Étonnement, dans "l'ancien monde", les questions d’actualité au gouvernement (ou "QAG" dans le jargon) étaient l’un des seuls moments où l'hémicycle était plein, où les billets pour assister à la séance manquaient face aux demandes de citoyens, l'un des plus médiatisés de la vie du Palais Bourbon. Or c'était aussi ... l’un des moins représentatifs de son activité et l’un des moins intéressants pour celles et ceux qui y travaillent !
C’était d’ailleurs souvent le moment où les collaborateurs se donnaient rendez-vous car nous savions que nous serions relativement maîtres de notre temps, tous « nos » députés étant dans l’hémicycle. Moments de grandes envolées et invectives, de postures caricaturales dans un cadre théâtral, les QAG consistent, deux fois par semaine le mardi et le mercredi à 15h à permettre aux députés d’interpeller le gouvernement sur des « sujets d’actualité ». D'une certaine façon il s’agit du moment dédié ouvertement à la polémique et au débat politique (théoriquement, le reste du temps le travail parlementaire porte sur des questions de droit et législatives, en support à des visions et des projets politiques). Vu de l'intérieur, et par contraste au travail législatif, c'est un peu la grande récré ! C'est comme si pour montrer l'école, on filmait la cour plutôt que les salles de classes aux heures de cours. Toujours est-il que toutes les semaines, pendant deux fois 1h15 et dans un cérémoniel bien réglé, les questions se succèdent les unes aux autres, et les réponses du gouvernement avec.
Une excellente mise en scène
Dans ce domaine comme dans les autres à l’Assemblée nationale tout est réglé et encadré de près. L’opposition se voit attribuer la moitié des QAG et pointe sans relâche les échecs et les contre-vérités du Gouvernement en place. Bref, elle « accuse » et pointe les failles de la majorité, exercice nécessaire en démocratie. Le groupe majoritaire, quant à lui, pose des questions qu’on peut souvent qualifier de « téléphonées » : c’est à dire qu’elles ont été suggérées au groupe majoritaire par le gouvernement qui a de façon plus ou moins évidente rédigé la question et la réponse (pour mettre en valeur telle ou telle de ses actions ou pour apporter un éclairage sur tel ou tel point de l’actualité).
Par ailleurs, dans les « grands groupes » (groupe majoritaire et principal groupe d’opposition) seuls quelques députés, toujours les mêmes, ont le « droit » de poser une "QAG". Ce sont les groupes qui désignent leurs orateurs et les « grands groupes » choisissent peu ou prou toujours les mêmes orateurs, considérés comme fiables et en phase avec leur ligne officielle.
Agrandissement : Illustration 1
Bonne question ...
Ces figures de styles, utiles pour la communication politique et dans une certaine mesure à faire vivre le débat politique, ne présentent la plupart du temps pas d’intérêt pour celles et ceux qui travaillent à l'Assemblée. Éventuellement, les questions posées par les « petits groupes » qui n’ont droit qu’à une ou deux questions par séance sont plus intéressantes car elles sont préparées de façon plus indépendante et moins caricaturales. Elles pointent ainsi réellement des sujets qui méritent des précisions ou permettent de mettre en lumière un point d’actualité qui a peu été souligné par la presse ou évité par le gouvernement. Ainsi, le groupe écologiste pour lequel j'ai travaillé pendant quatre ans veillait toujours à assurer une rotation stricte entre ses membres (et entre les thèmes abordés), à raison de une question par séance de QAG, soit deux fois par semaine. Le choix du thème et de l'orateur se faisaient après un débat interne en réunion hebdomadaire de groupe. Ce débat à huis clos était d'ailleurs en général intéressant et bien argumenté, ce qui se ressentait dans la qualité des questions posées et dans leur formulation. Malheureusement, la qualité et la précision de la réponse n'était pas souvent au rendez-vous, loin de là !
L’exercice imposé veut que la question soit posée en deux minutes (pas une seconde de plus, au-delà le micro est coupé) et la réponse n’est guère plus longue. Si la question est gênante ou que le ou la ministre la découvre sur le moment sans avoir les éléments précis du dossier en tête, il ou elle a vite fait de répondre à côté, par des généralités ou de faire une réponse politicienne par exemple en renvoyant la responsabilité des problèmes aux majorités antérieures. De fait, c’est souvent le sort qui est réservé aux questions venant des « petits groupes ».
A titre d’exemple, cet échange entre la députée Eva Sas et le Ministre Frédéric Cuvilliers lors d'une des toutes premières séances de questions au gouvernement à laquelle j'ai assisté le mercredi 16 octobre 2012, au sujet du schéma national d'infrastructures de transports. Le contenu précis des échanges est consultable ici : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2012-2013/20130019.asp#INTER_29. Alors que la question, précise, de la députée porte sur le calendrier, et les modalités de révision de ce schéma national toute la réponse du ministre est consacrée à condamner l'abus de confiance et les fausses promesses du gouvernement précédent et à promettre que le nouveau gouvernement sera celui "de la transparence, de la vérité". Ce qui n'a bien entendu pas manqué de faire hurler les députés de droite mais ne présentait aucun intérêt sur le fond et ne répondait pas à la question. Malheureusement, lors des QAG, les exemples de ce type sont nombreux.
