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Billet de blog 20 août 2017

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La saga du bio dans les cantines (de la suite dans les idées) 1/2

Pour faire évoluer la loi face aux lobbys il faut allier conviction, travail, tactique et... patience! Pour illustrer ce travail de fourmi face à l'agrobusiness je raconte ici l'aventure parlementaire des projets alimentaires territoriaux et du bio dans les cantines. Avec pour principaux protagonistes Brigitte Allain, Joël Labbé, Stéphane Le Foll et les collectifs citoyens. Chronique en 2 épisodes

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Et si on mangeait local ? Cette petite phrase née de l'imagination de la députée de la Dordogne Brigitte Allain et de son équipe peut résumer à elle seule l'un de ses principaux combats de la mandature écoulée. C'est ce chemin de croix pour une alimentation de qualité et territorialisée que j'ai choisi de raconter pour illustrer ce qu'est le "vrai" travail parlementaire pour la majorité des députés. Un travail invisible et pourtant essentiel. Cette épopée parlementaire, semée d'embûches et pleine de rebondissements, prend une résonance particulière alors qu'éclate un nouveau scandale dans les chaînes alimentaires mondialisées : les oeufs contaminés au Fipronil.

Agricultrice viticultrice du Bergeracois, non encartée, Mme Allain est une ancienne syndicaliste agricole, porte parole de la Confédération paysanne devenue parlementaire pour son tout premier mandat en 2012. Membre de la commission des Affaires économiques, dont j'ai suivi les travaux de 2012 à 2016, elle m'a dit dès le début de sa mandature sa volonté d'investir les sujets de l'avenir et l'équilibre des modèles agricoles français et européens ainsi que celui de la qualité de notre alimentation. En plus du débat habituel et légitime sur le type d'agriculture souhaitable et les difficultés pour les hommes et les femmes qui vivent de l'agriculture, Mme Allain était déterminée à modifier la loi pour y intégrer les enjeux environnementaux mais aussi pour faire le lien entre agriculture, paysans, alimentation, et territoires. Dès 2012 et tout au long du mandat j'ai donc vu comment elle a dit "maintenant que je suis là, je vais tout faire pour faire bouger les lignes pour les paysans, pour nos sols, pour notre santé". Mais une députée ne peut pas grand chose seule, il lui faut agréger, convaincre, bref construire une majorité. Membre d'un petit groupe politique, néophyte et donc sans expérience ni réseaux politiques, Mme Allain est partie de très loin mais n'a jamais perdu de vue son objectif. Et elle a vraiment tout fait ! Cela a payé même si c'est à un niveau moindre que ce qu'elle aurait pu souhaiter. Grâce à sa détermination et en sachant animer un travail collectif et convaincre. 

Illustration 1
Logo des projets alimentaires territoriaux créé par le Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation © Ministère de l'agriculture et de l'alimentation

Cette épopée pourrait faire à elle seule l'objet d'un manuel ! Je me limiterai ici à relater les principales étapes de ce long périple parlementaire qui est né d'une phrase glissée dans un accord programmatique en 2011, a mené à la reconnaissance et la définition dans le code rural des "projets alimentaires territoriaux" (2014), à un rapport parlementaire sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires (2015) dont l'une des recommandations principales, l'obligation de servir une part de produits bio, locaux et/ ou de saison dans la restauration collective s'est traduite par une proposition de loi adoptée en première lecture (2016) avec le nécessaire soutien du Gouvernement mais qui n'a pu, à ce stade, terminer son parcours législatif. 

Première lecture en commission pour avis puis commission au fond

Techniquement, tout est né d'une phrase figurant dans l'accord programmatique de mandature entre le Parti socialiste et EELV signé en ... 2011 (http://eelv.fr/negociations-eelv-ps/). Celui-ci stipulait, page 11 que "la relocalisation de l'agriculture favorisant les produits de proximité en lien avec les collectivités locales" et "le soutien à l'agriculture paysanne et biologique pour atteindre 20% de la Surface Agricole Utile" seraient des priorités de la future loi d'orientation agricole. Soit.

Or, dès le départ il y a un écueil. Ces deux priorités ne figuraient pas dans le texte de la "Loi d'Avenir pour l'Agriculture, l'Alimentation et la Forêt" (LAAAF) soumise initialement au Parlement (déposée le 13 novembre 2013). Auraient-elles été "oubliées" ?! Pour y remédier, dès l'examen pour avis par la commission du développement durable, le 2 décembre 2013 nous travaillons avec Mme Allain et son équipe à la rédaction d'un amendement demandant que l'octroi d'aides publiques soit conditionné à "la participation avec les collectivités territoriales au développement de projets agricoles de territoire, dont la structuration d'approvisionnement de restauration collective en produits biologiques locaux".

