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Jean-Paul a largement dépassé la quarantaine rugissante. Il se dirigerait même plutôt vers la cinquantaine hurlante, si on en juge par la descente (de vodka) qu’il s’autorise jour et nuit… Restaurateurs enfoncés dans les dettes, au bord de la faillite commerciale et personnelle, il se voit dans l’obligation de changer de vie, et remonter la pente au risque de boire (vraiment) la tasse. Mais pour changer de vie, il faut changer la vie. Témoin du naufrage de son père, sa fille, Camille (Madeleine Beauvois, fille de) est impuissante, et le père de Jean-Paul, Pierre (Pierre Richard, impeccable du haut de ses 89 ans), ne l’aide pas davantage. Ferdinand (Joseph Olivennes), son fils aîné, cuisinier comme son père, ne veut plus entendre parler de lui depuis qu’un conflit, mi familiale, mi professionnel, les oppose. Jean-Paul a alors une « idée » incroyable : il va participer au Vendée Globe virtuel, au bout de son jardin, dans son bateau en cale sèche qui moisit sur l’herbe depuis pas mal d’années…
C'est la mer qui prend l'homme

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Grâce à un scénario bien ficelé malgré l’invraisemblance – magie du cinéma et d’un grand réalisateur – Xavier Beauvois réussi sans problème l’embarquement à bord de ce drame familial aux liens désordonnés. Un père qui parle peu à sa fille ; un fils qui ne veut plus parler à son père ; un grand-père qui croupit dans le ressassement d’un drame qui aurait pu coûter la vie à son fils : il est beaucoup question de dialogue, et surtout d’absence de dialogue, dans La Vallée des fous de Xavier Beauvois. Que faire quand on est au bord du trou, qu’on boit comme un trou, sinon prendre le risque de passer par-dessus le bastingage ? Reboucher le trou, par de l’eau de mer ? C’est en tout cas ce que finit par faire Jean-Paul – Jean-Paul Rouve, césarisable assurément pour ce rôle en père perdu, alcoolique éthilo-dépendant se regardant sombrer avec une délectation morbide – en s’engageant sur la Virtuel Regatta, ce Vendée Globe virtuel à distance depuis son fauteuil, face à un écran d’ordinateur. Mais Jean-Paul, en s’installant dans sa vieille coquille de noix pourrissant au fond du jardin du restaurant « les 40e rugissants », va faire davantage que le tour du monde virtuel à la voile : il va faire « le tour de son monde », et même si cela lui coûte (excellentes scènes où le manque d’alcool le mène au délirium), il va réfléchir à l’eau claire : la meilleure chose qui lui soit arrivé depuis longtemps…
Yes, we Cam !
L’incroyable se produit alors : sans pathos excessif – on peut avoir les yeux mouillés mais guère plus, les larmes salées ne coulent que sur l’écran – le récit fonctionne, et les apparitions de Jean Le Cam et son bateau, ou encore « le professeur » Michel Desjoyeaux (double vainqueur du vrai Vendée Globe) ajoutent à la sincérité d’un film que ne se veut pas moins. On aurait pu croire ces apparitions un peu too much, mais là encore, tout est question de dosage : Xavier Beauvois, en vieux loup de mer du cinéma, n’en fait pas trop, reste sur l’écoute sensible de grand-voile et le spectateur n’a pas l’impression de se prendre un coup de bôme dans la tête. Et puis, la « vallée des fous » n’est-elle pas le surnom de Port-la-Forêt, dans le Finistère, où les plus grands navigateurs se sont entraînés ?
Le jour où on a vu La Vallée des fous, dans une petite salle d’un cinéma d’Angoulême, une partie du public a applaudi à la fin, chose rare en dehors d’un festival ou d’une avant-première. Et notre petit doigt nous dit que ce film, sans corne de brume excessive, va très probablement bénéficier d’un excellent bouche à oreille, avant d’en réentendre parler en février prochain, aux Césars. Parce qu’il n’y a pas à en rajouter, mais la prestation de Jean-Paul Rouve, en naufragé de la vie, mérite franchement le détour…
F.S.
La Vallée des fous, de Xavier Beauvois (2h). Avec Jean-Paul Rouve, Pierre Richard, Madeleine Beauvois, Joseph Olivennes… En salle depuis le 13 novembre.

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