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D’Artagnan chevauche à travers bois et champs depuis sa Gascogne natale, afin de rejoindre Paris et la prestigieuse compagnie des Mousquetaires du roi Louis XIII, émanation du corps des chevau-légers créés par Henri IV. Il a dans sa poche une lettre de recommandation de son père. Alors qu’il s’arrête dans une auberge, il assiste à l’enlèvement d’une demoiselle, et tente de s’interposer. On lui tire dessus, mais grâce à la bible qu’il a en poche, il ne meurt pas, et est enterré vivant. "Miracle", il s’en sort, et parvient couvert de crasse à Paris, où il croise Athos, Porthos et Aramis (pas beaucoup plus propres) qui lui créent des soucis dès son arrivée. Ça ne va pas durer, car ces trois mousquetaires-là doivent déjouer un complot contre le roi, et récupérer les fameux ferrets de la reine, laquelle, enamourée du duc de Buckingham, les lui a donné, la sotte ! Tout cela sur fond de préparation du siège contre les protestants de La Rochelle, avec l’ombre du Cardinal de Richelieu qui hante le palais, et la vénéneuse Milady qui tire un certain nombre de ficelles. Bref, on est bien chez Dumas, mais très librement adapté du roman, on vous rassure : le XXIe siècle est passé par là !

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Alexandre Dumas, à qui l’on reprochait souvent de prendre de libertés avec elle, répondait, paraît-il : « On peut violer l’histoire, à condition de lui faire de beaux enfants ». Serait-il content de la très libre adaptation de son emblématique roman de 1844 par Martin Bourdoulon ? Pas si sûr… Voyons quand même le côté positif de ce D’Artagnan, premier volet d’un film en deux parties, sortie le 5 avril à (très) grand renfort de promo tous azimuts : si vous en doutiez, le cinéma français est tout à fait capable de produire des superproductions « à l’américaine », sans en faire des caisses sur les effets spéciaux et les combats au ralenti façon kung-fu. Les Trois Mousquetaires tome 1 (le second, Milady sortira le 13 décembre prochain) est un vrai film populaire avec de l’action, des cavalcades, des combats à l’épée virevoltant filmés en plans-séquences, des intrigues politico-aventureuses, juste ce qu’il faut de sentiments, un brin d’humour et de grandes gueules… Bref : le spectateur devrait en avoir pour son fric, et ses pop-corn.
Pour autant, ce D’Artagnan n’est pas exempt de défauts dont le principal est – mais faut-il s’en étonner ? – d’épouser les travers du XXIe siècle qui se croit obligé de ne se fâcher avec personne. On trouve de tout dans ces Trois Mousquetaires à la sauce Bourboulon (auteur d'Eiffel, en 2021), notamment un mousquetaire bisexuel : Porthos, qu’on voit au lit pendant trois secondes avec une fille et un garçon, et qui dira même voyant passer D’Artagnan alors que le film en est à son quart d’heure : « celui-là, s’il était un peu plus gras, je l’embrocherais bien ». Ambiance. On trouve aussi une minorité visible (pourra-t-on dire « l’arabe de service », sans prendre le risque de se faire gronder ?) en la personne de Lyna Khoudri/Constance Bonacieux, bien que l’interprète du très beau Papicha et du plus récent Nos frangins ne soit pas pour nous déplaire. Que dire d’une scène d’attentat contre le roi dans une église alors qu’on est en train d’assister au mariage de Monsieur son frère (Gaston d’Orléans, avec Marie de Montpensier, qui ne lui survivra d’ailleurs pas plus d’un an), ou encore d’une incursion en Angleterre dans un bal costumé façon Venise, à la recherche des fameux ferrets ? Passons...

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Ce qui nous a rendu le plus chafouin demeure l’étrange couleur et lumière pipi-cra-cra de la photo, jaunâtre-marronnasse, qu’un spectateur du Masque et la plume a parfaitement résumé par « brou de noix ». Tout y passe, à commencer par la peau des Mousquetaires, notamment D’Artagnan (François Civil, pourtant pas mal) à qui on ne saurait trop conseiller de prendre un bain au moins une fois pendant les deux heures du film. Le reste du boys band n’est pas en reste : les dents impeccablement blanches de Romain Duris (Aramis, tiraillé entre le jésuitisme et les galons de la caserne) tranchent franchement avec une allure elle aussi un peu crasseuse. Pio Marmaï/Porthos un tantinet trop gros pour entrer dans le costume d’un mousquetaire dont on sait qu’ils n’étaient pas particulièrement bien nourris. Et les cheveux filasses d’Athos/Vincent Cassel, au visage émacié disant tout le tourment intérieur du mousquetaire à l’esprit torturé.
On est loin de la belle photo de Patrice Chéreau dans La Reine Margot en 1994, autre roman de Dumas porté magistralement à l’écran. À croire que pour faire Baroque, il faut de la sépia, de la poussière, et de la crasse… Demeurent quelques beaux personnages qu’on a en revanche beaucoup aimés : particulièrement Louis XIII/Garrel, qui s’amuse en roi effacé qui cherche à asseoir un brin de pouvoir dans l’ombre du grand Cardinal. Il s’amuse, et nous amuse au passage.

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Quant aux personnages féminins, Eva Green campe une bien belle tout autant que vénéneuse Milady (dont on peut spoiler qu’elle ne meurt pas, puisque le tome 2 porte son nom…), et la reine Anne d’Autriche est plutôt bien servie par Vicky Krieps, malgré son origine germano-luxembourgeoise (l'accent de l'infante d'Espagne à son arrivée en France était très probablement plutôt espagnol qu'autrichien, bien qu'on n’ait malheureusement pas d’enregistrement d’époque !).
« On est déçu, mais en bien », comme disent les Suisses. On attend donc la suite (et la fin) en décembre pour confirmer, en espérant que d’ici là, nos Mousquetaires auront pris un bain, et que Martin Bouboulon aura retrouvé la lumière…
F.S.
Les Trois Mousquetaires, D’Artagnan, de Martin Bourboulon, 2h, sortie le 5 avril.