FredGuerrien (avatar)

FredGuerrien

Citoyen du monde

Abonné·e de Mediapart

34 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 août 2017

FredGuerrien (avatar)

FredGuerrien

Citoyen du monde

Abonné·e de Mediapart

Le nerf de la guerre (pour quelques euros de plus) 1/2

Ce n'est pas "en politique" qu'on devient riche contrairement à une idée répandue, alimentée par les abus de quelques uns et fantasmes divers. Il s'agit plutôt d'un univers aux lendemains incertains pour les élus et aux salariés précaires. Qu'en est-il des conditions d'exercice du mandat de député ? Je ne décris que ce que j'ai vu, d'autres complèteront ! Chronique en deux parties.

FredGuerrien (avatar)

FredGuerrien

Citoyen du monde

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Selon un sondage Harris publié en octobre 2016, 77% des français considèrent que leurs parlementaires sont corrompus ! De la même manière, on entend souvent décrire la politique comme un univers dans lequel on brasserait beaucoup d’argent, dans lequel le luxe serait le cadre habituel de faveurs bien rétribuées. Ce type d’image a la vie dure. Et pourtant, la réalité est toute autre. On trouve "en politique" comme ailleurs des précaires, des flambeurs, des roublards et ... une majorité (invisible) de personnes honnêtes et qui souvent mettent de leur poche pour défendre les idées auxquelles ils et elles croient.

Je distinguerais à gros traits trois axes sur lesquels examiner cet angle essentiel de la vie politique : la distinction argent public / argent privé; les conditions financières d’exercice des mandats; et le financement de la vie politique.

Illustration 1
Lustre dans un des "salons de la République" © F. Guerrien

Député, une affaire de gros sous ?

Mais au fait, quand on parle d'argent et de politique, de quoi parle-t-on au juste ? D'abord il faut distinguer enjeux économiques et financiers des décisions politiques et conditions matérielles dans lesquelles les femmes et hommes politiques exercent leurs mandats (ici plus particulièrement des députés). Entre le budget de la Nation (plusieurs centaines de milliards d’Euros) et l’indemnité d’un député (quelques milliers d’Euros) il y a d’ailleurs une différence d'ordre de grandeur. 

De fait, le ou la députée se trouve au centre de décisions ayant d’énormes conséquences financières ce qui éveille les pressions politiques et le « lobbying » au sens assumé du terme (argumentaires et prises de contact pour expliquer et défendre des positions prises) pour influer les décisions. Et c’est justement cela la politique : faire des choix et pouvoir les assumer après avoir été éclairé par un débat. Il n’y a donc rien de malsain en soi à ce que tel ou tel groupe constitué s’exprime ou éclaire les députés sur les implications des décisions qu'ils doivent prendre. D'ailleurs, à l'Assemblée nationale, l'expression de ces groupes d'intérêts est institutionnalisée par exemple lors d'auditions qui se tiennent dans le cadre de la discussion budgétaire (par exemple, la liste des personnes auditionnées pour le Tome I par la commission des affaires économiques pour le projet de loi de finances 2017 est consultable ici : http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2017/a4127-tI.asp#P160_35640). Ce qui peut jeter le soupçon c'est de le faire de façon cachée ou carrément de façon malhonnête (par exemple en proposant des avantages en nature ou indirects ce qui constituerait des actes de corruption).  Lors des auditions qui précèdent le débat sur le budget on parle millions mais, si j’ose dire « en tout bien tout honneur ». J’imagine que certains seront déçus de cette présentation très terre à terre des liens entre les députés et l’argent de la Nation mais de fait je parle ici de ce que j'ai vu et en cinq années passées à l’Assemblée nationale je ne l’ai vue que comme cela ! Je ne prétends pas que la corruption plus ou moins active (proposition de faveurs ou de facilitations) n’existe pas mais si elle existe elle est cachée et je crois pouvoir affirmer qu'aucun des 18 députés pour lesquel.le.s j'ai travaillé directement n'a été concerné.

Ca gagne bien ?

Alors, si ce n'est pas "sous la table", qu'en est-il des finances « propres » des députés. Le sujet est d’actualité en ce début de nouvelle mandature ! Je ne suis pas convaincu que d'en débattre des heures dans le cadre d'une loi dite de "confiance" rétablisse justement cette confiance mais en tous cas cela permet de parler du sujet et d'expliquer "comment ça marche". Car bien que publics et encadrés, les moyens dont dispose un ou une députée sont mal connus. Ils se décomposent en gros en 3 parties "quantifiables" et en des facilitations en nature.

D'abord, chaque député perçoit une indemnité mensuelle (son « salaire » en quelques sortes) de l'ordre de 7.200 Euros bruts soit environ 5.800 Euros nets. Il ou elle en reverse en général une partie à son groupe politique de rattachement ainsi qu’à son parti d’appartenance, pour contribuer à leur fonctionnement. Ce reversement, dont le montant n’est pas fixé par la loi, varie en général entre 10% et 25% de l'indemnité mensuelle selon les formations politiques d’origine. L'indemnité nette moyenne des députés est donc de l'ordre de 2 fois le salaire moyen en France et 4 fois le SMIC.

