Il y a maintenant presque 2 ans, habitants, commerçants et élus d'arrondissement découvraient au hasard d'un amendement au Plan Local d'Urbanisme de Paris que la Maire du 20e arrondissement de Paris et la Commission Départementale d'Aménagement Commercial de Paris avaient autorisé dans le plus grand secret l'implantation d'un supermarché de l'enseigne "Carrefour" de 1.950 m2 dans les locaux de l'ancien Rectorat de Paris, situé 94 avenue Gambetta. Cette opération avait été rendue possible par le rachat du bâtiment par la multinationale américaine Cargill (135 Md de dollars de chiffre d'affaire), sans que la Ville ne fasse jouer son droit de préemption.
Pourtant le quartier est très bien pourvu en commerces en tous type tandis que les manques identifiés sont nombreux en matière d'offre culturelle et sportive notamment. Pourtant les opportunités de voir se libérer plusieurs milliers de m2 dans Paris sont devenues extrêmement rares et quand elles se présentent, elles mériteraient un minimum de concertation et de réflexion collective. Pour que Paris serve ses habitants plutôt que comme placement aux multinationales ou comme bouée de sauvetage pour des groupes français en difficulté.
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Paris, nouveau terrain de bataille des enseignes de la grande distribution
Après l'explosion des supérettes urbaines de la grande distribution (+40% en France et +110% à Paris en 10 ans, source :
), l'installation de supermarchés de plus de 1.000 m2 dans Paris constitue une première depuis des décennies, depuis que l'alors Maire de Paris Jacques Chirac s'était engagé de fait à ne pas laisser les grandes surfaces alimentaires s'implanter dans Paris, pour protéger artisans de bouche et petits commerçants. Car ces derniers sont les premières victimes de la guerre des enseignes qui fait rage dans Paris, en particulier entre les groupes Casino et Carrefour. Et cela ne fait que commencer.
Dès 2014, les habitants du 18e arrondissement découvraient l'implantation d'un Carrefour de 1.700 m2 dans le cadre d'une opération immobilière de 18.000 m2 Boulevard Ornano. Cette opération, menée sans aucune concertation avec les habitants, mêlait la CPAM, la Ville de Paris, l'Etat et Bouygues. La mobilisation des habitants, mis devant le fait (presque) accompli, n'a pas pu stopper le projet. Plus récemment c'est un Carrefour Market de 2.400 m2 qui a ouvert rue de Sèvres, dans le 7e arrondissement. Là aussi malgré l'émoi provoqué chez les riverains qui ont collecté 1.500 signatures dans le cadre d'une pétition citoyenne.
Les motivations de ces implantations sont connues. Le modèle des hypermarchés (étroitement lié à un mode vie dépendant de la voiture individuelle et à la consommation de produits industrialisés, mondialisés et peu traçables) sur lequel Carrefour s'est développé s'essouffle. En conséquent, le groupe Carrefour se porte mal, licencie, ferme des magasins. Alors, pour tenter de se renflouer, il cherche désespérément des poches de rentabilité. Avec de fortes densités de population et des revenus plus élevés que la moyenne (phénomène accentué par la gentrification), les centres urbains apparaissent comme des Eldorado pour ce groupe en difficulté (et ses concurrents). Et bien sur dans ce paysage Paris fait figure de Graal à conquérir.
C'est ce à quoi s'emploie le groupe Carrefour qui ambitionne de "devenir le référent du commerce de proximité" (source : carrefour.com). Mais le groupe Casino, concurrent déjà bien implanté sur Paris (enseignes Franprix, Monoprix, Leader Price, Naturalia, Spar, ...) entend bien résister tandis que Système U et Auchan profitent du contexte pour mettre un pied dans la capitale.
Bref, c'est la guerre des enseignes à Paris.
Quand il y a la guerre ... il y a des morts !
Les premières victimes seront évidemment les épiciers de quartier et les commerçants et artisans déjà installés. N'étant pas en mesure de s'aligner en termes de prix et d'horaires avec les grands groupes (au prix social que l'on sait, sans parler de la qualité et la traçabilité des produits vendus par les grandes enseignes), ils perdent mécaniquement de la clientèle et cela sera fatal à nombre d'entre eux.
C'est aussi Paris, cette belle dame, qui est touchée. Les petits commerces font vivre les quartiers, y contribuent au lien social et en font le paysage urbain qui fait la richesse et la magie des quartiers parisiens. L'installation des enseignes uniformisées de Carrefour, Auchan, et autres sont autant de balafres qui défigurent notre ville.
Plus indirectement agriculteurs, producteurs, et artisans de bouche victimes de la tyrannie des prix imposés par les grandes enseignes prendront un nouveau coup, une nouvelle fois fatal à quelques uns.
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Les riverains et parisiens l'ont bien compris. A chaque fois, ils se sont mobilisés. Pour défendre "leurs" commerçants, les paysages de leurs quartiers, et les producteurs et artisans de bouche. Parfois, ils ont obtenu gain de cause, comme rue Bichat dans le 10e arrondissement où le collectif "Stop Monop" a obtenu que s'installent un libraire et un local de vente de produits alimentaires en circuit court en lieu et place d'un nouveau Monoprix.
