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Billet de blog 23 août 2017

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Macron, jour et nuit (graine de Président) 1/2

En 2015, entre séduction et politique, l'alors ministre Emmanuel Macron a proposé une façon bien à lui de présenter et défendre "sa" loi devant le Parlement. Une méthode qui révèle un certain nombre de traits de caractère et ... lui permettra d'obtenir beaucoup sur le fond. Le début aussi de la constitution d'un réseau parmi les parlementaires, fort utile pour la suite. Chronique en deux parties.

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Au début de l’année 2015, j’ai eu l’occasion de partager plusieurs semaines très intenses avec ... Emmanuel Macron ! Ces quelques semaines, que j’avais rebaptisées le « Macronthon » avaient pour cadre la loi dite « Macron » ou « loi pour l’activité, la croissance, et l’égalité des chances économiques ».

C’est une expérience qui, au vu de la suite des événements, prend aujourd’hui un relief particulier. En effet j’ai observé celui qui n'était pas encore Président de la République travailler, négocier, argumenter, constituer une équipe, ... Et dès le départ le personnage et ses manières ont capté toute mon attention (et je dois dire mon respect). Cette expérience m’a aussi permis de me faire « mon opinion » sur cette personnalité hors du commun, un homme à l'attitude franche, orateur talentueux et très séducteur mais qui a su rester insondable sous bien des aspects. Je reviens ici sur l'homme et la méthode plutôt que sur le contenu et le philosophie de cette loi que le Ministre du Gouvernement Valls a porté devant le parlement.

Illustration 1
Présentation par Emmanuel Macron de son projet de loi devant le groupe écologiste © F. Guerrien

Surprendre sans se laisser prendre

Très vite, cette loi d'envergure a fait couler beaucoup d’encre et … beaucoup parler du jeune Ministre de l’économie et des finances, alors considéré comme un "protégé" de François Hollande. Et c'est vrai que la "loi Macron" ne pouvait laisser indifférent de par les thèmes qu'elle abordait (travail le dimanche, dérégulation des professions réglementées, réforme d’une quinzaine de codes dont ceux du travail, de l’environnement, et de l’énergie, fin du monopole du rail en faveur du bus, …) et le champ qu’elle couvrait (106 articles de loi dans la première version telle que déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 11 décembre 2014 et finalement 308 articles dans la version enrichie des débats parlementaires et promulguée le 6 août 2015).

Avant même le début des débats à l'Assemblée, Emmanuel Macron a démontré sa capacité à s’exprimer et à bousculer sur des sujets sensibles tout en réussissant l'exploit de ne pas provoquer de réactions définitivement bloquantes. Dit autrement il a su proposer des « réformes » sur des sujets supposés intouchables sans mettre le pays à feu et à sang et ... sans se disqualifier lui-même ! D’une certaine façon, son « arrogance » a provoqué la curiosité plutôt que le rejet. En se plaçant d’emblée sur le terrain des « libertés » pour « donner sa chance à chacun » il a aussi « ringardisé » d'entrée de jeu les ténors de la gauche, gardiens du temple de la notion d'égalité. Un positionnement qui se révèlera payant par la suite pour le Ministre de l'économie.

Même pas peur

De fait, et quoi qu'on pense du fond, Emmanuel Macron a réussi. Il a même réussi pour une grande partie à mener à bout les "réformes" qu'il portait, avec méthode et une grande habileté. C'est cela qui m'intéresse ici. Les semaines entières passées en commission puis dans l’hémicycle sur cette « loi Macron » de janvier à juillet 2015 m’ont permis de me faire un bout d’opinion et de tirer quelques enseignements et réflexions personnelles sur celui qui était alors un phénomène en éclosion. 

D’abord, Emmanuel Macron maîtrise les sujets qu’il aborde, ou les prépare très bien. La loi à laquelle on a donné son nom touchait essentiellement à des réformes dans le domaine économique et social. Sa connaissance de l’Etat français, des mécanismes européens, et sa culture générale en économie mais aussi en histoire et en philosophie le rendaient très à l’aise dans le débat, que ce soit dans les médias ou avec les parlementaires. Cette maîtrise combinée à une grande endurance et une rare constance dans la vision de la société qu’il propose lui a conféré une solide force de conviction (que l'on adhère ou pas à son projet de société).

Ensuite il ose, assume, et défend pied à pied chacune de ses assertions. Cela peut paraître évident pour un membre de Gouvernement mais ne l’est pas tant que cela. (Trop) Souvent, les ministres avancent une position et se replient rapidement derrière un compromis ou avec des formulations alambiquées et ambiguës sensées tenir compte des diverses positions exprimées dans le débat. A ne vouloir trop fâcher personne on ne dit parfois plus grand chose … La "synthèse molle", comme dirait l'autre. Lors des débats à l'Assemblée, Emmanuel Macron a toujours assumé ses positions et pris le temps nécessaire pour le faire. Il a exposé ses idées avec aplomb, en répondant droit dans les yeux et avec une grande aisance orale à ses interlocuteurs et contradicteurs. Cela le distinguait de nombre d’autres ministres qui, dans le cadre du débat parlementaire, se contentaient si souvent de lire (plus ou moins discrètement) les argumentaires transmis sur des fiches par leurs cabinets et les services des ministères. 