Le mardi, c'est Paris
Alors, pourquoi l’hémicycle est-il toujours plein le mardi et presque plein le mercredi si les échanges ont peu d’intérêt sur le fond et que la majorité des députés n’y ont jamais la parole ? Pourquoi venir aux QAG ? Quel intérêt pour le ou la député.e ?
Sans doutes d’une part parce que c’est justement le seul moment où l’hémicycle est plein avec de surcroit la présence du gouvernement au complet. Chaque député sait donc qu’il pourra trouver celui ou celle qu’il cherche (député ou ministre) pour lui parler de tel ou tel sujet, lui faire suivre un dossier ou une note manuscrite, solliciter son appui sur un amendement, faire avancer un dossier local ou mener une tractation politique. Derrière les questions posées au micro et devant les caméras il y a donc aussi un grand marché de tractations politiques invisibles ! C'est pourquoi il est important pour les députés d’être là pour être vu, pour avoir les dernières informations, pour participer aux négociations et tractations diverses en cours.
Et puis, les médias sont également au rendez-vous et les QAG sont par conséquent aussi un moment d’exposition à la presse. Ainsi, les salles « des pas perdus » et « des 4 colonnes » (réservées à la presse, à deux pas de l’hémicycle), sont pleines à craquer de journalistes avant, pendant, et après les questions au gouvernement. Caméras et micros se tendent à l’approche, parfois savamment calculée, des députés (qui à l’inverse peuvent prendre d’autres chemins plus discrets si ils ne souhaitent pas rencontrer de journalistes). Les séances sont par ailleurs télévisées donc pour nombre de députés c’est l’occasion même si ils ne posent pas de question d’apparaître dans le champ de la caméra ou, à l’inverse, de se faire montrer du doigt en circonscription car ils n’étaient pas à leur place le jour J !
Enfin, pour dire les choses crûment, le « service minimum » pour un député c’est d’être à Paris le mardi. Cela permet de « voir » tout le monde et de « savoir » ce qu’il y a à savoir. Les réunions de groupes politiques se tiennent le mardi matin, avec la détermination des positionnements sur les textes et les débats politiques sur l’actualité. Puis, c’est le déjeuner, l’occasion de voir untel ou une telle ou de faire le point avec son équipe à Paris, suivi des QAG, l’occasion de traiter les affaires urgentes en direct et d’être vu. Après les QAG, l’ordre du jour prévoit les votes solennels sur les texte débattus la semaine précédente (ceux dont les votes laissent une trace) avant éventuellement d’aller en commission et / ou dans l’hémicycle pour les débats parlementaires. Le service minimum « plus » consiste alors à passer la nuit à Paris et à ajouter la réunion du mercredi matin de la commission permanente dans laquelle siège le ou la députée (théoriquement obligatoire) et souvent de se rendre aux QAG du mercredi. Pour ce qui est du reste de la semaine (le lundi et à partir du mercredi après-midi donc), la présence du ou de la députée à Paris dépend largement des travaux à l’ordre du jour et de ses engagements en circonscription.
The Show must go on !
Reste la question de savoir pourquoi les QAG intéressent le public ! (Quoi qu’il faut croire que ce soit de moins en moins le cas puisqu’à partir de la rentrée 2017 elle ne seront plus diffusées sur France 3 mais uniquement sur La Chaine Parlementaire - LCP). Sans doutes pour le côté spectacle dans cette enceinte si ressemblante à un théâtre ! Pour les moments de polémiques et d’invectives politiques, à la limite de l’affrontement ou du règlement de compte ? Comme sur cette question récente de décembre 2016 lorsque une "figure" de l'Assemblée, le Président du groupe Gauche Démocrate et Républicaine, André Chassaigne interpelle sous les huées des députés de droite le tout nouveau premier ministre Bernard Cazeneuve :
Celui-ci se livre alors à un modèle de non réponse sur le fond, rejetant au passage tous les défauts sur la majorité précédente (en décembre 2016 !), mais tient bon sur la forme, les mimiques et les gestuelles. Cela n'a l'air de rien mais à la télé on n'entend que ce qu'il se dit dans le micro, en réalité le brouhaha est immense quand commence la "bronca" de ce qui ressemble à un groupe d'écoliers dissipés. Celles et ceux qui sont dans l'hémicycle n'entendent alors plus ce que dit l'orateur, qui est couvert par les cris des autres députés. Dans ce cadre théâtral, tenir sa ligne dans le temps imparti relève alors du talent d'acteur et est un véritable art oratoire.
C’est peut-être ces moments-là qui font le (relatif) attrait des QAG, car les français aiment la politique, ses passes d'armes, ses orateurs, ses polémiques ! Et puis, c'est la récré !
Frédéric Guerrien
Twitter : @Fredguerrien / LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/frédéric-guerrien-8a9081118/
Sur la démarche : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/290717/chroniques-de-lancien-monde-souvenirs-dun-collaborateur-parlementaire