L’une des choses les plus étonnantes quand on commence à travailler à l’Assemblée nationale (mais à laquelle on s’habitue étonnamment vite), c’est de « vivre l’actualité ». Avec pour effet corollaire de changer le regard qu’on porte sur « les infos » et les émissions politiques.
Dès les premiers jours de mon arrivée à l’Assemblée nationale, j’ai été surpris d’écouter la matinale de France Inter en ayant … l’impression d’être au bureau ! Les français sont passionnés de politique et les journaux nationaux relatent en permanence les débats politiques du moment. Ainsi en va-t-il des matinales qui reprennent les débats de la nuit à l’Assemblée nationale, font ressortir « les petits phrases », invitent les femmes et les hommes politiques qui font l’actualité. Budget, mariage pour tous, loi Macron, 49.3 sur la « loi travail », bonnet rouge et écotaxe poids lourds, état d’urgence, déchéance de nationalité, etc. Tous les grands moments de la législature écoulée ont fait les gros titres et été commentés abondamment par les journalistes et les députés sur les ondes et dans la presse web et écrite.
Dans le même temps, les journalistes sont omniprésents au Palais Bourbon, physiquement dans les espaces qui leurs sont autorisés ou dans les esprits des parlementaires. Et on comprend vite que la meilleure façon de soutenir un amendement ou une position est d'être repris ou cité dans la presse. A l'inverse la meilleure argumentation du monde risque d'avoir un effet limité dans les arbitrages si elle n'est pas reprise par la presse (ou des mouvements citoyens conséquents). C'est une des raisons pour lesquelles les sollicitations presse sont une priorité absolue chez la plupart des députés (je ne rentre pas ici dans l'évidence selon laquelle il n'est pas désagréable pour la plupart des personnes de se voir consulté et de retrouver son image, sa voix, ses analyses à la télévision et à la radio !).

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Je peux pas, j’ai radio
Mais pour revenir à mon expérience de collaborateur novice dans les couloirs de l'Assemblée, mon regard et mon écoute sur les informations politiques a été immédiatement modifié quand c’est l’objet de mon travail quotidien qui s'est retrouvé commenté, que je connaissais les enjeux et positions relatives des uns et des autres. L’analyse qu’on fait "des infos" est toute autre quand elles concernent des personnes et des dossiers qui vous sont familiers ! De fait les informations qui sont données et la façon dont elles sont présentées dans la presse sont souvent utiles pour mieux comprendre les sujets voire essentielles pour réussir sa journée : elles deviennent un outil de travail !
D’ailleurs, la primeur de nombre d’annonces importantes est réservée aux médias (ce qui fait l’objet de tractations entre les députés et les médias : "je t’invite à telle émission de grande écoute mais tu me fais une déclaration en exclusivité"). Souvent, après des révélations ou déclarations non anticipées, il revient aux équipes et aux compagnons politiques de tel ou telle de s’adapter et d’assurer le « service après vente ».
Souvent, pendant les années que j’ai passées à l’Assemblée nationale, je rentrais plus tôt chez moi le dimanche pour écouter telle ou telle émission politique et les jours de la semaine je me suis levé un peu plus tôt ou j’ai attendu à la fin de l’interview de la matinale pour entendre les nouvelles politiques de la nuit ou écouter avec précision ce que disait l’invité du matin. Par intérêt et curiosité mais surtout parce que 30 minutes ou une heure plus tard j’aurais à résumer ce qu’il s’était dit, en tenir compte dans la rédaction d’une note, alimenter une analyse, interroger tel ou telle ou, tout simplement, ne pas sembler mal informé lors d’une conversation à la pause café avec mes collègues ou lors d’un échange avec un député.
Je prendrai deux exemples pour illustrer cette nécessaire veille permanente sur l’information, ce dispositif d’alerte continue.
Bonnets rouges, rouges bonnets
Le premier est ma première confrontation directe avec l'urgence de l'actualité et date de l'automne 2013. La loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et services de transport adoptée en avril 2013 prévoyait de mettre en oeuvre une mesure issue du Grenelle de l’environnement : l’écotaxe poids lourds. Il s’agissait d’appliquer une surtaxe kilométrique à tous les véhicules de transports de marchandises de plus de 3,5 tonnes circulant sur le réseau national non-concédé (c’est à dire hors autoroutes) afin de pousser à l’optimisation du transport de marchandises au regard de son impact environnemental. Toutefois, lors du vote sur le texte, la fronde était montée depuis les rangs des députés bretons, tous bords politiques confondus, au nom de la tradition qui veut que les routes soient gratuites dans cette région éloignée de "l'espace européen". Lors du vote en avril le fait majoritaire l'avait néanmoins emporté sur les considérations régionales et le texte avait été adopté à une courte majorité. Pourtant, en Bretagne, les « bonnets rouges » - symboles de la révolution antifiscale en Bretagne en 1675 - organisent la mobilisation et brûlent les premiers portiques installés et mobilisent des milliers de personnes. Alors que l'écotaxe doit entrer en vigueur le 1er octobre 2013, nous apprenons à quelques jours de l’échéance pendant la réunion hebdomadaire de groupe, que le premier ministre Jean-Marc Ayrault va recevoir les présidents des groupes parlementaires le jour même pour faire le point sur la situation de crise (et sans doutes faire marche arrière sur la mise en oeuvre de cette taxe). Alors que la presse ne parle que des bonnets rouges, on nous demande à 12h de produire une note pour les deux co-présidents du groupe écologiste qui seront reçus à Matignon à … 14h ! Si mon collègue Alexander P. et moi-même n’avions pas été parfaitement au fait de ce dossier, de son historique, de ses considérations techniques et de son actualité, nous aurions été incapables de synthétiser le dossier en si peu de temps (ce que nous avons fait).
