FredGuerrien (avatar)

FredGuerrien

Citoyen du monde

Abonné·e de Mediapart

34 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 août 2017

FredGuerrien (avatar)

FredGuerrien

Citoyen du monde

Abonné·e de Mediapart

Macron jour et nuit (graine de Président) 2eme partie 2/2

2e partie de la chronique sur la loi et la méthode Macron au Parlement en 2015. L'alors ministre de l'économie a proposé une façon bien à lui de présenter et défendre "sa" loi, constituant un réseau parmi les parlementaires avant le recours surprise au 49.3 par M. Valls. 1ère partie ici : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/030817/macron-jour-et-nuit-graine-de-president-12 .

FredGuerrien (avatar)

FredGuerrien

Citoyen du monde

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(Partie 2 sur 2) C'est la méthode Macron : exposer - écouter - répondre, en prenant le temps qu'il faudra, parfois jusqu'à l'usure ! et finalement s'imposer en parlant à l'intelligence de ses interlocuteurs et opposants - plutôt que de les mépriser.

Tout son temps

Quand on a "l'habitude" de voir passer les ministres devant les parlementaires, on note vite que la façon qu'a Emmanuel Macron d'aborder les débats est différente de celle de ses homologues. Ses capacités d’argumentation hors norme, son calme et son assurance l’amènent à prendre le dessus dans le débat en laissant ses contradicteurs à court d’arguments. Souvent, dans le débat parlementaire, on ne laisse pas les députés aller au bout de leur argumentation ou vraiment reprendre la parole après le représentant du gouvernement et le rapporteur. Mais dans la débat avec Macron, l'aller-retour semblait toujours possible. Après deux ou trois échanges Ministre - député, le ou la députée souvent expert de son sujet avait fini d'exposer son point de vue, en s’appuyant sur les arguments préparés en amont du débat. Mais, à partir du moment où ces arguments avaient été exposés, Emmanuel Macron avait souvent une carte de plus dans sa manche ou déplaçait le débat en le remettant en perspective avec l’un de ses sujets de prédilection (qui n’est pas forcément celui du député avec qui il est en train de débattre). Le ou la députée a alors vite fait de se trouver démunie. Préférant ne pas s’aventurer sur un terrain mal maîtrisé, il ou elle laissait de fait le Ministre intervenir le dernier, ce qui donnait à celles et ceux qui suivaient le débat sans forcément être experts le sentiment qu'Emmanuel Macron avait eu le dernier mot.

Emmanuel Macron a appliqué cette méthode tout au long des débats, avec une rigueur déconcertante malgré l’amplitude des sujets couverts par cette loi. C'est d'ailleurs sans doutes l'une des raisons pour lesquelles l'examen a été si long ! (25 réunions de commission dont le samedi et le dimanche et une trentaine de séances dans l'hémicycle uniquement pour la première lecture à l'Assemblée nationale).

Illustration 1
Publication sur les réseaux sociaux illustrant la lenteur de l'avancée des débats © F. Guerrien

