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Écrivain cabotin au donjuanisme compulsif duquel il tire la matière de ses romans, Philip (Denis Podalydès) reçoit dans son studio d’écrivain qui est aussi sa garçonnière une jeune Anglaise, épouse et mère dépressive (Léa Seydoux). Elle n'est pas la seule aventure de l’écrivain à succès : on croise aussi Rosalie (Emmanuelle Devos), ancienne conquête atteinte d’un cancer ; une exilée tchèque poursuivie par les services secrets (Madalina Constantin) ; une ancienne étudiante passée par des traitements psychiatriques de choc (Rebecca Marder) ; et son épouse, excellente Anouk Grinberg, qui n’est pas dupe de ses petites affaires… Dans son studio, Philip soliloque sur la place des juifs dans le monde ; la jeune Anglaise raconte le désarroi d'une vie conjugale ratée, son étouffement, sa lente descente aux enfers entre deux whiskys.
Arnaud Desplechin construit Tromperie comme du théâtre, oscillant entre des intérieurs feutrés – essentiellement le studio – et des sorties furtives dans la nudité de ce qui ressemblerait à un plateau théâtral, pour de courtes scènes dont ne sait à quel degré elles sont fantasmées et peuvent alimenter le désir. Le propos se situe entre New York et Londres, mais sans qu’à aucun moment on se sente obligé de croire quoi que ce soit du contexte géographique dans lequel l’action est censée être projetée (hormis la pluie londonienne…).

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Cinéaste gourmand des dialogues, Arnaud Desplechin prend manifestement beaucoup de plaisir dans cette suite théâtrale à huis clos, où l’on se demande constamment quelle est la part romanesque ou d’un récit autobiographique dans ce qui nous est présenté, jusqu’à quel degré on joue sur le fantasme lettré ou charnel d’une réalité, le tout servant de carburant à cet écrivain qui se définit lui-même - sans rire - comme un « écouteur, un audiophile, un fétichiste des mots ». Quelle part d’invention ou de réalité ? Les mots de ses conquêtes, soigneusement notées dans ses carnets d’une belle plume, sont-ils des traces d’une réalité, ou des alibis ? La plus belle scène de ces neuf chapitres qui découpent Tromperie demeure probablement celle où Anouk Grinberg, son épouse dans sa vraie vie découvre le carnet et le lit. « Ce carnet, ce ne sont que des mots, et je ne suis pas capable de baiser des mots », tente-t-il de se justifier maladroitement. Qui de l’homme ou de l’écrivain en sortira grandi ? C’est probablement au spectateur de se faire sa propre idée…
F.S.
Tromperie, d’Arnaud Desplechin, avec Bruno Podalydès, Léa Seydoux, Anouk Grinberg, Emmanuelle Devos… 1h45. En salle depuis le 29 décembre 2021.