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Le pitch : Jeanne (Blanche Gardin), jeune quadragénaire patronne d’une start-up environnementale, rencontrait le succès, ce que son pas décidé martelant le sol à grands coups de talons prouve, dans la scène d’ouverture. Jusqu’à ce que, le jour du lancement de sa machine à récupérer le plastique dans les océans tout en sauvant le monde, le projet « Nausicaa » coule lamentablement en même temps que ses espoirs de devenir « la femme de l’année », comme le disent les journalistes. Dans un réflexe désespéré, elle plonge pour essayer de récupérer sa colonne mangeuse de plastique, et la vidéo, virale, tourne en boucle sur Internet. Elle est la risée du monde entier. Jeanne se retrouve alors au bord de la faillite personnelle, et, dans le bureau d’une avocate, en présence de son frère. Elle lui conseille de vendre l’appartement de leur mère à Lisbonne, suicidée l’année précédente. Jeanne prend donc l’avion pour le Portugal, et dans l’aérogare elle rencontre un vieux copain de lycée, Jean (Laurent Lafitte, de la Comédie française), qu’elle ne reconnaît pas dans un premier temps, et qui va s’avérer pot-de-colle comme ce n’est pas possible. Mais ce sera peut-être pour son bien.
Peut-on rire de tout, y compris de la dépression ? Assurément oui, et Céline Devaux n’est pas la première à s’y essayer. Mais au lieu de nous traîner, en même temps que sa comédienne, sur le divan d’un n-ième psy germanopratin, la réalisatrice et illustratrice qui s’est fait connaître par deux courts-métrages primés (Le Repas dominical, Le Gros chagrin) prend la parti d’en rire, avec cynisme, mais d’en rire franchement. Elle ponctue Tout le monde aime Jeanne de courtes séquences animées au crayon, qui décrivent fort bien l’intérieur tordu du cerveau névrotique de Jeanne, consciente de son état mais dont le déni total l’empêche volontairement d’en sortir. Une petite voix intérieure, sorte de Jiminy Cricket vient prêter la main aux fantômes qui la hantent, apportant un effet comique dont le spectateur se régale, littéralement. Car cette petite voix intérieure fantomatique vient rajouter de nombreuses couches aux névroses pathologiques de Jeanne, et faire reculer le moment des décisions qui pourtant s’imposeraient à elle pour arrêter le sabotage. Cruauté, grossièreté, stoïcisme et surtout une bonne dose de cynisme : quel délice !

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Bien sûr il y a Jeanne (Blanche Gardin) mais il y a aussi surtout Jean (Laurent Lafitte). Et c’est par lui que le rire arrive, parce que sinon, dépeint comme nous venons de le faire, le film pourrait en rebuter plus d’un (une). Hurluberlu insouciant, nonchalant, léger autant que spontané, doublé d’un cleptomane affublé d’incongrues lunettes de soleil de pin-up, Jean est l’antithèse de Jeanne : il dit ce qu’il pense, s’accommode de tout même du pire, profite de la vie et de ses meilleurs moments, et surtout semble être un des rares à ne pas avoir vu la fameuse vidéo où Jeanne se noie en même temps que son projet Nausicaa…
Alors que Jeanne semble scotchée à l’appartement de sa défunte mère (qu’elle rencontre par hallucinations) et à tout ce dans quoi elle peut se recroqueviller, Jean a lui la bougeotte, ose tout, met les pieds dans les plats, ouvre des portes avec un culot monstre, en somme : il fait diversion. En cela il suscite le rire sincère, par des répliques loufoques qui semblent tomber des nues, par ses accoutrements complètement dingos… Par sa fantaisie surtout, qui semble être, pour Jeanne, le seul antidote à la honte qui la ronge, et au cafard qui la cloue au sol. Réjouissant !
Tout le monde aime Jeanne, de Céline Devaux. Avec Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Maxence Tual. 1h35. En salle depuis le 7 septembre.