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En août 2014, après une soirée arrosée, Sylvain Tesson chute gravement d’un toit en faisant le pitre. Cette chute de huit mètres aurait pu le tuer. Elle le laisse « sur un tas d’os », « j’étais tombé du rebord de la nuit », dira-t-il quelques temps plus tard, dans Sur les chemins noirs, récit de sa traversée de la France du Mercantour jusqu’au cap de La Hague dans le Cotentin, en suivant ce qu’il est convenu d’appeler « la diagonale du vide ». Une fuite en avant voulue par lui-même, convaincu que ce choix de la marche – puisque son accident ne l’avait finalement pas privé de l’usage de ses guibolles – serait la meilleure thérapie possible, dans tous les sens du terme. Denis Imbert porte à l’écran un des meilleurs récits du prolifique écrivain voyageur, en demandant à Jean Dujardin d’interpréter l’intrépide Tesson. Hélas, cette erreur de casting, associée à d’incessants usages du flash-back, conduisent ces chemins noirs dans une impasse.

Quand on passe quatre mois allongé sur un lit d’hôpital à manger de la compote à la petite cuillère, on en ressort généralement sec comme un coup de trique. Dès les premiers pas de Dujardin à l’écran entre chemins noirs, pierriers et traversées de villages pittoresques perdus au sud-est de la France, on ressent comme un malaise, qui ne nous lâchera plus jusqu’à la fin des 1h36 du film de Denis Imbert : il est beaucoup trop gras et charpenté pour endosser le cabossé de la vie, qui va traîner sa carcasse sur les 1300 bornes de son périple. « Quel intérêt à hisser un corps en loques jusqu’au nord d’un pays en ruines ? » dit si bien Tesson dans son récit qui donne son nom au film. Si bien écrit, et pour tout dire on se prend à regretter, après avoir vu et apprécié La Panthère des neiges fin 2021, que ce ne soit pas lui-même qui fasse la voix off. Car qui mieux que Tesson pour déclamer du Tesson ? Pas Jean Dujardin en tout cas, malheureusement peu convaincant dans l’exercice.
On sait que l’acteur oscarisé a fait beaucoup pour avoir le rôle. Mais le fallait-il vraiment ? À de rares moments, l’acteur parvient à nous en convaincre, excepté dans le premier quart du film, où il peut laisser espérer incarner le personnage, dont une des raisons principales était de foutre le camp, fuir : « Corseté dans mon lit, je m’étais dit à voix presque haute : Si je m’en sors, je traverse la France à pied. Je m’étais vu sur les chemins de pierre ! J’avais rêvé aux bivouacs, je m’étais vu fendre les herbes d’un pas de chemineau. Le rêve s’évanouissait toujours quand la porte s’ouvrait : c’était l’heure de la compote ». (…) « Des motifs pour battre la campagne, j’aurais pu en aligner des dizaines. Me seriner par exemple que j’avais passé vingt ans à courir le monde entre Oulan-Bator et Valparaiso et qu’il était absurde de connaître Samarcande alors qu’il y avait l’Indre-et-Loire. Mais la vraie raison de cette fuite à travers champs, je la tenais serrée sous la forme d’un papier froissé, au fond de mon sac ». La lettre que sa mère lui envoya au lendemain de son bac, une lettre dont on ignore tout dans le récit de Sylvain, mais qui est fictionnée dans le film de Denis Imbert, vrai morceau d’émotion.

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Tout n’est cependant pas à jeter dans son adaptation, malgré l’insistance des flash-back qui finissent par nous perdre un peu en chemin – un comble – mais ceux qui marchent savent bien que ces « chemins noirs » suivent parfois un tracé très aléatoire, qui traversent ronciers et sous-bois touffus. « La beauté du chemin est-elle amoindrie par les buissons d’épines qui le bordent ? » disait Stendhal. Denis Imbert parvient, grâce à quelques plans de cette France qui sent bon le calcaire chauffé au soleil, les genévriers, l’aubépine, le sorbier et l’humidité des sous-bois résineux, grâce aux drones qui permettent désormais une belle hauteur de vue et profondeur de champ, à rendre la potion moins amère qu'un sirop de gentiane bu à la terrasse d'un troquet cévenol. Et emporter le spectateur sur les chemins noirs de ces cartes IGN, en faisant sienne la formule de Sylvain Tesson, pour finir : « Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie ».
F.S.
Sur les chemins noirs, de Denis Imbert. Avec Jean Dujardin, Joséphine Japy, Izia Higelin, Annie Duperey, Jonathan Zaccaï....