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C'est sans aucun doute l'un des plus grands privilèges qu'il m'ait été donné lors de mon expérience à l'Assemblée nationale : rencontrer et côtoyer (un peu) un très grand Monsieur, Noël Mamère. En politique il n'y pas de place pour les humanistes. Noël Mamère en est un et il s'est fait sa place. Véritable légende vivante parmi les écologistes, Noël est un homme malicieux, délicieux et en quête permanente de justice. Son autorité naturelle lui est suffisante pour agir et se mouvoir avec une simplicité et une humanité à la fois déconcertante et rassurante dans l'univers sans pitié de la politique.
Sur 577 députés, seuls quelques uns ont une véritable aura dans le grand public. Noël Mamère est de ceux-là, il compte parmi les personnalités politiques très largement connues des françaises et des français. Dans un univers où les égos sont quand même bien disproportionnés, cela semble lui passer totalement au-dessus. Prompt à intervenir âprement et sans mâcher ses mots dans l'arène politique, l'homme est d'un naturel réconfortant : avec lui tout à l'air simple et en quelques phrases il vous éclaire et vous rassure.
Le Héros malgré lui
En fait, la particularité de Noël, c'est qu'il est grand dans tous les domaines, professionnel, politique et personnel. Excellent professionnel (comme journaliste), il s'est vite emparé de causes et d'enjeux politiques avec brio et conviction. Son ascension comme Maire de Bègles puis comme député apparaissent alors comme des évidences. Celui qui, l'air de rien, détient le record du meilleur score d'un candidat écologiste à l'élection présidentielle (5,25% en 2002. NB je laisse aux experts lensoin de classer le résultat de Benoit Hamon en 2017 dans la « bonne » case !), qui a célébré le premier mariage de personnes de même sexe dès 2004, qui dénonce sans relâche les dictateurs et les restes du système colonial au détriment des peuples et des ressources naturelles en Afrique, celui dont la voix métallique a raisonné tant de fois dans l'hémicycle et sur les écrans de télévision est pourtant une personne d'une grande humilité, qui a souvent laissé les titres politiques de "prestige" à d'autres. Comme s'il n'avait pas besoin de cette reconnaissance là. Ou peut-être pour conserver son bien le plus précieux : sa liberté de pensée, de ton, et de parole ?
On pourrait penser que Noël Mamère, avec son expérience, ses réseaux journalistiques et politiques, une fois sa lecture quotidienne du Monde faite, n'aurait besoin de personne ou ignorerait gentiment tous ces nouvelles et nouveaux conseillers se succédant dans son entourage. La première fois que je l'ai vu en réunion de groupe à l'Assemblée, j'ai vraiment plus eu une approche "de groupie" que professionnelle à son égard ! (j'étais déjà trop content de partager la même pièce que lui pour quelques heures et n'aurait jamais pensé pouvoir lui être utile à quoi que ce soit). Mais pas du tout, toujours curieux et respectueux, Noël demande modestement l'avis de ces nouveaux venus, souvent en s'adressant directement à eux (à nous) là où d'autres passent par leurs collaborateurs ou d'autres intermédiaires. Comme il l'a fait avec moi après que j'ai rejoint le groupe écologiste comme conseiller technique, calmement, comme s'il avait tout son temps et qu'il avait vraiment besoin des informations que j'aurais à lui communiquer. Il lui est arrivé de m'appeler directement pour me demander "Fred, si tu as le temps", "s'il te plaît" de lui faire le point sur le budget de l'aide au développement (mon premier travail pour Noël Mamère, lors de la discussion budgétaire à l'automne 2012, j'étais comme un enfant assis à côté de lui en commission !), sur le dossier du Lyon - Turin en amont d'un rendez-vous avec le collectif qui s'oppose à ce projet ferroviaire, ou encore sur le contenu de la loi de transition énergétique.