Présentation de la "loi Macron" devant l'hémicycle le 26 janvier 2015 © You tube / Assemblée nationale

Puisque je vous le dis ...

Que ce soit dans les annonces et la présentation préalable de sa loi puis dans le débat parlementaire, Emmanuel Macron a défendu l'un après l'autre les articles du texte et a répondu un à un aux plusieurs milliers d'amendements déposés. Quel que soit le sujet, il arrivait - presque - toujours à avoir le dernier mot. Sans nécessairement avoir convaincu celle ou celui avec qui il débattait, mais souvent en ayant convaincu celles et ceux qui suivaient le débat (ou la majorité d’entre eux).

Pour une illustration, j'ai ainsi en mémoire le débat sur l'introduction par amendement de l'autorisation donnée au Gouvernement de légiférer par ordonnance pour permettre la réalisation de la liaison ferroviaire rapide Charles de Gaulle Express (en plus du train régional RER déjà existant entre la capitale et l'un de ses aéroports). Il s'agit d'un dossier vieux de plusieurs années, très couteux et aussi très controversé (et qui le reste aujourd'hui d'ailleurs).

L'échange, sans complexes, entre Emmanuel Macron et le député Denis Baupin, connu pour la précision de ses arguments et sa connaissance des dossiers (d'autant plus que M. Baupin avait auparavant suivi ce dossier comme adjoint au Maire de Paris) est une bonne illustration de la façon dont le ministre Macron a défendu "sa loi" devant les parlementaires : présentation avec aplomb et force d'arguments teintés de pragmatisme d'une mesure controversée, réaction argumentée d'un spécialiste et opposant au projet, réponse d'Emmanuel Macron à chacun des arguments avancés en actant les points de désaccord (réponse ne signifiant pas accord), toujours courtoisement mais avec une certaine fermeté sur le fond. Le compte-rendu de cet échange est consultable ici : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cscroissact/14-15/c1415003.asp#P9_489 - à partir de article 3 bis "Habilitation à légiférer par ordonnance pour permettre la réalisation du projet « Charles-de-Gaulle Express »". Et finalement, après avoir pris le temps nécessaire et toujours en respectant son contradicteur, le Ministre fait voter l'ordonnance telle qu'il l'avait soumise aux députés.

Un félin qui sait serrer la patte

Et c'est là une autre surprise de la venue d'Emmanuel Macron devant les députés : le "techno" a dompté les politiques ! On le sait, le milieu politique n'est pas tendre et la moindre faille est vite exploitée. Avec sa tête de jeune premier et ses belles phrases, le "jeune" ministre de l'économie était attendu sur le terrain des députés avec curiosité mais aussi une certaine confiance de la part de ces derniers. C'était entendu, une fois dans "l'arène" ce "techno" brillant mais inexpérimenté serait remis à sa place par ceux qui connaissent les ficelles du débat parlementaire et politique. Que nenni, en les prenant à contre pied, en les séduisant, en les flattant, mais en restant ferme sur le fond, Emmanuel Macron a gardé la barre et a même largement conquis les députés lors de son passage à l'Assemblée.

Illustration 3
Journalistes attendant l'arrivée d'Emmanuel Macron en commission © F. Guerrien

J'ai aussi observé à cette époque les qualités humaines d’Emmanuel Macron. Il apportait une attention manifeste à toutes les personnes présentes dans l'enceinte de débat . En commission, tous les matins pendant les longues semaines qu’a duré l'examen de la « loi Macron », il prenait le temps de venir saluer un à un les présents : députés mais aussi collaborateurs et fonctionnaires de l’Assemblée, en leur serrant la main les yeux dans les yeux. Encore une fois, cela peut sembler être la moindre des choses mais c’est en fait très rare, la plupart des ministres passant devant le « personnel » autre que les députés sans même sembler les voir.

Bref, Emmanuel Macron a imprimé son style lors de la présentation de sa loi à l'Assemblée nationale, les premiers pas d'une conquête politique plus vaste ?

Partie 1 sur 2  (suite ici : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/030817/macron-jour-et-nuit-graine-de-president-2eme-partie-22)

Frédéric Guerrien

Twitter : @Fredguerrien / LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/frédéric-guerrien-8a9081118/ 

Sur la démarche : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/290717/chroniques-de-lancien-monde-souvenirs-dun-collaborateur-parlementaire 

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