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L’Innocent est tourné à Lyon, dont on voit des images qui font penser à L’Horloger de Saint-Paul de Berntrand Tavernier qui avait fait de sa ville un personnage à part entière du film. On a souvent l’impression que vous avez cherché à faire de même, est-ce une illusion, ou c’était voulu ?
Louis Garrel : Je voulais tourner à Lyon depuis le début, quand on a cherché dans le scénario je savais que cette histoire ne pouvait pas prendre place à Paris, et puis surtout j’avais envie de changer car j’avais déjà tourné trois films à Paris, et ça me plaisait. J’avais fait une tournée de théâtre à Lyon, et j’aimais bien cet espèce de mélange de ville avec un centre-ville historique, une périphérie, de la hauteur, une basse ville une haute ville, ces deux fleuves qui traversent la ville. Et en même temps, une énergie quand même assez basse dans la ville, un peu secrète. Et quand j’ai fait les repérages, j’avais en tête l’Horloger de Saint-Paul, un film lyonnais dont on sent que les Lyonnais sont fiers, ce film m’a marqué, il y a une ambiance. Et puis comme c’est une ville que je n’habite pas, je n’avais aucune inhibition à tourner dans les quartiers touristiques, j’aurais du mal à Paris à tourner rue de la Huchette, alors que là, comme je ne connaissais pas bien Lyon, on m’a indiqué ce local qui pouvait faire le magasin de fleurs, et ensuite j’ai compris qu’on était à soixante mètres de l’horlogerie de Saint-Paul… Cette ville a un côté un peu mystérieux, un peu inquiétant aussi, beaucoup de charme, ça me plaisait bien.
Vous avez fait jouer Roschdy Zem, qui a joué beaucoup de rôles d’anciens malfaiteurs, depuis quelques films il se rachète un peu une conduite, voire il joue des rôles de flics, et là vous lui proposer de replonger avec le rôle d’un type qui sort de prison, qui va en quelque sorte replonger un peu. Comment a-t-il accepté ça ?
L.G. : Quand j’ai commencé à lui raconter et que j’ai senti qu’il commençait un soupir, quand il a compris que c’était un homme amoureux, il a dit « ah, j’ai eu peur, j’en ai marre de faire des malfrats » ; et comme il le fait pour des raisons sentimentales, presque romantiques, j’ai senti qu’il était intéressé, et après, quand il a lu le scénario, il m’a dit ça m’a fait rire quand même. Le film a été conçu pour que les acteurs puissent jouer des performances : Noémie, Roschdy, ils font des performances dans le film. Je cherchais des performances d’acteurs, il a vu qu’il y avait un coup à jouer, et il a dit « allez, une nouvelle petite fois, je refais un malfrat ».
Une performance d’acteur pour vous aussi, qui jouez dans votre propre film alors ?
L.G. : Pas tant que ça, sauf dans la scène du braquage où là il fallait faire une performance, quand j’écris un film où je sais que je vais jouer dedans, je n’y pense pas trop. Mais c’est ça qui me plait dans la mise en scène, on doit trouver une solution. En fait ce qui est « obsédant » dans la mise en scène, c’est que je dois toujours garder à l’esprit que le spectateur ne doit jamais faire d’efforts de compréhension par une mise en scène qui serait trop floue. Dans le cas de la scène finale de L’Innocent, et je pense qu’on a réussi avec le chef décorateur à transgresser cette règle qui consiste à dire est-ce que ça serait crédible de faire comme ça, on s’en fout si c’est crédible, l’important c’est que le spectateur comprenne exactement comment et où sont les éléments. Ça, ça m’a pris beaucoup de temps, mais c’est comme des exercices de scénographie, ça m’a beaucoup plus pour cette partie-là du film.
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L’Innocent c’est un film sur les relations mère-fils et fils-mère, c’est ambigüe, c’est complexe visiblement, à un moment vous faites dire à Abel « ma mère, je suis son père, je suis son frère, alors que j’aurais juste voulu être son fils », et c’est sans doute une des clés du film, en tout cas un moment très fort. Et votre mère dans le film est jouée par Anouk Grinberg, qu’on est content de revoir par ce que cela faisait un petit moment qu’on ne l’avait pas vue.
