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Le pitch : en octobre 2015, les douanes saisissent sept tonnes de cannabis en plein Paris. Le même jour, Hubert Antoine (Roschdy Zem), ancien infiltré dans le milieu de la drogue, contacte Stéphane Vilner, journaliste à Libération, et prétend pouvoir démontrer l’existence d’un trafic d’État organisé par Jacques Billard (Vincent Lindon) le patron de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants. D’abord un peu méfiant, Stéphane finit par se plonger dans l’enquête, laquelle le mènera jusqu’aux recoins les plus sombres de la République. Thierry de Peretti signe un thriller ambigu et insaisissable, remarquablement interprété, au risque cependant de perdre un peu ses spectateurs…
Flic et voyou ?
« Quand on est au cœur de l’action, faut-il être voyou avec les voyous ? ». C’est la question que se posent un journaliste (Pio Marmaï) et un ex flic de haut vol infiltré dans le milieu du cannabis version trafic à grande échelle (Roschdy Zem), en laissant passer des cargaisons gargantuesques pour mieux serrer les trafiquants plus tard. Enfin, ça, c’est la théorie, parce qu’en pratique, une (grosse) partie de la came disparaît dans la nature sans laisser de trace, ce qui ne manque pas d’interroger sur les méthodes du patron de la lutte contre les trafics illicites, Jacques Billard (Vincent Lindon). Le film s’ouvre sur un long plan-séquence où l’on voit un homme faire les cent pas dans une luxueuse villa de Marbella. La tension est palpable, on le sent inquiet à la vue de quelque chose qui semble se passer dehors, et qui vient de la mer. Plusieurs zodiacs débarquent quelques minutes plus tard des valises dont il ne faut pas longtemps au spectateur pour comprendre de quoi il s’agit.
Enquête sur un scandale d’État est la libre adaptation du récit, vrai celui-là, d’Hubert Avoine, mort d’un cancer en 2016 et auteur de L’Infiltré, où il déballait tout d’un scandale d’État jusqu’aux plus hauts sommets de la République, tenaillé par le sentiment d’avoir été roulé par celui-là même qui le mettait dans des situations impossibles. Peu reprise dans les médias de l’époque, le film répare un peu l’oubli (par omission) en revenant à la source du journal qui révéla l’affaire à l’époque : Libération.

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Un angle coco, un seul
Complexe, trouble, énigmatique, fascinant autant que trop dense par moment (le spectateur prendra bien soin de ne pas aller voir ce film légèrement éreinté par une journée de boulot, sans quoi les presque deux heures risquent d’être longues !), le film de Peretti prend bien soin de semer le doute dans l’esprit de ses protagonistes, autant que dans celui des gens dans la salle. Le journaliste flaire-t-il seulement le bon coup ou se fait-il copieusement manipuler par Hubert. Lequel est-il un authentique mythomane manipulateur, ou un homme blessé qui cherche à se venger d’avoir été complice d’un système qui, au prétexte de lutter contre le trafic de drogue, contribuait à sa diffusion massive ? D’une intensité rare, le film ne lâche rien jusqu’à la dernière minute, même si l’on regrette ici ou là quelques longueurs (le procès en diffamation, plan séquence de trop à notre goût) ; on regrette aussi que Jacques Billard, personnage interprété par Vincent Lindon, n’apparaisse que par petites touches alors qu’on trouvait justement que ce gros poisson nageant en eaux visiblement troubles était à suivre.
La palme revient sans conteste à Roschdy Zem, - comment imaginer un autre acteur pour un tel rôle ? - au naturel de son phrasé et des répliques avec Pio Marmaï ; aux séquences des conférences de rédaction de Libé aussi où l’on voit des journalistes débattre, discuter, pour savoir, et comprendre (Julie Moulier, cheffe de service particulièrement bien vue). Cependant Enquête sur un scandale d’État nous a laissé un arrière goût de plat trop copieux. Le film aurait probablement gagné à utiliser le même sacro-saint mantra des journalistes : choisir un angle et un seul, comme celui de la maladie incurable d’Hubert Antoine (traitée seulement par toute petites touches par de Peretti), qui justifierait à elle seule l’obsession aux limites de la folie de ce dernier à faire éclater toute la vérité d’un scandale d’État ahurissant, à « faire péter la République », comme il le dit justement. Mais vous allez encore nous trouver trop exigeants !
F.S.
Enquête sur un scandale d’État, de Thierry de Peretti. 1h50. En salle depuis le 9 février.