fredericsabourin (avatar)

fredericsabourin

Journaliste free lance - Enquêteur - Ecrivain - Photographe - Educateur aux médias pour la jeunesse (et même les + vieux)

Abonné·e de Mediapart

144 Billets

0 Édition

Billet de blog 17 mai 2023

fredericsabourin (avatar)

fredericsabourin

Journaliste free lance - Enquêteur - Ecrivain - Photographe - Educateur aux médias pour la jeunesse (et même les + vieux)

Abonné·e de Mediapart

Jeanne du Barry : Maïwenn au risque du film de cour

Maïwenn signe son sixième film, s’identifiant à Jeanne du Barry, dernière favorite de Louis XV, dont elle ravive la passion amoureuse, tout en prenant une revanche sur l’humiliation de classe dont la jeune roturière fut l’objet. C’est beau, romantique autant qu’hostile, un peu frustrant par moment mais diablement bien ficelé. Peut-être trop ?

fredericsabourin (avatar)

fredericsabourin

Journaliste free lance - Enquêteur - Ecrivain - Photographe - Educateur aux médias pour la jeunesse (et même les + vieux)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
- Jeanne du Barry et son roi, dans la galerie des glaces du château de Versailles, qui n'a peut-être jamais aussi bien porté son nom - - © (c) Stéphanie Branchu, Why Not Production

Présenté en ouverture – et hors compétition – au 76e Festival de Cannes le 16 mai, Jeanne du Barry, de et avec Maïwenn, avait tout pour affoler la Croisette et le Palais des Festivals : le parfum du scandale entourant Johnny Depp, star déchue et aux prises avec affaire de violence conjugale. L’identification de l’actrice-réalisatrice Maïwenn à la dernière favorite du roi Louis XV, entre 1768 à sa mort en 1774. Toute ressemblance avec son histoire vécue – alors qu’elle était encore très jeune – avec le réalisateur Luc Besson n’est pas que coïncidence. Le film de genre, costumé de surcroît, sur la société de cour au XVIIIe siècle est un sujet casse-gueule : Maïwenn s’est-elle pris les pieds dans le tapis (rouge) du Palais des Festivals ? Pas que l’on sache, même si la montée des marches, mardi 16 mai au soir avant l’ouverture officielle, a donné quelques sueurs froides aux organisateurs.

Le pitch : Jeanne du Barry (Maïwenn), née Bécu de Vaubernier de père inconnu (un moine de Picpus, dit la légende) et d’une mère cuisinière, comprend vite que ses charmes peuvent faire d’elle un transfuge de classe. Elle apprend le « métier » de courtisane, et son mentor, Jean du Barry, n’a qu’une envie : la présenter au roi Louis XV (Johnny Depp). Ce dernier est inconsolable depuis la mort de la Pompadour, en 1764. Le duc de Richelieu (Pierre Richard) s’occupe des présentations, aidé du premier valet de chambre, La Borde (Benjamin Lavernhe, excellent). Grand amateur de belles femmes, il ne tarde pas à succomber à cette jeune roturière, mariée fissa au frère de Jean du Barry (à Jean lui-même dans le film), pour tenter d’étouffer le scandale que cette favorite provoque à la cour de Versailles. Celle-ci, menée par les trois filles de Louis « le bien-aimé » (épatantes India Hair et Suzanne de Baecque notamment) lui voue une inimitié farouche, qui sera renforcée par l’arrivée de la dauphine Marie-Antoinette. Qu’importe : la du Barry, apprenant les codes de Versailles autant qu’elle les casse ou les contourne, sera fidèle à son roi. Lui en revanche beaucoup moins, et sa mort de la petite vérole en mai 1774 le prouve. Jeanne du Barry finit sa vie loin de la cour de Versailles, qui s’empresse de tourner la page, et finira guillotinée le 8 décembre 1793.

Illustration 2
- Tout cela est grotesque ! - C'est Versailles, Madame - © (c) Stéphanie Branchu, Why Not Production

Être femme au XVIIIe siècle, c’était être cantonnée au foyer, aux tâches domestiques, à l’invisibilité de l’espace public. Pour avoir une existence publique, il fallait être une femme publique. Sortie du ruisseau qu’elle n’aurait jamais dû quitter, Jeanne du Barry apprend, lit, se « cultive » comme on dirait aujourd’hui. Elle n’en demeure pas moins une catin, traînant derrière elle le parfum du scandale, parfum aussi nauséabond que celui d’une cour qui à la fois est capable de rire et commenter tout haut, autant qu’elle use de messes basses cherchant à détruire les réputations. Maïwenn se saisit de la recherche d’émancipation des femmes, de la notion du consentement, du respect des règles établies, de l’étiquette que Jeanne du Barry cherche à contourner, passionnée par l’amour pour son roi. À la cour, on déteste les femmes savantes, on aime railler les stupides, on nie leurs éventuels talents. Le film de Maïwenn n’en manque pas, dans ce règne finissant qui n’en finit pas, d’un roi qu’on disait « bien aimé » mais qui pourra honteusement et laissera bien vite la place au dauphin, son petit-fils Louis XVI, à la destinée que l’on connaît. Le lit du roi devient le lieu d’une ascension sociale qui se refusait à elle, mais qu’elle perdra sitôt son dernier souffle rendu.

Illustration 3
© (c) Stéphanie Branchu, Why Not Production

Le film n’est cependant pas parfait, loin s’en faut : l’omniprésence de Jeanne efface un peu les rôles secondaires, à commencer par Louis XV, bien falot et quasiment absent, taciturne. Johnny Depp égaré en plein cinéma français ? On sait que le choix de la star déchue fait tousser. Surnage dans un casting de haut vol Pierre Richard (le duc de Richelieu), Pascal Greggory (le duc d’Aiguillon), Melvil Poupaud (Jean du Barry) et surtout Benjamin Lavernhe (le premier valet de chambre La Borde), de loin le meilleur.

Il y aurait à dire aussi sur un montage un peu trop séquencé, aux scènes comme coupées en plein vol par moment, ce qui ne manquera sans doute pas d’agacer les critiques du Masque et la plume et de la bande à Garcin.

L’ensemble est de belle facture – décors sublimes, c’est Versailles ! – et costumes auxquels il ne manque absolument rien. Cela suffira-t-il à justifier les 20 millions d’euros de budget ? Jeanne du Barry de Maïwenn prouve au moins une chose : on est capable, en France, de produire de tels films, c’est plutôt réjouissant. « Encore une minute, monsieur le bourreau » diront les quelques spectateurs à prendre encore le risque et le chemin des salles obscures…

F.S.

 Jeanne du Barry, de Maïwenn. Avec : Maïwenn, Johnny Depp, Benjamin Lavernhe, Pierre Richard, Melvil Poupaud, Pascal Greggory, India Hair, Noémie Lvovsky, Suzanne de Baecque...

 Maïwenn, réalisatrice habituée du Festival de Cannes, obtint en 2015 pour Mon roi le prix d'interprétation féminine (Emmanuelle Bercot). Et en 2011 le prix du Jury pour Polisse.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.