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Porté par un casting solide où les vieux loups de mer (Gérard Depardieu, Jean-Pierre Darroussin, Catherine Frot) croisent des jeunes premiers très efficaces (Yoann Zimmer, Félix Kysyl, Édouard Sulpice), le film raconte le drame des appelés d’Algérie qui n’ont jamais pu dire ce qu’ils avaient vu là-bas, aux conséquences dramatiques pour toute leur vie.
« Des hommes… des hommes ont fait ça… ». Lorsque « Feu de bois » (Gérard Depardieu) égrène d’une voix fatiguée par la vie et l’alcool les exactions de l’armée française en Algérie dans ce qu’il était convenu de ne pas appeler « une guerre », son cousin Rabut (Jean-Pierre Darroussin) répond que « C’était les ordres ». Des ordres venus d’en haut, mais on ne verra pas l’ombre d’un officier dans le film de Lucas Belvaux, laissant la troupe se « démerder » seule au milieu du djebel, de mechtas en mechtas, rompant difficilement l’ennui des longues heures de garde à surveiller le maquis algérien. Quelques permissions viennent égayer un peu ce morne quotidien de trente mois d’appel ou de rappel du contingent : découverte d’Alger la blanche (dans une scène très « camusienne » ou le jeune Bernard – Yoann Zimmer, brillant comme les autres jeunes acteurs interprétant les appelés – est fasciné par la ville, ses couleurs, ses odeurs) ; découverte du bordel aussi où tout semble possible à ces jeunes arrivés ici sans préavis et passent en un éclair de la quasi enfance à l’âge adulte. Certains écrivent – Bernard est de ceux-là – à leur copine, ou leur sœur. Solange (Catherine Frot), sœur de « Feu de bois », reçoit ces lettres et les rangent soigneusement dans une boîte. Les a-t-elle lues à l’époque sans se rendre compte du drame qui se jouait là-bas et qui allait gangrener leur vie entière au retour, dans cette petite bourgade du Morvan où les secrets d’Algérie vont empoisonner la vie sociale des appelés jusqu’à aujourd’hui ?

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Au cours d’un repas où Solange fête ses 60 ans, « Feu de bois » qui a, pour trouver du courage sans doute, bien descendu les bouteilles, fait l’esclandre de trop. Tout le monde le connaît, son cousin Rabut mieux qu’un autre, mais personne ne parle. Les gendarmes, compréhensifs, devront pourtant s’en mêler, mais préfèreront attendre le lendemain qu’il ait dessoulé.
Lucas Belvaux, qui avait débuté sa carrière d’acteur dans le plaidoyer antimilitariste d’Yves Boisset Allons z’enfants en 1981, puis pris son envol avec Claude Chabrol (Poulet au vinaigre, 1985 ; Madame Bovary en 1991) et Jacques Rivette (Hurlevent), est passé derrière la caméra dans les années 90. Il signa Rapt avec Yvan Attal en 2009 (enlèvement et séquestration du baron Empain), Après la vie, Pas son genre, Chez nous…

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Avec Des hommes, il impose un thème qu’il est regrettable de ne pas avoir vu plus tôt dans le cinéma français, à part l’excellent Mon colonel de Laurent Herbiet en 2006, ou plus loin Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier (1972). La génération des appelés d’Algérie, qui s’éteint petit à petit, aurait gagné à pouvoir profiter de l’occasion pour ouvrir la boîte de pandore…
F.S.