Evidemment que "j'avais le temps" ! Les quelques fois où il m'a sollicité je me suis appliqué à répondre au mieux à ses demandes, qui de surcroit étaient toujours claires et bien ciblées. A chaque fois, comme en ayant peur de ne pas être "au niveau", de décevoir, j'ai relu les commandes que j'avais griffonnées sur un bout de papier avant de lui envoyer fébrilement les documents demandés. Et à chaque fois j'ai eu la (bonne) surprise d'entendre Noël Mamère reprendre lui-même certains des éléments que je lui avais transmis. Partiellement, remis en perspective, au milieu d'arguments plus politiques etc. mais repris tout de même ! Quel honneur et quelle fierté (même si je ne faisais que mon travail).
Car Noël Mamère fait confiance. Il fait le tri dans ce qu'on lui donne, se fait son opinion, mais il écoute et se nourrit des avis des autres. Avant de donner le sien. Parfois calmement, parfois avec passion et animé d'une puissante flamme intérieure, en s'appuyant sur l'autorité naturelle qui est la sienne mais sans jamais en abuser.
Notre père à tous
Je ne voudrais pas exagérer la nature de notre relation, certes amicale mais néanmoins très irrégulière au cours des cinq ans de son dernier mandat de député. Toutefois, j'ai eu dans ce temps à quelques reprises la chance d'avoir une discussion seul à seul avec lui, à commenter l'actualité politique du moment ou à l'interroger sur ses projets ou sur son sentiment sur les différentes crises traversées lors de la XIVe législature. Ces discussions se sont tenues dans les couloirs de l'Assemblée ou dans son bureau, dont la porte est toujours ouverte. Et où il n'hésite pas à répondre lui-même au téléphone, surtout qu'il met ses collaboratrices et collaborateurs à la porte tôt pour qu'ils aillent voir leur famille ou faire ce que bon leur semble (ce qui n'est pas courant). Bref, à chaque fois que j'ai eu l'occasion de discuter un peu avec lui ce fut un délice que de suivre ses raisonnements, sa dextérité intellectuelle, sa générosité dans le partage de son expérience. Et puis bien sur se plonger dans son regard bleu profond, celui d'un enfant émerveillé par le monde mais durci par les injustices dont sont capables les hommes. Observer sa façon de se mouvoir, à la fois humble et d'une grande précision et, toujours, sa capacité permanente à se situer dans les espaces de l'Assemblée où il prenait le temps de saluer un à un les députés de sa connaissance et les personnels qui le lui rendaient toujours chaleureusement et respectueusement. Car si la personnalité politique est souvent radicale, on ne peut se fâcher avec l'homme, un vrai gentleman en toutes circonstances.
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Les amis de par là
Noël Mamère n'a pas arrêté la politique mais a "passé la main" successivement sur ses mandats de Maire et de député. A des plus jeunes. A l'occasion de la fin de son déjà quatrième mandat de député, sa jeune et brillante collaboratrice à Paris avait convoqué une petite et joyeuse assemblée de proches et d'amis pour faire une surprise à "Nono", comme l'appellent ses proches : lui chanter en coeur "les enfants de par là", une de ses compositions musicales (oui oui !) écrite ... dans les années 1980.
Je ne sais pas comment Madeleine (les noms de collaborateurs sont changés) a fait mais avec quelques complicités elle a réussi à réunir une petite bande et à surprendre Noël dans un recoin de l'Assemblée nationale un soir de semaine. J'ai eu la chance, avec plusieurs autres collaborateurs, d'être parmi les choristes ce jour-là. Ce fut un grand moment d'émotion pour tous et pour Noël Mamère. On pouvait percevoir chez chacun la fierté de pouvoir donner un tout petit peu à celui qui nous a tant donné, "notre père à tous". Mais surtout il y avait là, en plus de son épouse, des amis de tous les horizons (politiques, journalistes, universitaires, collaborateurs, ...) de tous les âges et de toutes les époques de la riche carrière de Noël Mamère.
Cet homme-là a su, au fil des années et malgré la dureté de la vie politique, qu'il a souvent décrite avec tous les mots, nouer et garder des amitiés solides, diverses, et durables. Combiner politique et humanité. C'est l'apanage des vrais grands.
Frédéric Guerrien
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