Ne vous inquiétez pas

J'ai pu l'observer plus particulièrement sur les sujets environnementaux du texte, que j’avais préparés en profondeur comme collaborateur des députés écologistes. Car en marge des articles dont a le plus parlé dans la presse (huissiers, cars, travail le dimanche, etc.), la « loi Macron » comportait plusieurs articles à enjeux pour les écologistes : ligne ferroviaire rapide « Charles de Gaulle Express », Canal Seine Nord, centre d’enfouissement des déchets nucléaires de Bure, recours contre les constructions illégales, publicité sur les grands stades, … Sur chacun de ces sujets j’ai préparé avec les députés écologistes des amendements, des fiches et des argumentaires poussés afin d’exposer les enjeux et les conséquences des mesures telles qu’elles étaient proposés dans le texte soumis à l'Assemblée. A chaque fois, des députés expérimentés et experts comme Denis Baupin, Cécile Duflot, Brigitte Allain, Barbara Pompili et Jean-Louis Roumégas sont venus défendre leurs positions dans le but de convaincre leurs collègues et le ministre Macron. Et ils l’ont fait avec force et conviction !
Pourtant, pour chacun de ces sujets (comme pour les autres), j’ai pu voir comment Emmanuel Macron exposait, écoutait, répondait, assumait ses positions et finalement ne lâchait rien, ou si peu. C’en était à la fois très respectable (dans le sens où en prenant le temps de discuter chacun des sujets, Macron les affronte et les explore) et rageant ! Car en définitive, en ayant le courage de ses opinions, Emmanuel Macron ne faisait rien d’autre que de dire, les yeux dans les yeux : « J’ai entendu vos arguments. Je les comprends et les respecte, mais j’ai une autre vision et d’autres desseins. Désolé ! ». C’est ainsi que dès les débats sur la loi dite « Macron », celui-ci a emporté l’adhésion pour un projet réputé « libéral » faisant voter article après article le texte tel qu’il le souhaitait (avec quelques reculs, preuves de son habilité, notamment sur les professions réglementées et sur le dit "secret des affaires").

Autre détail, sans doutes passé inaperçu mais pourtant notable la « loi Macron » comportait une vingtaine d’autorisations à légiférer « par ordonnances » (c’est à dire que les députés habilitent le Gouvernement à rédiger les articles de loi à partir de grands principes au lieu des les voter eux-même).  Emmanuel Macron s’était engagé lors des débats à venir présenter les ordonnances correspondantes aux parlementaires avant de les présenter en Conseil des ministres. C'est technique mais disons que ce n'est pas obligatoire et même qu'il est très rare qu'un ministre prenne ce temps de présentation une fois les ordonnances rédigées sur la base de habilitations données par les députés ordonnances votées par les députés. Eh bien, Emmanuel Macron a tenu son engagement, bien que ces présentations n’aient pas attiré grand monde.

Happy few, la génèse d'une équipe

Peut-être cela faisait-il partie d’une stratégie déjà réfléchie pour 2017 (je n’en sais vraiment rien !) mais ce qui est certain c’est qu’Emmanuel Macron a plus séduit et fédéré qu'il n'a rompu ou s'est fait malmener par les parlementaires. On disait quand il a présenté sa loi qu’il avait ses réseaux plutôt parmi les hauts fonctionnaires et certains patrons qu’au sein du « sérail » politique. Qu’à cela ne tienne, les débats au Parlement sur la « loi Macron » lui dont donné l’occasion de se constituer une petite équipe de fidèles au Palais Bourbon ! Une petite équipe qui ne le quittera plus pour les deux années suivantes : Richard Ferrand (aujourd’hui président du groupe La République en Marche à l’Assemblée nationale) comme rapporteur général sur le texte, Christophe Castaner (aujourd’hui porte parole du Gouvernement et Ministre en charge des relations avec le Parlement) et Stéphane Travert (aujourd’hui ministre de l’agriculture) comme rapporteurs sur une partie du texte ou encore Corine Erhel (l’une des piliers politiques de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron bien qu’elle soit décédée subitement à quelques jours de l’élection) et Arnaud Leroy (en charge de la constitution du parti La République en Marche) parmi les députés socialistes qui s’investiront et se laisseront convaincre par ce jeune énarque lors des débats.

Illustration 2
Dossier législatif et présentation des rapporteurs de la "loi Macron" © www.assemblee-nationale.fr

C’est bien là le noyau dur des parlementaires qui accompagneront ensuite le candidat Macron qui s’est constitué au cours de ces semaines de débats. Ce qui est remarquable, c'est que les rapporteurs avaient été nommés par le groupe socialiste à l'Assemblée. Ceux-ci n'avaient donc aucun lien particulier avec Emmanuel Macron avant le début du texte (Richard Ferrand était même plutôt considéré comme proche des "frondeurs", un positionnement bien différent du contenu de cette "loi Macron"). C'est donc vraisemblablement pendant le travail législatif que ce petit noyau dur s'est constitué.

