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Billet de blog 8 août 2017

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Le nerf de la guerre (pour quelques euros de plus) 2/2

(suite) Ce n'est pas "en politique" qu'on devient riche contrairement à une idée répandue, alimentée par les abus de quelques uns et fantasmes divers. Il s'agit plutôt d'un univers aux lendemains incertains pour les élus et aux salariés précaires. Qu'en est-il des conditions d'exercice du mandat de député ? Je ne décris que ce que j'ai vu, d'autres complèteront ! Chronique en deux parties.

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2/2 - billet en deux parties : pour relire la première c'est ici : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/260717/le-nerf-de-la-guerre-pour-quelques-euros-de-plus-12 

Et la cantine, elle est comment ?

Les conditions de travail quotidiennes sont également confortables pour les députés mais on est loin du luxe que peuvent parfois s’imaginer certains. Pour dire les choses crument, à l’Assemblée nationale les fauteuils sont confortables, les restaurants sont bons, et les députés ont à disposition un "pool" de voitures avec chauffeur pour leurs déplacements en région parisienne. Mais les bureaux sont petits, on ne mange jamais de caviar et le passage chez le coiffeur est payant ! Quant aux collaborateurs, seule une minorité bénéficie partiellement des services et équipements mis à disposition des députés par l’Assemblée nationale. En réalité, le gros du bataillon des collaborateurs ne met jamais les pieds dans le restaurant de l’Assemblée et travaille dans des conditions précaires, partageant souvent leur temps limité entre plusieurs députés sur la base de contrats à temps partiel et à la rémunération aléatoire (en moyenne entre 1 et 3 SMIC mais parfois moins), partageant à plusieurs des bureaux d’à peine quelques mètres carrés et ne comptant pas leurs heures. Ceux-là ne fréquentent jamais les « salons de la République » et peuvent voir leur contrat se terminer du jour au lendemain.

Illustration 1
Pause déjeuner de collaborateurs de députés sur la pelouse des Invalides © F. Guerrien

En définitive, un député soucieux d’exercer consciencieusement son mandat se voit offrir de quoi le faire dans de bonnes conditions matérielles sans que cela ne devienne outrancier. Et dès qu’il ou elle n’est plus parlementaire, tout s’arrête. Bref, ces conditions sont confortables sans être indécentes pour celui ou celle qui s’applique les règles à la lettre et dans l’esprit de celles-ci. Car du fait de peu de comptes à rendre et de la protection des députés pendant la durée de leur mandat, un ou une députée qui s’investirait peu dans le travail parlementaire (et cela existe évidemment) profiterait exactement des mêmes conditions financières et matérielles que ceux qui y investissent tout leur temps, leur énergie, et les ressources qui sont mises à leur disposition à cet effet. Sans le travail attendu, il est certain que les indemnités et frais de représentation prévus pour les députés peuvent être sources de juteuses capitalisations et constituent un détournement de ce pour quoi cet argent public a été provisionné, mais cela reste des cas de figures minoritaires. L'interdiction du cumul avec un mandat exécutif local ainsi que la transparence renforcée sur les frais de représentation vont d'ailleurs dans le sens d'une clarification des activités et de l'utilisation des ressources publiques.

La politique, quels moyens pour quelles ambitions

En toile de fond de ces enjeux financiers se joue une autre dimension essentielle de la vie politique : son financement. Car pour les passionnés que sont les femmes et les hommes politiques, trouver les moyens de « faire » de la politique est probablement plus crucial que la recherche d'enrichissement personnel. D'ailleurs à mon avis (qu'on n'est pas obligé de partager !), c'est la conquête et l'exercice du pouvoir (pour mettre en oeuvre un projet et pour la "reconnaissance" que cela peut apporter) qui motivent les femmes et hommes politiques plus que l'enrichissement : à niveau d'engagement et de responsabilités équivalentes il existe nombre d'autres métiers et secteurs dans lesquels on gagne beaucoup plus. Or "faire" de la politique (et y "faire carrière") coûte cher, très cher ! Actions de campagne, réunions publiques, réservations de salles, sites Internet, enquêtes d’opinion, déplacements, conseillers divers, … Les partis politiques et les individus doivent trouver les moyens de leurs ambitions et les sommes en jeu peuvent vite monter très haut sans que les actions correspondantes soient forcément très spectaculaires.

Les sources de financement des formations politiques sont limitées et directement liées à leurs résultats électoraux et au nombre de leurs élus. Par exemple, les formations ayant obtenu au moins 1% des voix dans 50 circonscriptions lors des législatives perçoivent 1,42 euros par an et par voix obtenue pendant toute la durée de la législature. Une formation ayant recueilli 900.000 voix percevra ainsi 1,42 * 900.000 = 1.278.000 euros par an pendant 5 ans. Par ailleurs, les partis politiques perçoivent de la part de l'Etat un versement annuel de 37.000 euros pour chaque député se reconnaissant de leur formation. Supposons que les 900.000 voix de la formation politique sus-citée lui permettent de constituer un groupe politique de 20 députés. Elle se verra alors doter chaque année de 20 * 37.000 = 740.000 euros supplémentaires, soit 2.018.000 euros en tout. A noter qu'il s'agit de sources de financement (importantes) pour les partis politiques, sans aucun lien avec l'activité législative des parlementaires.