Chaque député dispose (ou disposait puisque la loi est en train de la changer) par ailleurs d’une enveloppe mensuelle dite « d’IRFM »  (indemnité représentative de frais de mandat) d'un montant de 5.840 Euros par mois, visant à couvrir ses frais de représentation. Et ceux-ci sont réels : réceptions, réservations de salles, dépôt de gerbes, restauration dans un cadre professionnel, déplacements des collaborateurs, location d’une permanence en circonscription mais aussi vêtements, chaussures, coiffeur, … Dans les faits et jusqu’à maintenant l’utilisation de ces sommes était peu voire pas encadrée et cette enveloppe revenait à une sorte « de ligne de crédit supplémentaire » du ou de la députée qui pouvait en faire une utilisation assez large. Je me rappelle par exemple de ce député fraichement élu en 2012 et que tout le groupe de militants locaux était venu visiter à Paris. Ils attendaient évidemment que Monsieur le Député les invite à déjeuner et dîner. Il avait même pris en charge les déplacements de deux personnes aux ressources très faibles. Une autre fois, j’ai du me rendre au Parlement européen à Bruxelles pour participer à une journée de travail à la demande d'une député . Ce sont deux exemples parmi tant d’autres de « frais » pris en charge par cette fameuse IRFM. Celle-ci devrait désormais faire l'objet de "notes de frais", et être ainsi plus "transparente" (ce qui n'était pas le cas jusqu'à maintenant).

Le troisième grand poste de dépenses d’un député sont les salaires de ses collaborateurs. L’enveloppe globale est fixe par député et d'un montant un peu inférieur à 10.000 Euros bruts par mois. Le ou la députée peut répartir cette somme comme elle le souhaite entre ses collaborateurs en circonscription et à Paris. Par exemple avoir recours à un seul collaborateur rémunéré près de 10.000 Euros par mois (je ne connais pas de tel cas à part celui qui a occupé les journaux début 2017) ou préférer employer 4 ou 5 personnes rémunérées un peu moins de 2.000 Euros par mois. Les Présidents de commission ou les Vice-Présidents de l’Assemblée disposent d’un crédit collaborateurs supplémentaire au titre des responsabilités qu’ils ont en plus de leur fonction de député. Les règles sont les mêmes pour tous et ces sommes ne peuvent servir qu’à rémunérer les collaborateurs tandis que les paiements sont gérés par les services de l’Assemblée, qui établissent les fiches de paie à partir de ce que leurs indiquent les députés.

Illustration 2
Une ex-députée rend publics ses frais de mandats (IRFM) © Quotidien "Sud Ouest"

Avec une réserve ...

Enfin, il existe (en tous cas jusqu’en 2017 puisque celle-ci est sur le point d’être supprimée par la nouvelle assemblée) une enveloppe supplémentaire à mi-chemin entre argent public et finances « propres » au député : la réserve parlementaire. Destinée aux associations et collectivités locales de leur choix et d’un montant annuel de plusieurs dizaines de milliers d’Euros par député (les règles et clés sont tellement variables d’un groupe et d’un député à l’autre qu’il est difficile de donner des chiffres par député mais le montant total au budget 2017 était de 147 millions d’Euros), la réserve parlementaire peut (pouvait ?) être attribuée à discrétion par celui-ci et son utilisation est (était ?) peu encadrée. En attendant sa possible suppression, cet argent public attribué en définitive selon « le fait du Prince » donne (donnait ?) localement un certain pouvoir s’apparentant plus à du clientélisme qu’à la conduite de politiques publiques dans la poursuite de l'intérêt général. 

En complément, les députés bénéficient de divers avantages en nature tels que la gratuité des transports entre Paris et leur circonscription, la prise en charge de leurs nuitées et de leurs déplacements à Paris, un régime fiscal et de retraite avantageux, un forfait téléphonie, etc.

On peut donc associer chacun des 577 députés à une enveloppe mensuelle de plusieurs dizaines de milliers d’Euros pour l’exercice de leur mandat. Cela peut sembler exorbitant mais reste une faible portion du budget de l’Etat ("nos impôts") et comme on l’a vu les sommes sont gérées séparément et ont chacune une finalité bien identifiée. Concernant les 4.000 à 5.000 Euros qui reviennent directement au député, c’est une somme à la fois conséquente et pas excessive au vu du niveau de responsabilités exercées et de l’engagement que cette fonction exige (sans parler que c'est un "emploi" qui mobilise 7 jours sur 7, souvent de nuit, et sans aucun doute plus de 35 heures par semaines !). C’est certes nettement plus qu’un instituteur ou un ouvrier qualifié mais un ou une cheffe d’entreprise, chirurgien, avocat, opticien, etc peut prétendre gagner beaucoup plus et il faut donc bien que l’indemnité associée à l’exercice de la prise de décision pour la conduite de la Nation ne soit pas un frein à s’engager pour celles et ceux qui le souhaitent. Il faut aussi que les conditions matérielles soient suffisantes pour se prémunir de « tentations » qui viendraient à se faire jour sous la forme d’avantages proposés par des groupes d’intérêt (assurer le prix de l’indépendance de nos représentants).

(... à suivre ...)

Frédéric Guerrien

Twitter : @Fredguerrien / LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/frédéric-guerrien-8a9081118/ 

Sur la démarche : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/290717/chroniques-de-lancien-monde-souvenirs-dun-collaborateur-parlementaire 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.