
Lorsqu’il arrive à Cognac à l’invitation d’une grande marque d’eau de vie qui a fait sa renommée mondiale, à l’occasion de son bicentenaire, le célèbre écrivain Stéphane Belcourt (Guillaume de Tonquédec) n’ignore rien de ce qui s’est passé 35 ans plus tôt, pendant son année de terminale : une histoire d’amour, cachée, avec Thomas (Julien de Saint-Jean), lequel s’est volatilisé en Espagne sitôt les résultats du bac en poche. Pour sublimer cet amour qui n’avait pu se vivre au grand jour dans cette petite ville de province des années 80 où cette originalité n’était pas très en vue, Stéphane est devenu écrivain, ce qu’il était déjà en gestation, dans le secret de sa chambre d’adolescent. Celle-ci était son « royaume », partagé avec Thomas, beau ténébreux lycéen aux désirs équivoques, qui plaisait aux filles, mais lorgnait aussi en douce sur ce garçon différent de lui, avant d'y succomber. Durant une séance de dédicaces dans la librairie indépendante de la cité cognaçaise, Stéphane Belcourt, peu inspiré depuis quelques livres fait la connaissance de Lucas Andrieux (Victor Belmondo). Ce nom l’interpelle, il lui rappelle quelqu'un du lycée : c’était Thomas. C'est bien lui dont on parle, lequel a donc eu un fils qui semble avoir lui aussi un fantôme dans son placard de jeune adulte : la figure d’un père taiseux qui n’a jamais rien dit, un père absent qui a choisi de prendre la tangente au bout d’une corde après avoir disparu une seconde fois, de sa propre famille qu’il avait fondé avec une jeune femme rencontrée en Espagne. À l’aide des pièces de ce puzzle, Olivier Peyon réalise un film touchant, un mélo certes mais bien ficelé, qui saisit le spectateur sans le lâcher, jusqu’à la fin qu'il ne faudrait rater sous aucun prétexte.

Il n’y avait pas que la « part des anges » dans l’atmosphère feutrée des chais de cognac au milieu des années 80, dans la société encore engoncée d'un paternalisme enveloppé de ce qu’on nommait « la tradition »… Dans la vie de tous les protagonistes de ce roman largement autobiographique de Philippe Besson – bien que l’action du roman se passe à 40 kilomètres de Cognac, dans une autre bourgade de cette province charentaise que n’aurait pas reniée Jacques Chardonne, Barbezieux – il y a des anges, et des fantômes. Dans la vie de Stéphane Belcourt, Philippe Besson donc, joué par Guillaume de Tonquédec tout en retenue et livrant l’essentiel, courbé par la lassitude de ce bref retour au pays qu’il n’a pas vraiment souhaité. Aussi dans la vie du jeune Lucas, salarié d’une grande maison de cognac (on reconnaît Hennessy) responsable du marché américain en Californie, à la recherche d’un embryon d’explication sur la disparition de ce père qui semble finalement n’avoir jamais été là. Dans la vie de Gaëlle enfin (Guilaine Londez), grande prêtresse de l’organisation de ce bicentenaire, qui ne devient qu'un prétexte. Les fantômes d’une vie qui n’a pas pu ou pas su se dire, mais s’écrire, pour Stéphane. Dès le lycée, il sait que c’est par là que passera son salut, après la terrible déception de la disparition de son amour de jeunesse.
« Autant prévenir d’emblée : pas de règlement de comptes, pas de violence, pas de névrose familiale. Mais un amour, quand même. Un amour immense et tenu secret. Qui a fini par me rattraper », dit la quatrième de couverture du roman de Besson. Olivier Peyon a repris à son compte, en adaptant le roman avec Philippe Besson, cet état d’esprit qui traverse tout le film. Il aurait pu déraper à plusieurs reprises, dans une adaptation fade et mielleuse incapable de trouver le ton, mais il ne le fait pas, au contraire. L’ensemble sonne juste, à la fois chez Stéphane adulte, lors cette hasardeuse rencontre avec Lucas, rôle qui va probablement encore davantage propulser la carrière de Victor Belmondo. Mais aussi et même surtout avec les deux comédiens qui incarnent Thomas et Stéphane lycéens de 17 ans (Julien de Saint-Jean et Jérémy Gillet), offrant « une heureuse variation du roman », comme le résume assez justement un spectateur à la sortie d’un cinéma d’Angoulême où nous avons vu le film.

Cette « variation » pourrait d’ailleurs ressembler à un Chabrol qui aurait fait un bel enfant à François Ozon. La métaphore est osée - on l'assume - mais ceux qui iront voir Arrête avec tes mensonges y trouveront tout ce qu’une vie provinciale corsetée des années 80 pouvait véhiculer, avec les certitudes d’un monde certes hyper sexualisé mais dans l’unique versant hétérosexuel, sans autre échappatoire qu’une clandestinité subie pour ceux et celles qui se sentaient « différents ». Et ce faisant, devaient pour assouvir leurs irrépressibles pulsions et vivre des amours inavouables, se cacher pour tenter de vivre leur histoire. Mais aussi malheureusement les enfouir, les cacher, les sublimer autrement, pendant des années, parfois. Arrête avec tes mensonges semble nous murmurer « arrête avec tes blessures », comme si celles-ci, une fois sorties au grand jour, pouvaient s’évaporer dans l’atmosphère renouvelée de traditions surannées. Comme la « part des anges », cette portion des eaux de vie de cognac qui s'évapore, enivrant les cieux, dit-on…
F.S.
Arrête avec tes mensonges Film d’Olivier Peyon. Avec Guillaume de Tonquédec, Victor Belmondo, Guilaine Londez, Jérémy Gillet, Julien de Saint-Jean. 1h45. Sortie le 22 février.