L.G. : Oui, c’est un des fils principaux du film, c’est de dire il y a des parents qui s’inquiètent pour leurs enfants parce qu’ils font des conneries, là c’est le contraire, le fils a l’air plus raisonnable que sa mère, qui, par un excès de joie auquel elle ne veut pas renoncer ou l’innocence à laquelle elle ne veut pas renoncer, qui va mettre dans l’embarras son fils. Ça me plaisait d’inverser un peu les rôles, du fils qui s’inquiète pour sa mère. Et apparemment il a des raisons de s’inquiéter, mais le spectateur peut se dire aussi qu’il en fait un peu des caisses aussi, on a envie de lui dire « occupe-toi de toi aussi », il est en période de deuil. Mais c’est aussi avec cette inquiétude-là que joue le film, je pense que pendant la première partie on se dit ; « il exagère, en fait il n’y a rien, morne plaine, son beau-père sort de prison, et alors ? ». Le film joue avec l’inquiétude du fils. Les optimistes pourraient croire à une histoire d’amour qui pourrait se passer sans heurts et sans tracas. Et les pessimistes qui pourront se dire « à mon avis, il a raison de s’inquiéter »… Et vous avez raison, une des clés du film c’est comment faire quand on a une mère dont la joie est folle, c’est-à-dire sans limite ?
On se demande jusqu’à quel point cela est volontaire ou involontaire ?
L.G. : La plupart du temps, quand on écrit des scénarios, et c’est Jean-Claude Carrière qui m’avait fait comprendre ça, quand on pense aux personnages, il a lui-même emprunté cette méthode à Tchékhov. Il m’a dit « Louis, n’accorde pas les actions des personnages à leurs définitions. Un personnage se définit par rapport à ce qu’il fait, c’est tout ». Ce qu’il a voulu me dire par là c’est de ne pas psychologiser à outrance, d’ailleurs j’avais lu une interview de lui où il disait : « la psychologie tue le cinéma », et je comprends ce qu’il veut dire. C’est-à-dire qu’on doit sans cesse avoir de l’action tout le temps. Pas seulement des voitures qui se courent après tout le temps et des coups de pistolets, mais de l’action c’est « qu’est-ce qu’il se passe, il fait quoi ? » ; je ne voulais pas du tout de description psychologiques. C’est pour cela que j’aime bien la scène du début dans la voiture, où on voit sa mère qui présente à son fils son futur mari, qui est devant, dans un fourgon pénitentiaire pour aller au tribunal pour éventuellement une liberté conditionnelle, le tout sur fond d’Herbert Léonard. Pour revenir à votre question, quand on écrit des personnages on se dit est-ce que pulsionnellement c’est juste ou est-ce que c’est faux ?
Vous venez d’évoquer brièvement Herbert Léonard, à ce propos la bande-son, très années 80, c’est votre décision à vous, ou est-ce qu’on vous a conseillé de mettre ces morceaux-là ? (on entend aussi passer Une autre histoire de Gérard Blanchard par exemple).
L.G. : Herbert Léonard je le voulais, sincèrement j’aime la variété, quand j’étais enfant ma mère l’écoutais, elle avait un plaisir, elle qui côtoyait des milieux plus intellectuels, de mettre ça pendant les soirées, anti-snob quoi. Alors qu’en fait, la force de la chanson de variété c’est que tout le monde s’identifie en deux secondes. Et le cinéma étant un art populaire, en tout cas ce film-là j’ai envie qu’il soit grand public, la variété c’était le style de musique parfait.
L’Innocent est votre quatrième film, vous avez déjà beaucoup tourné, avec des grands comme Christophe Honoré, vous n’avez pas encore tout à fait 40 ans, qu’est-ce que vous attendez encore de ce métier ?
