Une partie importante du travail parlementaire se fait non pas dans l’hémicycle mais au cours des réunions des commissions, des groupes d’études, ou encore dans le cadre d’auditions (publiques ou pas) organisées par les députés.
Lors de ces auditions, qui interviennent en complément du débat public et des contributions et rapports écrits, les acteurs représentatifs de certains secteurs de l’économie ou de la société (syndicats, groupements professionnels, ONGs, etc.), des experts, des élus, des membres de cabinets ou des services ministériels se succèdent devant les députés pour des échanges le plus souvent individuels, parfois collectifs (sous la forme de « tables rondes »). Le format classique de ces auditions est un exposé de la position générale des représentants de telle ou telle « force vive » sur un texte dans son ensemble ou sur certains aspects de celui-ci, puis un exposé des points qui posent des difficultés (techniques ou politiques) et enfin un échange sous la forme de questions - réponses avec les députés. Classiquement, les remarques qui auront retenu l’attention des députés pourront donner lieu à des amendements pour les traduire dans le texte lors du débat parlementaire.
Libre aux députés de poser les questions que les sujets évoqués par les personnes auditionnées leurs évoquent puis, sur la base des différents points de vue exprimés, de se faire un avis, le cas échéant de déposer un ou plusieurs amendements, proposition de loi ou prise de position publique inspirés par ces échanges.

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Est-ce que vous m’entendez ?
C’est une partie importante du travail parlementaire qui se fait sous cette forme, que les auditions soient publiques (lors des réunions de commission), semi-ouvertes (organisées par le rapporteur et ouvertes aux députés qui le souhaitent mais sans retransmission), ou « privées » (organisées directement par un ou plusieurs députés qui y associent uniquement qui ils souhaitent, sans la présence des services de l’Assemblée nationale).
De fait, c’est la façon qu’ont les députés et les services de l’Assemblée nationale de « consulter les forces vives » de la Nation sur un projet ou une proposition de loi ou lors des travaux préparatoires à la rédaction d’un rapport parlementaire. Une façon au demeurant confortable (les personnes auditionnées sont « convoquées » à une audition au Palais Bourbon) et pas très innovante mais solide et qui mène la plupart du temps à des échanges francs et basés sur des analyses précises et expertes. C'est l'occasion de souligner ici le grand professionnalisme des administrateurs de l’Assemblée nationale qui préparent chacune de ces auditions avec le plus grand sérieux. J’ai souvent assisté à de telles auditions, en tous cas au plus importantes car il y en a de nombreuses en parallèle en plus des débats législatifs quotidiens ! Le format est d'un classicisme un peu anachronique mais il faut reconnaître que ces auditions permettent à celles et ceux qui y assistent, et en premier lieu au rapporteur qui les organise, d’identifier les points de tension, les manques, les imprécisions, etc. dans un texte.
La question de savoir qui est invité à s’exprimer, qui est auditionné, devient alors essentielle (certains diront même politique) car les avis exprimés lors des auditions servent de base à la rédaction des rapports parlementaires sur les textes de loi et à l’analyse collective lors des débats publics. Ils donnent également une certaine autorité au rapporteur, qui par construction a organisé et suivi toutes ces auditions. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre le rapporteur avancer, pour (tenter de) disqualifier un amendement ou un argument que « ce point n’a jamais été évoqué lors des auditions ». On le voit bien, « l’équilibre » proclamé sur un texte dépendra beaucoup de la représentativité des différents points de vue existant sur un sujet donné. On imagine bien la différence dans le ressenti des points de vue de la profession agricole selon qu’on a auditionné ou pas la Confédération paysanne aux côtés de la FNSEA ou si uniquement cette dernière s’est exprimée au titre de sa « représentativité » (comme premier syndicat agricole). Même chose sur le nucléaire selon qu’on a auditionné l’association Negawatt ou Greenpeace en plus d’EDF et du Commissariat à l’Energie Atomique, la LDH sur les effets des prolongations successives de l’état d’urgence, etc.