Illustration 2
Réunion politique dans la salle Colbert de l'Assemblée nationale © F. Guerrien

Pour servir des ambitions personnelles ou collectives, il faut donc s'en donner les moyens, c'est à dire notamment trouver des fonds. Là aussi les moyens mis à disposition des députés pour embaucher des collaborateurs, pour leur IRFM, ou pour faire fonctionner un groupe politique sont des moyens complémentaires qui peuvent constituer une tentation pour servir des carrières politiques plus que pour le travail législatif. Le statut de collaborateur étant quasi-inexistant et les fiches de postes rares, il y a là évidemment un flou. Toutefois, et je dois le dire encore une fois de manière assez rassurante sur ce que sont nos députés et leur conception de la mission qui leur est confiée, ce que j’ai vu et vécu à l’Assemblée nationale ce sont des collaborateurs et des moyens mobilisés à des fins de travail législatif.

La finalité des sommes mises à disposition des députés pour l’exercice de leur mandat a été scrupuleusement respectée dans les deux environnements professionnels que j'y ai connu (groupe écologiste puis auprès de la Présidente de la commission des Affaires européennes). On pourra m’objecter que les écologistes font des questions d’éthique et de transparence un cheval de bataille prioritaire mais nous étions aussi beaucoup en lien avec d’autres collaborateurs de tous les horizons politiques et j’y ai côtoyé nombre de professionnels dédiés et compétents tout au long de ces cinq années (même si il est vrai que je n’ai jamais croisé Pénélope Fillon à la cantine :). Alors, comme partout, les dérives existent et les abus et contournements de quelques uns font beaucoup de mal à la majorité et installent le doute malheureusement. Les « affaires » qui ont émaillé l’année 2017 autour des « attachés parlementaires » (de Pénélope Fillon aux emplois détournés du Modem en passant par les faux attachés parlementaires du FN au Parlement européen) ont d’ailleurs mis la lumière sur certaines pratiques de détournement. D'ailleurs, à bien y regarder il s'agit souvent plus de détournement de la finalité des moyens (utiliser des fonds pour servir une ambition politique, gagner des élections et non pour faire la loi) plus que de l'enrichissement personnel. En tous cas sur les cas les plus extrêmes. Malheureusement ces cas frauduleux ont aussi semé le doute sur l’ensemble des collaborateurs parlementaires. C'est pourtant une "profession" de l’ombre mal rémunérée, précaire, et sans statut exercée par des gens convaincus et très compétents ... qui n’avaient pas besoin de cela. Je ris encore jaune du jour où, trop pris par mon travail j'ai laissé une dent se détériorer et quand j'ai enfin été en urgence chez ma dentiste celle-ci riait "ah, vous êtes collaborateur de député, vous êtes payé à ne rien faire !" (ah ah ah ...). Nous étions alors en plein "PénélopeGate" (et ayant la bouche pleine d'appareils je ne pouvais pas répondre :).

La probité, notre affaire à tous

Pour voir le côté positif de ces affaires, à chaque fois que l’une d’entre elles éclate (récemment les plus spectaculaires et scandaleuses ayant été l’affaire Cahuzac et le Pénélope Gate), la question du statut des hommes et femmes politiques et de leur entourage est reposée et sous la pression de l’opinion publique les mentalités évoluent petit à petit. De nouvelles règles et lois sont édictées, pour encadrer les pratiques, les rendre plus transparentes, et éviter les dérives. Chacun y regarde aussi d'un peu plus près sur ses propres pratiques.

Toutefois, la question du rapport de la politique et du pouvoir à l’argent n’est bien sur pas nouvelle et s’il faut sans cesse l’encadrer et la rediscuter, on ne pourra évidemment pas la régler d’un coup de baguette magique ou par le seul recours à des textes et lois. Je crois même qu’il faut faire attention à ne pas tomber dans la délation et le puritanisme en la matière, au risque de créer de la bureaucratie inutile et de décourager les milliers d’hommes et de femmes qui donnent énormément par passion et non pour d’hypothétiques enrichissements. C’est donc notre affaire à tous d’adopter un comportement qui permettra naturellement de lever les soupçons et c’est l’un des principaux défis auxquels est confrontée (et restera confrontée pendant longtemps) la démocratie.

Frédéric Guerrien

Twitter : @Fredguerrien / LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/frédéric-guerrien-8a9081118/ 

Sur la démarche : https://blogs.mediapart.fr/fredguerrien/blog/290717/chroniques-de-lancien-monde-souvenirs-dun-collaborateur-parlementaire 

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