proposées ne correspond à cette définition. La seule entaille au pouvoir du capital et l'une des seules nouveautés c'est bien la proposition de taxer le capital au même niveau que le travail, pour le reste le capital peut dormir tranquillement.

Alors que nous sommes probablement en train de vivre la plus grande crise du capitalisme, les mesures proposées par Hollande semble tellement insuffisantes. Il suffit pour cela de comparer le programme du PS de 1981 et les morceaux de celui de 2012 pour voir à quel point la pensée politique a régressé. Du moins au PS et dans les grands médias.

*

1- Sur la forme d'abord.

Nous pouvons supposer que les multiples gros plans sur les différents ténors du PS version 2012 (dont Jospin), étaient censés prouver l'unité recouvrée des socialistes. Ils ont merveilleusement joué leur rôle, se levant comme un seul homme, les yeux brillants d'excitation, applaudissant à tout rompre à la découverte de chaque nouvelle proposition de leur champion. La politique est ici un spectacle. Cependant le principe même du chef qui vient distribuer au compte goutte à ses ouailles les grands axes de son programme, sans aucune concertation des militants, en dit long sur les méthodes en cours au PS et sur sa conception du pouvoir. Il semble que le militant soit invité à venir adouber le programme auquel il n'a absolument pas collaboré. C'est la Vème république reproduite dans le parti, le haut décide, le bas accepte ou se tait. Ce n'est vraiment pas ma conception de la démocratie.

Autre point qui ne semble choquer personne, les nombreuses personnalités venues apporter leur soutien à Hollande alors même qu'elles ne connaissaient pas son programme (et pour cause le candidat lui-même ne semblait pas le connaître). C'est la négation de la politique telle que je me la représente, l'adhésion à un parti, à un homme, en oubliant le contenu, c'est la personnalisation à outrance, dans laquelle Hollande semble se couler à merveille.

2- Sur le fond ensuite.

Si Hollande est resté très flou sur de nombreux points, comme à son habitude, mais il m'a surpris par deux mesures:

- l'inscription de la loi de 1905 dans la constitution, prouvant ainsi son attachement à la laïcité qui jusque là m'était inconnu. En effet Hollande semblait plus attiré par le multiculturalisme à la mode social-démocrate qu'à la laïcité à la française. Tant mieux.

- la volonté de taxer le capital comme le travail.

Sur le plan économique voici les principales mesures que j'ai notées:

- séparation des activités bancaires de dépôts et d'investissements

- interdiction pour les banques d'avoir une présence dans les paradis fiscaux. Pourquoi les banques seulement? Le Royaume-uni et la Suisse seront-ils considérés comme des paradis fiscaux?

- les produits financiers toxiques qui n'irriguent pas l'économie réelle seront interdits. Là encore je m'interroge, apparemment il y aurait 98% du volume des activités financières sans lien avec l'économie "réelle". Est-ce là ce que Hollande nomme des produits toxiques? ou parle-t-il uniquement de ceux contenant des actifs pourris issus des subprimes? le flou est complet ici et la spéculation semble malheureusement toujours permise dans les grandes lignes.

- suppression des stock-options sauf pour les entreprises récentes.

- instauration d'une taxe sur les transactions financières

- création d'une agence publique de notation

- création d'un pacte de "responsabilité" de gouvernement et de croissance. Que veut dire ce terme fourre-tout de responsabilité employé également par la droite? austérité?

- il déclare vouloir une "intervention" de la BCE. Laquelle et pour quoi faire? nous ne saurons pas dans ce discours.

- création d'euro-obligations pour des projets communs

- négociation d'une politique commerciale en Europe contre la concurrence déloyale

- contribution écologique aux frontières de l'Europe. concernant ces deux dernières mesures il a sans doute oublié qu'elles sont interdites par le traité de Lisbonne.

- "obtenir" la parité dollar/euro et "refuser" la surévaluation du Yuan. Comment compte-t-il aborder le problème?

- bien entendu réindustrialiser le pays grâce à un pacte avec l'Allemagne, de compétitivité, de justice fiscale et de sérieux budgétaire. Je crains que le terme de compétitivité dans la bouche de Hollande ait le même sens que dans toutes les autres, à savoir la baisse du "coût" du travail pourtant déjà moindre en France qu'en Allemagne contrairement à ce que l'on nous claironne en permanence.