Dans le 20e, l'ampleur de la mobilisation citoyenne et la détermination du collectif "Carton rouge" ont fait fuir la multinationale Cargill, qui avait acquis via la société écran "CVI" le bâtiment de l'ancien Rectorat de Paris au tarif avantageux de 50 millions d'Euros pour 20.000 m2 (soit 2.500 Euros le m2). Tout en signant dans le plus grand secret une convention avec Mme Calandra, Maire du 20e arrondissement de Paris et le groupe Carrefour pour céder à celui-ci l'essentiel du Rez-de-chaussée afin d'y installer un supermarché.
Une fois l'affaire découverte et devant la mobilisation, Cargill a préféré revendre le bâtiment à un investisseur institutionnel, Icade, mais cette fois au prix du marché, soit 137 millions d'Euros. Une belle culbute pour Cargill tandis que 20.000 m2 entraient dans le portefeuille d'Icade, filiale notamment de la Caisse des Dépôts mais où siège également un administrateur de ... Carrefour !
Et maintenant ? Que va faire le nouveau propriétaire de ce bâtiment situé dans Paris, proche du métro mais aussi du périphérique, de l'aéroport Charles de Gaulle, de l'A1 et l'A3 ? Icade indique qu'il va "le louer au prix de marché", ce qu'on peut bien comprendre : c'est son métier et surtout c'est la moindre des choses au vu du prix qu'il a payé !
Cela tombe bien, les habitants du quartier ne veulent pas du Carrefour mais ils ont des besoins, des idées, des propositions à faire : sport, halle alimentaire, activités culturelles, musique, ... Alors, depuis des mois, ils le font savoir par tous les moyens en leur possession : manifestations, tracts, Agora citoyenne hebdomadaire devant le chantier en cours, réunions publiques, pétition, courriers aux élus, publications sur les réseaux sociaux. Malgré tout ce raout ils ont été traités avec mépris par la Mairie du 20e qui n'a finalement daigné organiser une réunion sous haute protection policière (comme si les habitants étaient des délinquants) avec Cargill et Carrefour ... la veille de l'annonce de la revente du bâtiment à Icade. Une perte de temps pour tout le monde ... Mais les riverains ne se sont pas démobilisés pour autant et se sont même déplacés jusqu'à Issy-les-Moulineaux début décembre 2017, au siège d'Icade pour remettre en main propre les 4.500 signatures qu'a recueillie leur pétition contre le Carrefour et transmettre au nouveau propriétaire leurs propositions.
Reçus très correctement par des représentants d'Icade à cette occasion, ils ont convenu de se revoir très vite pour échanger, mieux se connaître, étudier les projets en cours sur un site qui les concerne en tant que riverains.
On "voeu" une réunion !
Pour ce faire, ils ont demandé à la Maire de Paris de jouer les médiatrices en organisant ce rendez-vous. C'était il y a déjà presque 2 mois. Le temps passe, les travaux avancent, mais le rendez-vous ne vient toujours pas ... Pourtant, pour la énième fois, quelques élus ont présenté un "voeu" d'abord dans le 20e arrondissement le 31 janvier 2018 (voeu de Laurent Sorel et du groupe Place au Peuple) puis en Conseil de Paris le 5 février (voeux de Danielle Simonet et de l'exécutif parisien) pour demander que se tienne cette réunion. Ces "voeux" ont même été votés par les élus parisiens, actant la volonté de ces mêmes élus parisiens d'organiser une réunion ! Cela avait déjà été le cas de voeux similaires adoptés en Conseil de Paris le 26 septembre 2016 qui proposait de "réunir l'ensemble des acteurs concernés dont les élus, afin de travailler à faire évoluer le projet de grande surface alimentaire programmée au 94, avenue Gambetta" puis en Conseil d’arrondissement du 23 mai 2017 demandant que « la Maire de Paris étudie tout moyen nécessaire, y compris (...) juridique, pour s’assurer que l’intérêt public a été respecté à l’occasion de ce rachat » et « que le projet (...) soit remis à plat », afin « que les propositions alternatives, formulées par la population soient sérieusement prises en compte". Mais sérieusement hein !
Et pourtant, cette simple réunion ne vient toujours pas ! Il suffirait à la Maire de Paris ou au représentant qu'elle voudra bien désigner de lever son téléphone et de fixer une date ! Il est maintenant plus que temps d'arrêter de tourner autour du pot et de se faire des "voeux" dans la tête pour asseoir les protagonistes autour de la table et chercher des solutions. Pas pour sauver Carrefour, mais pour Paris et les parisiens.
Car jouer la montre et laisser faire, c'est continuer de laisser les enseignes de la grande distribution envahir Paris. C'est laisser Paris se transformer en friche commerciale. Et cela, sans même avoir entendu les parisiens.