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Billet de blog 9 juin 2023

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L’île rouge : le paradis perdu de Robin Campillo

Six ans après son Grand prix du festival de Cannes en 2017 (120 Battements par minute), Robin Campillo revient avec un film très personnel, racontant son enfance à Madagascar sur une base militaire, avec ses frères et ses parents.

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Douze ans après l’indépendance, les Français sont toujours là, et les militaires aussi. Si les trois-quarts du film sont plutôt réussis, les dernières minutes déroutent le spectateur, dans une séquence anticoloniale qu’il aurait été plus judicieux d'amener plus tôt dans le film.

Illustration 1
- Charlie Vauselle, alias Thomas, se souvient... - © © Gilles Marchand

 1972, Madagascar, base militaire 181. Thomas (Charlie Vauselle) a 9 ans et regarde le monde des adultes à travers son regard bleu azur. Caché dans une grande caisse en bois qui lui sert à la fois de refuge et de cabane, il s’évade à travers la lecture de Fantômette. Son père (Quim Gutiérrez) est cartographe à bord des Nord-Atlas, qui larguent leurs chapelets de parachutistes au-dessus de l’île. Sa mère, Colette (Nadia Tereskiewicz) est une femme de sous-officier s’occupant des enfants et tuant son ennui avec d’autres femmes de sous-officiers, dans une ambiance coloniale de fin de règne. Tout le monde vit dans cette illusion coloniale, la perte d’un paradis perdu, d’un paradis volé. Hantées par la peur du retour en métropole, ces familles font tout pour prolonger leur séjour, par crainte de perdre leur statut de privilégiés, que la famille éclate. Madagascar est leur dernière destination pour échapper à la désillusion.

Illustration 2
- "C'est peut-être la dernière photo qu'on fait tous ensemble..." - © © Gilles Marchand

Filmé du point de vue de l’enfant (Thomas, Charlie Vauselle impeccable !), L’île rouge joue sur l’imaginaire fait de rêveries, d’exotisme, d’une multitude de détails que l’enfant perçoit comme à la fois excitants et menaçants. Ce curieux mélange, où apparaissent parfois certains évènements qui appartiennent à l’histoire (la présence des paras sur l’île ; une révolte de femmes qui s’en prennent aux soldats qui fréquentent le bordel, …), est sans conteste le meilleur du film. Le ton Kodachrome, la précision des costumes, décors, automobiles, les grincements du cordage d’une balançoire ou des troncs d’une bambouseraie sont un vrai beau moment de cinéma. Cette traversée sensorielle est séduisante, et elle aurait pu suffire au film qui, tout en étant autobiographique avec de nombreux épisodes vrais, n’en demeure pas moins complètement romanesque selon son auteur Robin Campillo.

Illustration 3
- Bernard (Hugues Delamarlière) et Miangaly (Amely Rakotoarimalala) - © © Gilles Marchand

Et puis, tout à coup, tout change de pôle et d’épaule. Alors que le jeune Thomas, qui acquiert une forme d’indépendance en revêtant le costume de son héroïne préférée, sort la nuit dans la base militaire, il assiste à une scène entre un jeune militaire (Bernard, Hugues Delamarlière) et une jeune autochtone (Miangaly, Amely Rakotoarimalala), qui opère une étrange et déroutante bascule du dernier quart de L’île rouge. Jusqu’ici figurants qu’on apercevait à peine, les Malagasys sortent de l’ombre par le prisme de Miangaly. Ils deviennent les seuls protagonistes de la fin du film, en même temps que de leur propre histoire. En jetant un nouveau regard sur tout ce qu’on vient de voir, ils inscrivent cette histoire familiale dans l’histoire coloniale. Cependant, Robin Campillo court le risque de perdre un peu ses spectateurs, au lieu de parsemer davantage l’œuvre de cette « illusion coloniale » et émancipation des Malagasys, raccourcissant au passage L’île rouge d’un bon quart d’heure, ce qui n’aurait rien gâché.

F.S.

L’île rouge, de Robin Campillo, 1h56. En salle depuis le 31 mai.

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