- Création d'une banque publique d'investissements pour accompagner les investissements stratégiques

- orientation des allègements fiscaux vers les entreprises qui organisent leurs activités en France

- Livret d'épargne pour financer les entreprises innovantes et les PME

- Priorité aux PME: création d'une agence pour les PME, crédit impôt recherche pour les PME, baisse de l'impôt sur les sociétés pour les PME

- les entreprises qui délocalisent devront rembourser les aides publiques perçues

- rien concernant la précarité: minima sociaux, SMIC, CDI...

Sur le plan environnemental, Hollande a été plus que discret: 

- Il veut un "débat national" concernant l'énergie. Cependant celui-ci semble déjà tranché puisqu'il y aura une diminution de 75 à 50% de la part du nucléaire dans la production électrique, une grande campagne d'isolation thermique pour 1millions de logements neufs et anciens, et une augmentation de la part des renouvelables dans la production d'électricité (sans en préciser le niveau). Il veut notamment un secteur nucléaire fort. C'est son droit mais où est le débat? il veut sans doute parler d'un plébiscite, le peuple étant invité uniquement à accepter son plan.

- la croissance reste l'objectif indépassable

- rien sur l'agriculture

Sur le plan fiscal : 

- réduire les "cadeaux" fiscaux de 30 milliards d'euros, sans plus de précision

- augmentation à 45% du taux de la dernière tranche d'imposition sur le revenu

- fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG

- retrouver l'équilibre budgétaire en 2017

- suppression de l'allègement de l'ISF introduit par la droite

- mise en place de tarifs progressifs pour l'eau, l’électricité et le gaz

Sur le plan des services publics:

Là par contre c'est la cacophonie puisqu'il dit vouloir améliorer la santé, la sécurité, la justice, l'éducation mais sans création de poste de fonctionnaire supplémentaire. Probablement en continuant à créer des contrats précaires dans la fonction publique?

- Santé: encadrement des dépassements d'honoraires, combattre les déserts médicaux, nouveau système de tarification pour l’hôpital public (pas plus de détails malheureusement)

- Justice : assurer son indépendance (le contraire aurait quelque peu surpris)

- Sécurité : création de zone de sécurité prioritaire et d'emplois supplémentaires (sur quel autres postes seront-ils pris?)

Sur le plan institutionnel: 

- augmentation de l'autonomie des collectivités locales

- non cumul des mandats pour les parlementaires

- introduction d'une "dose" de proportionnelle aux élections nationales

*

François Hollande connaît bien la citation du cardinal de Retz : "on ne sort de l’ambiguïté qu'à son détriment". Il préfère donc personnifier l’ambiguïté plutôt que de l'affronter, car comme le révèle l'énumération de ce feu d'artifice de propositions, la seule cohérence globale est bien celle de ne rien changer sur le fond c'est à dire qu'il s'agit de proposer une alternance. En clair il faut faire partir les méchants de l'UMP pour les remplacer par les gentils du PS et dormez bonnes gens, pas la peine de proposer une réforme des institutions et donc de la démocratie, promis nous aurons affaire à des gens "biens".

Ces mesures qui se contredisent souvent sont inadaptées à la violence du cours des évènements, elles risquent d'être balayées. La tiédeur de ce programme devant l'ampleur de cette crise systémique, d'autant plus tiède si on la compare au programme qui permit à François Mitterand de prendre le pouvoir, n'est pas une surprise. En revanche les réactions médiatiques me paraissent disproportionnées. Il aurait "assommé" la droite d'après le JDD, il "s'installe à gauche" d'après Médiapart, il aurait fait un discours de "gauche dur"(!) d'après Jacques Séguéla sur France inter, bref les louanges pleuvent de toutes parts, mais où en est arrivé le débat d'idée pour qu'un discours aussi flou puisse être à ce point valorisé?

Le simple fait d'avoir dit que son adversaire était la finance a semble-t-il suffi à émoustiller nos commentateurs. François Hollande est un redoutable communiquant, mais que restera-t-il de son programme déjà bien fade (pourtant bien trop à "gauche" pour beaucoup) s'il est élu? 

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