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« C’est pas le 22 février, c’est le 19 février. L’entretien est dans deux jours, apprends ton histoire ! ». On comprend assez vite que Barry, qui fait répéter à Souleymane une histoire de réfugié politique qui n’est manifestement pas la sienne, ajoute une pression supplémentaire à la vie de ce réfugié guinéen en attente d’un entretien auprès de l’OFPRA pour obtenir, peut-être, des papiers français et le droit de travailler.
Le quotidien de Souleymane est rythmé par une pression permanente, pour tout : pression des livraisons de repas, en haut des escaliers chez « les blancs ». Pression de celui qui lui « loue » son compte Uber eat, et ne le paie pas. Pression du bus à attraper absolument pour ne pas rater sa place au 115, seul endroit et moment de la journée où la pression se relâche un peu, justement, dans quelques moments de fraternité bienvenus. Pression d’une histoire à retenir. Pression des courses de vélo dans Paris, mépris des restaurateurs qui s’en fichent, des flics qui suspectent une entourloupe. Pression, enfin, de sa petite amie restée en Guinée, et qui a rencontré un « ingénieur » qui demande sa main…
C’est un sentiment étrange qui dure tout le film : on a l’impression de déjà connaître l’histoire de Souleyman… Peut-être parce que des gars comme lui, on en croise tous les jours dans nos grands centres urbains de métropoles « gentrifiées » et toujours plus demandeuses de petits boulots à la noix, sous-payés, esclavagisme moderne. Invisibles sur leurs vélos avec leurs sacs à dos de livreurs de repas, des gars comme Souleyman il y en a des milliers, à Paris mais aussi ailleurs en France.
C’est peut-être cette lumière crue posée sur ce phénomène de société que souhaite montrer Boris Lojkine, qui nous avait déjà beaucoup impressionné avec Camille, en 2019, déjà avec Nina Meurisse (Valois de l’actrice au Festival du Film Francophone d’Angoulême en août de la même année). Avec L’histoire de Souleymane, il avance ses pions davantage dans la veine du cinéma réaliste – comment ne pas souvent penser à l’influence des frères Dardennes ? – et Abou Sangare fait davantage que jouer la comédie : il joue sa vie, le récit est d’ailleurs inspiré de sa propre histoire.
Le film était présenté au dernier Festival de Cannes dans la section Un certain regard, il a reçu le Prix du jury et le Prix d'interprétation masculine pour Abou Sangare, 23 ans. Grandement mérité. Il est malheureusement lui-même menacé d'expulsion, visé par une OQTF (Obligation de quitter le territoire français).
F.S.
L’histoire de Souleymane, de Boris Lojkine et Delphine Agut. Avec : Abou Sangare, Alpha Oumar Sow, Nina Meurisse. 1h33. En salle depuis le 9 octobre.