La pression était forte puisque dans le même temps, ce dossier fera la « Une » des journaux pendant plusieurs jours et restera comme l’une des premières grandes reculades du Gouvernement en place et comme un traumatisme pour une majorité à qui ce dossier sera souvent présenté comme un « épouvantail » par la suite : attention aux mesures impopulaires pour les lobbies (quels qu’ils soient), ils pourraient vous le faire payer cher !
CETA vous !
La scène du deuxième exemple est l'une des dernières de « réaction en direct à l’actualité » qu'il m'est été donné de suivre. Elle se tient à l’automne 2016. Je suis alors conseiller auprès de Danielle Auroi, Présidente de la Commission des Affaires européennes. Il est habituel qu’en amont des conseils européens, le Secrétaire Général aux Affaires Européennes (le Monsieur Europe du Premier ministre) reçoive les Présidents des commissions des Affaires européennes du Sénat et de l’Assemblée nationale pour faire un point sur les sujets à l’ordre du jour. J’accompagne la Présidente Auroi à ces rendez-vous qui se tiennent tôt le mardi matin au SGAE. C’est le type de réunions au cours desquelles il faut rester attentif et bien concentré pour saisir les positions des différents Etats membres et les enjeux diplomatiques pour la France. Il doit être environ 8h30 quand nous recevons un SMS d'une collègue au bureau nous indiquant qu’une journaliste de France Info souhaite interviewer Mme Auroi à 9h45 sur le sujet du CETA, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada qui, à ce moment-là, fait la Une de l’actualité. Danielle Auroi répond par SMS qu’elle est d’accord pour donner cette interview sur ce sujet qu’elle connaît bien et qui a été débattu à plusieurs reprises au sein de la Commission qu’elle préside à l’Assemblée nationale.

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Sauf qu’avant de s’exprimer à la radio il faut être au fait des dernières actualités et être en mesure de donner des informations précises sur ce qui a été débattu, voté, etc. à l’Assemblée nationale sur ce dossier politique mais aussi très technique ! Et c’est à moi de préparer ces éléments dans un délai record et tout en étant assis à une table autour de laquelle c’est également ma fonction de suivre les discussions. Il n’est évidemment pas question de se lever et de quitter la salle pour aller rejoindre mon ordinateur. Il ne me reste plus qu’à écouter les échanges sur le conseil européen du lendemain tout en préparant à la main une note très synthétique en vue de l’interview radio à venir dans une heure.
Cette fois encore, ma connaissance détaillée du dossier et de son actualité (en plus de celle de Danielle Auroi, sinon cela aurait bien sur été impossible) couplée à l’usage de mon smartphone m’ont permis de préparer une synthèse en quelques points et quelques dates de l’actualité ainsi que de rappeler les principales prises de position au sein de l’Assemblée nationale sur ce dossier. J’ai ensuite veillé à ce que Mme Auroi puisse terminer le rendez-vous en cours précisément à l’heure prévue pour arriver à temps à son bureau (distant de quelques centaines de mètres) et bien sur profité des 10 minutes de trajet entre les deux sites pour faire un point et lui permettre de répondre en direct aux questions de la journaliste. Ce qu’elle a fait avec brio d’ailleurs !
Un sens de l'à-propos soigneusement entretenu
Ces deux exemples illustrent le niveau d’adrénaline et de concentration permanente qu’il faut pour pouvoir « coller » à l’actualité et produire les éléments pour alimenter le débat démocratique. Le poids de l'actualité et de la couverture médiatique sont déterminants dans la prise de décision politique et la compréhension des enjeux par les citoyens. Et les médias jouent souvent un rôle de faiseurs d'opinion. Leurs temps sont très courts et pour être repris et compris, il faut à la fois être bien au fait de l'état des débats et de l'actualité sur un sujet et capable de formules courtes et percutantes. Or il faut à la fois du temps et être très alerte pour préparer de telles interventions ! Il y a donc à tout moment chez les parlementaires et leurs collaborateurs un travail de veille sur l'actualité et sur l'activité de la presse et des réseaux sociaux, qui deviennent des outils de travail à part entière et non plus lointains et anonymes. Pour savoir ce qu'il se passe tout autant que pour pouvoir à tout moment se positionner et peser dans les décisions.
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Sur la démarche : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/290717/chroniques-de-lancien-monde-souvenirs-dun-collaborateur-parlementaire