A "49.3" tirés

En définitive, bien que le prix a payer ait été la longueur inhabituelle des débats (plusieurs semaines), Emmanuel Macron a démontré à l’occasion de la présentation du débat sur « sa » loi sa capacité de conviction, son endurance (il est resté frais comme au premier jour tout au long des débats qui débutaient à 9h30 et se terminaient au plus tôt à 0h30 tous les jours), et ainsi gagné le respect des parlementaires et des médias. Sa méthode a très bien fonctionné et lui a permis d’emporter une victoire parlementaire incontestable au printemps là où nombreux sont ceux qui lui promettaient une descente aux enfers au début de l'hiver. Ou plutôt presque incontestable, car après avoir réussi à faire voter son texte article par article puis dans son ensemble lors de la première lecture, en commission et dans l’hémicycle, un petit grain est venu se glisser dans cette machine si bien huilée : un tour de passe-passe a privé celui qui avait tenu tête aux parlementaires pendant des semaines du vote solennel dans l’hémicycle le mardi 17 février 2015. Ce jour-là le Premier ministre Manuel Valls a eu, au dernier moment, l'aval du Président de la République pour recourir à l’article 49.3 de la constitution pour faire adopter le texte sans vote des députés.

Analyse du recours au 49.3 sur la "loi Macron" en février 2015 © Dailymotion / Le Monde

Cette décision est intervenue par surprise et dans des conditions pas très claires. Après les longs débats en première lecture ce ce "Macronthon" (du 12 janvier au 14 février sans discontinuer uniquement pour la première lecture à l’Assemblée nationale), le vote solennel sur le texte devait se tenir le mardi 17 février après les questions au gouvernement (vers 16h15). D’après les comptes des députés écologistes et des députés dits « frondeurs » du PS (opposés au texte), la coalition contre le texte était insuffisante pour faire échouer son adoption. Le matin même du vote, une députée dite « frondeuse » croisée dans les couloirs de l’Assemblée alors qu’elle sortait de la réunion de groupe socialiste me confirmait qu'il n'y aurait pas de majorité contre la "loi Macron". On s’orientait donc vers un vote et, de fait, une « consécration » d’Emmanuel Macron cet après-midi là dans l’hémicycle. Mais il y a eu un "rebondissement de dernière minute" : alors que je déjeunais j’apprends par une députée écologiste que le Gouvernement va être convoqué en urgence par le Président de la République avant les questions au gouvernement pour autoriser le premier ministre à avoir recours au « 49.3 ».

Une décision rapidement confirmée dans les médias et qui, vécue de l’intérieur, est apparue comme très surprenante. Elle a eu pour effet de faire crier certains au déni de démocratie mais a surtout privé Emmanuel Macron d'une « victoire » incontestable dans l’hémicycle. Officiellement, le Gouvernement aurait craint de ne pas avoir la majorité sur le texte (en raison notamment d’un risque de retournement des députés centristes) mais avec le recul et suite aux débats en commission et surtout en raison du fonctionnement de la Ve République, cette hypothèse me semble tirée par les cheveux. Il est vraisemblable que Manuel Valls (dont les relations avec Emmanuel Macron étaient notoirement mauvaises) ait voulu tout simplement priver Emmanuel Macron de cette « victoire » et ait trouvé cette méthode pour lui couper l’herbe sous le pied. Peu de gens savent ce qu’il en a vraiment été. Certains le raconteront peut-être un jour !

Frédéric Guerrien

Twitter : @Fredguerrien / LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/frédéric-guerrien-8a9081118/ 

Sur la démarche : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/290717/chroniques-de-lancien-monde-souvenirs-dun-collaborateur-parlementaire 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.