L.G. : Cet été je lisais une autobiographie d’un maître du cinéma hollywoodien, Franck Capra, et c’est rigolo comme sa manière même d’envisager le cinéma au fur et à mesure de sa vie a changé, c’est-à-dire qu’au début il a travaillé pour Mack Sennett, il était là comme gagman, puis ensuite il a fait des films au sein de la Columbia qui était une toute petite maison de production, il a fait la gloire de la Columbia, et puis à un moment donné il a dit « bon, j’arrête de faire ces films, je fais maintenant des films beaucoup plus humain », donc j’imagine – sans me comparer à Franck Capra – que la manière dont on fait les films change selon la vie que l’on mène. Là par exemple, j’avais envie que le film soit un film de plaisir, que les spectateurs puissent jouer avec le film, de ne pas du tout faire un film de chronique, à fortiori parce que je m’étais inspiré par des éléments de ma vie. J’avais envie de faire un film qui soit très hybride, qui change de registre très fréquemment pendant le film : je voulais qu’il soit une comédie boulevardienne, qu’il y ait un peu de Marivaux, un film de braquage, un polar familial. J’avais envie de faire un film de variété ; après, si j’arrivais maintenant à faire un film politique, là je serai content, dans le sens un film d’action politique. En ce moment, c’est ce à quoi je rêve, je ne sais pas si j’en serai capable. C’est difficile je trouve de fabriquer des images de fausses vies parce qu’il y en a tellement tout le temps, qu’on se trouve encore un peu redondant à ameuter de la fausse vie, c’est ça qui est difficile, de fabriquer encore des mythes, parce qu’au fond c’est cela qu’on cherche. C’est Chabrol qui disait « il y a les poètes et les narrateurs, Pasoloni c’est un poète Carax c’est un poète, et il y a les narrateurs, il faut qu’ils fassent des histoires ». C’est le même principe quand je fais un film, hop, je capte l’attention de quelqu’un et hop, j’arrive à le transporter dans une autre temporalité que sa vie en espérant l’avoir un peu touché, chamboulé, fait rire, arriver à kidnapper les gens pendant une heure et demi et les rendre à eux-mêmes.
Propos recueillis au Festival du film francophone d’Angoulême par Frédéric Sabourin
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L’Innocent
Film de Louis Garrel, avec Louis Garrel, Anouk Grinberg, Roschdy Zem, Noémie Merlant… 1h40. Sortie le 12 octobre.
Le pitch : Quand Abel (Louis Garrel) apprend que sa mère, Sylvie (Anouk Grinberg) est sur le point d’épouser un détenu (Michel, Roschdy Zem) de la prison où elle anime des ateliers de théâtre, il panique. Épaulé par Clémence, sa meilleure amie (Noémie Merlant) il va tout faire pour essayer de la protéger, contre son gré. La rencontre avec Michel va pourtant emmener Abel vers des aventures qu’il n’attendait pas.
Sujet quasiment autobiographique pour Louis Garrel, dont la mère, Brigitte Sy, qui anima des ateliers de théâtre pour détenus en rencontra un qu’elle épousa derrière les barreaux. Abel, jeune veuf inconsolable qui redevient le fils de sa mère, met sous surveillance rapprochée ce Michel qu’il soupçonne de ne pas être seulement récemment épris de fleurs (Sylvie compte en effet devenir fleuriste, avec lui).
Polar, comédie, intrigue sentimentale, porté par quatre acteurs burlesques et attachants, L’Innocent est un film dont on peu abuser sans modération : drôle, divertissant, touchant, il est un remède à la morosité ambiante, et dieu sait qu’elle ne nous ménage pas ces temps-ci ! Porté par une bande-son des années 80 – Louis Garrel avoue un faible pour la variété et entre autres Herbert Léonard – L’Innocent tranche un peu avec les comédies dépressives que Louis Garrel a jusqu’ici portées à l’écran, comme pour nous inviter à venir voir la suite de sa carrière, qu’on imagine encore longue vu le (jeune) âge d’un surdoué du cinéma français.
F.S.