
Juliette n’est pas en grande forme. Elle quitte provisoirement Paris pour venir passer quelques jours chez son père, en province. Ce dernier vit seul depuis son divorce. Elle retrouve sa sœur, épouse et mère modèle, qui pourtant a pris un amant. Sa mère, artiste perchée et fantasque, fait quelques apparitions. Juliette fait aussi la rencontre de Pollux, gentil garçon épris d’un caneton qu’il a recueilli au hasard. La grand-mère de Juliette vient de rentrer dans un Ehpad, et ne s’en porte pas plus mal. Tout ce petit monde vit plus ou moins bien avec ses petites névroses, mais semble dépositaire d’un lourd secret de famille, que Juliette semble la seule à ignorer. Ou feindre de l’ignorer. Peut-être est-ce là une des clés de sa dépression, dont elle pourrait finir par guérir en chassant le fantôme qui erre dans le placard, et dans sa vie…
Adapté de la bande dessinée de Camille Jourdy, Juliette : les fantômes reviennent au printemps, le nouveau film de Blandine Lenoir (Aurore en 2017, Annie Colère en 2022), Juliette au printemps explore à nouveau les figures féminines, sans militantisme excessif, sans discours péremptoire, une oscillation entre légèreté et tragique. Cette exploration passe surtout par Juliette, interprétée par Izïa Higelin, jeune trentenaire un peu perdue entre les crayons et pinceaux de ses dessins (elle est illustratrice jeunesse) et une vie qui ne semble pas vraiment lui sourire. “Faut reconnaître que c’est pas facile, la vie” dit son père, Jean-Pierre Darroussin, dans une phrase d’une écrasante banalité, ne sachant visiblement lui-même quoi répondre à sa propre fille, entre deux bouchées de “croque-vieux-monsieur”.

Marilou (Sophie Guillemin), sa sœur, ne va pas mieux malgré les apparences : maison, jardin, mari, deux filles (dont une bourrée de tics, signe que quelque chose cloche quand même dans le royaume…). Mère et épouse un brin castratrice, elle trompe l’ennui et son mari (Éric Caravaca) avec un amant dans la serre du jardin familial.
Nathalie (Noémie Lvovsky), la mère, qui a refait sa vie avec un artiste, femme fantasque et perchée qui semble cacher une fêlure ancienne - qu’on ne révelera pas pour ne pas “divulgâcher” l’histoire - complète cette galerie de portraits autour de laquelle gravitent des personnages pas si secondaires qu’ils en ont l’air : une grand-mère qui perd la boule (mais pas complètement) ; un célibataire qui se met à regarder Juliette d’une façon qui ne lui déplaît pas… Blandine Lenoir plante sa caméra face à tous ses personnages, avec drôlerie parfois, mais ce qu’il faut de tragique dont on se demande, pendant longtemps, de quoi il retourne.
Il faut attendre les trois-quart du film pour qu’elle lâche le morceau - et auparavant on ne s’est jamais ennuyé, car elle sait ménager le suspens - dans une scène entre la mère et ses deux filles pour apprendre que certains deuils sont longs, très longs à faire…
Tout change de pôle et d’épaule, dirait le poète, la pièce n’en est pas moins drôle par moment, mais on comprend mieux, alors, ce qui faisait stagner Juliette dans une sorte de long automne-hiver, et qu’elle n’était pas la seule à pâtir de ce lourd secret qu’elle ignorait, elle.
C’est intelligemment fait, c’est bien ficelé, on enlève pas une virgule à cette Juliette au printemps, dont on ne serait pas surpris que le bouche à oreille fonctionne bien. Dans le tumulte actuel, c’est tout le bien qu’on souhaite à Blandine Lenoir et ses comédiens.
F.S.