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De l’art de s’inviter à la table (d’auditions)
Or, l’Assemblée nationale est une maison d’habitudes et de traditions, d’une certaine façon « conservatrice ». Si on n’y prend garde, les habitudes ont vite fait de prendre le dessus. Ainsi, pour des raisons idéologiques, politiques, ou tout simplement par la combinaison d’une certaine méconnaissance et d’une certaine inertie, certains acteurs ne sont jamais invités à s’exprimer. Les auditions étant organisées par les rapporteurs, avec l’aide précieuse des administrateurs de l’Assemblée nationale, c’est vers ceux-ci qu’il faut donc se tourner pour élargir le carnet d’adresses de celles et ceux qui sont invités. Idéalement en devenant rapporteur sur un texte, et sinon en faisant des propositions au rapporteur. C’est ainsi que certains « nouveaux » font leur entrée dans les tables rondes et les auditions organisées au Palais Bourbon. Et leurs idées et visions avec. Participer aux auditions officielles sur les textes est le premier pas vers une certaine influence sur la loi. A titre d’exemples, c’est ainsi qu’on retrouve MM. Yannick Rousselet, responsable du dossier nucléaire, et Cyrille Cormier, chargé de campagne climat énergie de Greenpeace France parmi les personnes auditionnées par la très officielle commission d’enquête sur le Coût de de la filière nucléaire et durée d'exploitation des réacteurs (dont le rapporteur était Denis Baupin). Que la Fédération nationale de centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural ou l’association « un plus bio » figurent parmi les structures auditionnées dans le cadre de la mission d’information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires (rapporteure : Brigitte Allain). Ou encore que le réseau environnement santé a été auditionné dans le cadre de la proposition de loi visant à intégrer le principe de substitution dans le cadre réglementaire national applicable aux produits chimiques (rapporteur : Jean-Louis Roumégas).
La condition pour avoir « voix au chapitre » pour ces réseaux soit méconnus soit ignorés est alors de pouvoir s’appuyer sur des députés « qui les représentent » et défendent leur participation lorsqu’est élaboré le programme des auditions sur un texte ou dans le cadre d’une mission parlementaire.
Chacun sa voix
La même logique de « relais » prévaut pour la discussion et la défense d’amendements conformes aux attentes des groupes constitués dans la « société civile ». Qu’ils découlent d’une audition ou d’échanges par voie de courriers et de méls, il faut qu’ils trouvent une écoute chez certain.e.s députés et qu’ils aient été déposés dans les formes : respect des délais de préférence dès l’examen du texte en commission, légistique conforme aux usages de l’Assemblée nationale, … De plus, pour augmenter leurs chances d’être véritablement discutés, voire adoptés si nécessaires après avoir été retravaillés, les amendements doivent être connus le plus tôt possible dans le processus législatif : idéalement dès les auditions, puis lors des débats en commission et enfin seulement lors du débat en séance publique (hémicycle). Il faut aussi qu’ils aient été signalés et expliqués auprès d’un maximum de députés et de groupes politiques, du rapporteur, du gouvernement. Idéalement, qu’ils aient fait l’objet d’une mobilisation citoyenne, annoncés dans la presse, …
Une grande partie de l’activité parlementaire est transparente et publique, suivie par nombre de groupes d’intérêts via des rendez-vous donnant lieu à des comptes-rendus ou sur le site Internet de l’Assemblée nationale mais les quantités d’informations sont considérables et beaucoup d’amendements proposés par des réseaux inexpérimentés sont peu réalistes et/ ou mal rédigés. Dans le magma des discussions autour d’un texte de loi, il est donc très important de savoir hiérarchiser et prioriser afin de déterminer et faire savoir quels sont les points qui représentent un enjeu et une priorité politique.

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J’ai rapidement pu constater la différence entre les groupes d’intérêts bien au fait de la procédure parlementaire, qui contactent les groupes politiques très en amont et avec des argumentaires clairs (quand ce n’est pas avec des liasses d’amendements déjà rédigés !) et les réseaux novices, qui envoyaient maladroitement des propositions la veille de l’examen en séance publique, alors que tout le travail préparatoire était terminé et que de toutes façons le délai de dépôt des amendements était déjà passé ! Très clairement, cette méconnaissance des procédures parlementaires constituait alors un handicap de taille par rapport aux « professionnels » de l’influence.
Bien qu’inexpérimentés nous mêmes au départ, mes collègues du groupe et moi-même avons accompagné les députés du groupe politique qui nous employait pour mener ce travail de pédagogie vis à vis des réseaux qui n’étaient manifestement pas au fait de la procédure parlementaire. Oui, avons ainsi contribué en quelques sortes à « former » un certain nombre de petits (et parfois même pas si petits en matière d’environnement ou de droits humains !) groupes d’intérêt aux techniques et à la tactique parlementaire pour augmenter leurs chances d’être entendus et de peser dans les débats.
Bien que seule une minorité des députés pour lesquels nous travaillions ait été réélus, j’espère que l’apprentissage de la méthode aura servi à ceux-là et que d’autres prendront le relais pour accompagner les nouveaux groupes d’intérêts qui viendront sonner à la porte des nouveaux groupes politiques et des nouveaux députés. Pour défendre leur cause mais aussi et surtout pour le bien du débat démocratique.
Frédéric Guerrien
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Sur la démarche : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/290717/chroniques-de-lancien-monde-souvenirs-dun-collaborateur-parlementaire