Dorénavant le quart de la population française a reçu une éducation de type universitaire (BAC+2 et au delà), alors même que les institutions dans lesquelles elle évolue sont inchangées depuis 1958, lorsque moins de 9% du peuple était diplômé du supérieur.
Il est évident qu'une telle augmentation de la disponibilité des savoirs ne peut rester sans répercussion sur l'ensemble de la société. La production de films, de livres, de magazines, et maintenant de sites internet n'a fait qu'augmenter.
En toute logique l'on pourrait penser que cette production intellectuelle modifie en profondeur les capacités d'analyse des diplômés, mais également des non diplômés grâce à la diffusion et à l'accès de plus en plus facile à cette culture. Non que les non-diplômés du supérieur ne soient pas en mesure de comprendre la société, bien au contraire, mais cette nouvelle classe de diplômés devrait être plus encline à vouloir participer à la vie publique, n'ayant pas de frein imposé par leur condition sociale et étant habituée à occuper des postes à respnsabilités.
Les institutions auraient donc dû suivre cette évolution en s'ouvrant progressivement aux citoyens. Je pose comme postulat de départ que nous n'avons jamais vécu dans une véritable démocratie depuis 1958, cet état de fait était tacitement accepté tant que la croissance et le plein emploi étaient la norme.
Non seulement nous ne pouvons que déplorer l'absence d'amélioration de l'état démocratique de notre pays, mais nous sommes dans l'obligation de constater que la situation empire.
Les référendum n'ont plus aucune valeur, la rue est snobée, et assister à une démission d'un ministre, d'un gouvernement, ou d'un président est tout simplement inimaginable, tout comme une dissolution de l'assemblée nationale est impensable depuis 15ans, quel que soit le rejet du peuple ou les affaires dans lesquelles nos gouvernants peuvent être embourbées.
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Alors que la population est en moyenne de plus en plus cultivée (15 millions de français environ ont un bac+2 ou plus), donc capable d'analyser avec plus de pertinence les problèmes contemporains, on assiste à un véritablement raidissement démocratique de la classe dirigeante, qui refuse la moindre intrusion de ceux dont ils sont censés dépendre. L'exercice du pouvoir n'est plus un mandat mais un dû à conserver coûte que coûte.

Les institutions auraient dû évoluer avec le niveau d'instruction des citoyens pour faciliter leur introduction dans la vie publique. Bien au contraire la classe dirigeante n'a cessé de poursuivre dans la voie de la Vème république en écartant toujours un peu plus les citoyens des commandes du pays, au prétexte d'une appartenance à une classe encore supérieure à la classe supérieure garante de leur position.
L'engagement citoyen s'apparente plutôt à un parcours du combattant, peu compatible avec l'aisance matérielle dans laquelle baigne les diplômés du supérieur qui trustent les meilleurs salaires. Impuissante à déterminer les véritables orientations politiques du pays, notre non-démocratie entraîne un repli narcissique de nos diplômés qui se refusent à participer à la vie publique car cela amputerait d'autant le temps qu'ils consacrent à leurs loisirs.
Ayant le monopole de l'argent et de la production culturelle la classe des diplômés est sur-représentées dans les romans, les films, les séries et les émissions télévisées aboutissant à ce qu'Emmanuel Todd appelle un "nombrilisme culturel qui se pense très civilisé mais s'éloigne des problèmes de la société et donc de l'homme."
Faisant moi-même partie de cette classe, force est de constater que les préocupations de la majorité des personnes qui la composent est d'une surprenante superficialité: soirée, shopping, entretien de son corps, télé-réalité et surtout une indifférence grandissante à l'égard de la chose publique.
Cette futilité est surprenante au regard des capacités d'analyses qui peuvent être déployées par ces mêmes personnes dans le cadre de leur activité professionnelle. Etant donnée leur aisance matérielle, peu trouvent la force d'aller battre le pavé pour défendre leurs droits, préférant adopter paresseusement les arguments de la classe dominante qui a le mérite de trouver une justification pré-mâchée à l'inaction, sans se morfondre dans une culpabilité délétère. Pourtant ce ralliement n'est qu'une illusion, une posture, le sentiment dominant étant un rejet du politique en général.
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Si les gouvernements successifs ne représentent plus la classe des diplômés, et encore moins celle des non-diplômés du supérieur, c'est qu'ils ne représentent plus personne. Finalement, nous assistons à l'échec total de notre démocratie représentative. Certes la population est plus exigeante en temps de crise qu'en temps de forte croissance envers leurs représentants. L'anxiété générée par les problèmes démographiques, environnementaux et géopolitiques à l'échelle de la planète nous incite à attendre davantage les remèdes ou les non-remèdes proposés par nos dirigeants. Mais une chose est certaine, plus personne n'est dupe du petit jeu hypocrite auquel se livre la plupart des hommes et des femmes politiques. Notamment en ce qui concerne l'UMP et le PS.
Cette diffusion culturelle et ce raidissement démocratique ont sans doute leur part dans la prise de conscience des diplômés et des non-diplômés du vide et de l'indignité des partis politiques dominants. Les seuls qui semblent ne pas voir ou plutôt qui feignent de ne pas voir cette réalité sont les principaux protagonistes de l'activité politique qui sont persuadés de leur immense subtilité. C'est ainsi que la population assiste à un défilé de clones, donnant une curieuse sensation d'irréalité à l'ensemble de la classe dirigeante et du gouvernement a

ctuel en particulier, qui paraît évoluer dans une autre sphère que la nôtre. Les allocutions grandiloquentes et empruntes d'une pureté inexistante achèvent de déconnecter les politiques du peuple qui, écœuré, préfère s'en retourner à ses affaires devant cette pièce de théâtre ridicule à laquelle ils ne peuvent participer.
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Or cette situation est permise et même garantie par nos institutions. Tout projet politique qui refuserait de prendre en compte cette réalité ne serait que poudre aux yeux.
Malheureusement je ne pense pas que le PS puisse incarner ce projet. Le PS aurait pu modifier nos institutions durant les années où il était au pouvoir, mais il s'y est refusé. Il y a peu de chance qu'il modifie sa position, le rejet de ce parti est trop fort dans l'opinion (qui vote pour lui par défaut) pour survivre à une démocratisation de notre société. Il est trop impliqué dans la déliquescence politique actuelle, et faire rentrer le citoyen dans la danse reviendrait à un suicide politique.
En revanche il me semble que bâtir une vraie démocratie devrait être le principe de base d'un programme défendu par toute l'autre gauche pour 2012, allant du NPA au Front de Gauche. Quel que soit le candidat, dans une telle démocratie, aucune grande orientation ne pourrait être prise sans l'accord permanent des citoyens. Même avec le gouvernement le plus intègre qui soit, par définition, dans une démocratie réelle aucune décision ne peut être prise contre l'avis de la majorité de la population, quand bien même elle lui serait bénéfique.
Quelle catastrophe faudra-t-il attendre pour que l'autre gauche arrête de se déchirer et se réunisse enfin autour d'un projet compatible pour les principales formations dont le principal pilier serait une 6ème république(démocratique)?