Ce premier amendement (n°CD157), écrit sur un coin de table pour traduire la priorité politique et inscrit à l'alinéa 10 de l'article 3 d'une loi qui, dans sa version finale comptera 96 articles a porté bonheur puisqu'il a été adopté. Une belle victoire ? Pas exactement car la première lecture dans une commission saisie "pour avis" a un poids faible dans la décision finale. Une telle commission donne un avis sur le texte mais les amendements qui y sont adoptés ne modifient pas le texte de loi, contrairement à ce qu'il se passe dans la commission saisie "au fond" puis en séance. En quelques sortes la commission dit qu'elle trouve cet amendement intéressant. Une telle adoption "pour avis" permet alors de "distinguer" un amendement et oblige le Gouvernement et le rapporteur principal à regarder plus précisément avec leurs services juridiques (et conseillers politiques) de quoi il traite afin de se positionner. Plus que de victoire on peut parler du premier pas d'une aventure parlementaire qui durera encore 3 ans.

Illustration 2
Tout premier amendement "Projets alimentaires territoriaux" de décembre 2013 © B. Allain / Assemblée nationale

En effet, quelques jours après son adoption en commission du développement durable le même amendement sera rejeté par les députés de la commission des affaires économiques (amendement CE86). Toutefois Brigitte Allain l'y a à nouveau défendu et a suscité l'intérêt de quelques députés intéressés sur le fond : favoriser la relocalisation de l'alimentation et les circuits courts. Son travail de conviction et de recherche de soutiens l'un après l'autre venait de commencer.

Première lecture en séance publique

L'étape suivante du long parcours législatif d'un texte est l'examen en séance publique en première lecture. Bien entendu Mme Allain a redéposé son amendement, après que nous en ayons retravaillé la rédaction en tenant compte des remarques faites lors des débats en commission. Dans le même temps, des réunions de travail s'étaient tenues avec le cabinet du ministre de l'agriculture afin d'une part de faire une expertise technique de cette proposition et d'autre part de rappeler la priorité politique qu'il représentait pour le groupe écologiste. Comme évoqué dans un billet précédent les négociations se tiennent avant la séance et l'aval du Gouvernement est pratiquement indispensable pour faire bouger la loi. Mais une discussion ne fait pas un engagement ! Malgré la sensibilisation et le travail préalable, l'amendement a été rejeté sèchement par le ministre et le rapporteur principal lors de la séance publique du jeudi 9 janvier 2014 (amendement n°790). 

Mais cet échec apparent masquait en réalité un progrès car d'une part le principe de l'ancrage territorial des activités agricoles avait été introduit par un autre amendement de Mme Allain dans l'article premier fixant les grands principes de la politique agricole et alimentaire et d'autre part car la graine de projets alimentaires territorialisés avait été semée et allait germer lors des lectures suivantes au Sénat et à l'Assemblée.

Puis le Sénat et les nouvelles lectures

Car après avoir déjà été discuté à trois reprises à l'Assemblée (commission pour avis, commission sur le fond, séance publique), le texte est parti pour une première lecture au Sénat où il a subi la même succession de discussions. Ne se laissant pas démonter Mme Allain, bien entourée notamment par ses attachés (les deux Marguerite et Djamel, les noms ont été changés) a donc pris l'attache de sénateurs sensibles aux enjeux de l'ancrage territorial de l'alimentation qui ont pris le relais au Sénat. Et cette fois un amendement du sénateur Joël Labbé (n°187 à l'article 17) définissant les "projets alimentaires territoriaux" dans la loi a été adopté ! (http://www.senat.fr/amendements/commissions/2013-2014/279/Amdt_COM-284.html)

Fruit de nouvelles tractations et de réunions de travail avec le ministère, de communiqués et conférences de presse, de questions d'actualité au Gouvernement, c'était cette fois une vraie victoire ! D'autant plus que le Ministre Stéphane Le Foll s'était désormais lui-même intéressé aux Projets alimentaires territoriaux et avait été convaincu par cette idée simple consistant à faire se rapprocher partout et au mieux les lieux de production et de consommation des produits agricoles, en impliquant tous les acteurs de la chaîne alimentaire. Par la suite Stéphane Le Foll sera un soutien de poids aux "PAT", à tel point que le Ministère a publié une série de documents et guides à destination des collectivités locales, citoyens, agriculteurs pour les aider à construire de tels projets alimentaires en circuits courts : http://agriculture.gouv.fr/comment-construire-son-projet-alimentaire-territorial .

Illustration 3
Réunion de travail avec Stéphane Le Foll et son cabinet au Ministère de l'agriculture © F. Guerrien

Après l'adoption de l'amendement Labbé au Sénat, la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation, et la forêt fera encore l'objet de deux lectures complètes à l'Assemblée nationale puis au Sénat, avec de nouvelles précisions rédactionnelles et petits aménagements mais les Projets alimentaires territoriaux figurent bien à l'article 39 du texte promulgué au journal officiel le 14 octobre 2014 et consultable ici : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029573022&categorieLien=id 

Mais nous n'étions là qu'au milieu du gué, restait à les faire vivre

(Deuxième partie à lire ici :  https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/110817/la-saga-du-bio-dans-les-cantines-de-la-suite-dans-les-idees-22)

Frédéric Guerrien

Twitter : @Fredguerrien / LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/frédéric-guerrien-8a9081118/ 

Sur la démarche : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/290717/chroniques-de-lancien-monde-souvenirs-dun-collaborateur-parlementaire 

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