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« La petite fiancée de l’Atlantique » aurait pu ne jamais voir ni Pointe-à-Pitre, ni Newport où est née sa vocation : à dix-sept ans, elle aurait pu rester sur le carreau après un grave accident de voiture. Après une longue rééducation, à peine sortie de l’hôpital, elle retourne à ses amours de jeunesse : la mer, la voile. Au retour de Newport, où elle est allée, seule, voir les bateaux à l’arrivée de la Transat anglaise en 1976 (remportée par Éric Tabarly), elle largue les amarres avec sa famille, et rejoint les gars de la marine avec lesquels elle est comme un poisson dans l’eau, malgré les réticences des marins à voir embarquer une femme. Quelques beuveries de forbans, histoires et passions autant viriles que maritimes plus tard, Flo va réaliser son rêve, auquel elle s’accroche depuis longtemps : mettre le mot marin au féminin, et devenir la première grande navigatrice au monde.
Projeté hors compétition au Festival de Cannes en mai dernier, Flo n’a pas séduit la famille Arthaud, c’est peu dire. Elle reproche à Géraldine Danon, pourtant fine connaisseuse de Florence et épouse de Philippe Poupon, d’avoir mis en scène une image peu flatteuse de cette légende des océans. Attaquée en justice par Marie Arthaud, fille de Florence, pour avoir voulu avoir accès au scénario avant le sortie du film - demande rejetée par le tribunal - Flo est une libre adaptation d’une biographie romancée de Yann Queffélec, La Mer et l’au-delà, paru en 2020. « Un personnage de tragédie, une Antigone » disait d’elle celui dont il partagea l’amitié pendant plus de 25 ans. « C'est une adaptation très libre (...) car je voulais que le film soit toujours du point de vue de Florence », assure Géraldine Danon. Film considéré dès la première scène comme « diffamatoire » par la famille Arthaud, elle reproche à la réalisatrice de montrer une image dépravée de Florence Arthaud, la montrant buvant comme un homme, jurant comme un homme, se conduisant comme un forban dont elle semblait aimer chanter la célèbre chanson de marine (« à moi forban que m’importe la gloire, les lois du monde et qu’importe la mort… »).

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Il n’est pas toujours facile de s’attaquer à une légende. Surtout si celle-ci verse dans le romanesque à chaque instant de sa vie : valse avec la mort, goût pour la fête avec un petit penchant pour l’alcool bien avant de prendre la route du Rhum, fausse-couche avec hémorragie en plein océan, chute dans la mer Méditerranée au large du Cap Corse une nuit d'octobre 2011 (secourue in extremis grâce à son téléphone portable étanche et à la connaissance de sa dernière position). Elle en avait tiré un livre, Cette nuit, la mer est noire, édité chez Arthaud, la maison d'édition familiale. À 57 ans, en 2015, la mort a pourtant fini par la rattraper pour de bon, « la petite fiancée de l’Atlantique », dans un tragique accident d'hélicoptère lors d'un tournage d'une émission de télé-réalité, en Argentine. C’est toute cette soif de vie en trompant la mort, d’intensité, cette énergie qu’essaie de transmettre Géraldine Danon, et si la famille Arthaud trouve que le penchant pour l’alcool de Flo est un peu trop prononcé dans son film, on se souviendra, quand même, que les marins, quels qu’ils soient, ne sont guère des modèles de sobriété et d’abstinence.
Le film n’est pas exempt de défauts : Géraldine Danon montre, dans la scène d’ouverture, Florence Arthaud responsable de l’accident de voiture, conduisant en buvant, alors qu’elle ne buvait pas à l’époque, et surtout était sur la banquette arrière. Une liberté prise pour les besoins du film, un brin gênante quand même. Et surtout, malgré l’incroyable performance de l’actrice Stéphane Caillard, ressemblant à s’y méprendre à la navigatrice aux cheveux battus par les vents, elle ne vieillit pas ni même les personnages qui l’entourent : or le film est censé se dérouler sur 30 ans…
Dommage, mais malgré tout Flo montre un personnage très attachant, et on en ressort avec une belle soif de liberté (voire une soif tout court...). Et l’envie de chanter “le forban”, en soulevant quelques verres, avant d’embarquer pour un voyage au long cours. Farouchement libre.
F.S.
Flo, de Géraldine Danon, avec Stéphane Caillard, Alison Wheeler, Alexis Michalik, Charles Berling… 2h05. En salle depuis le 1er novembre.