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Billet de blog 20 octobre 2025

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Qui a tué Arnaud

Édouard Louis a dénoncé ceux qui ont tué son père. Je poursuis mon hommage à Arnaud en nommant celleux à l’origine de la loi qui a facilité son licenciement.

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Le 3 janvier 2022 j'ai publié un article intitulé « Arnaud est mort ». J'y racontais comment Arnaud, ouvrier quinquagénaire, avait été licencié pour insuffisance professionnelle par le patron qui l'avait pourtant qualifié par écrit d'apport important pour l'entreprise. Deux mois plus tard, Arnaud décédait d'une crise cardiaque, petit point supplémentaire dans les statistiques de la surmortalité des chômeurs.

J'ai lu d'une traite cette semaine « Qui a tué mon père », récit d'Édouard Louis qui dénonce la responsabilité de certains hommes politiques dans le destin de son père, ouvrier victime d’un accident du travail, pour qui chaque changement dans une politique publique avait un impact très concret dans sa vie quotidienne. Et j'ai alors réalisé un oubli important. Si j'avais bien relevé la responsabilité des ordonnances Macron de 2017 dans la facilité qu'avaient les employeurs à licencier, je n'avais pas nommé tous les soutiens à ces mesures. Je veux donc réparer cette erreur, en pointant toutes celles et ceux qui, en position de pouvoir, ont choisi de protéger les employeurs voyous.

Jusqu'au 24 septembre 2017, un employeur qui licenciait sans cause réelle et sérieuse, un patron voyou donc, se voyait condamné à indemniser le salarié d'un montant au moins égal à 6 mois de salaire (article L1235-3 du Code du travail jusqu’en 2017). Les juges avaient donc la liberté de condamner plus lourdement, en tenant compte des particularités du salarié, notamment son âge ou son handicap, des circonstances du licenciement et des moyens de l'employeur fautif. Ce principe était en vigueur depuis 1979 au moins.

Mais les puissants de 2017 ont jugé indispensable que les patrons voyous soient moins sanctionnés et ont donc réécrit cet article en créant un barème encadrant l'indemnisation. Ainsi un•e salarié•e ayant moins d'un an d'ancienneté et licencié•e injustement recevra une indemnité comprise entre 1 mois de salaire et... rien. L'indemnité plancher atteint au maximum 3 mois de salaire après 2 ans d'ancienneté. C'est cette réduction du risque de sanction qui est une véritable incitation au licenciement injustifié, et qui explique la légèreté avec laquelle Arnaud a été mis à la porte en 2022.

Cette modification provient de l'Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, faite par le Président de la République Emmanuel Macron, le Premier ministre Édouard Philippe et la ministre du travail Muriel Pénicaud. Mais ces trois personnes ne détenaient pas seules le pouvoir de changer les lois.

Cette ordonnance a dû être ratifiée par le Parlement, par le dépôt d'un projet de loi de la ministre du travail, assistée de son cabinet : Marc Ferracci, conseiller spécial auprès de la ministre, Antoine Foucher, directeur du cabinet, Stéphane Lardy, directeur du cabinet adjoint, Claire Scotton, directrice du cabinet adjointe, Fanny Forest-Baccialone, conseillère parlementaire et Patrice Ivon, conseiller en charge des mutations économiques et de la santé au travail.

Ce projet a d'abord été examiné par la Commission des Affaires sociales, présidée par Brigitte Bourguignon, qui a désigné Laurent Pietraszewski rapporteur. Puis, sous la présidence de François de Rugy, 306 députés La République En Marche, 82 députés Les Républicains, 41 députés Modem et 34 députés Les Constructifs ont voté pour. Ces groupes étaient présidés par Richard Ferrand, Christian Jacob, Marc Fesneau et Stéphane Demilly
Même trajectoire au Sénat présidé par Gérard Larcher, où Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, s'est désigné rapporteur. Le texte est adopté définitivement les 6 et 14 février 2018.

L'opposition ayant saisi le Conseil constitutionnel, celui-ci prononça une censure de certaines dispositions mais pas du barème protégeant les patrons voyous, le considérant conforme à la Constitution. Merci M. Laurent Fabius, Président, Mme Claire Bazy Malaurie, MM. Michel Charasse, Jean-Jacques Hyest, Lionel Jospin, Mmes Dominique Lottin, Corinne Luquiens, Nicole Maestracci et M. Michel Pinault.

Voici donc une liste non exhaustive de 27 puissants parmi des centaines qui, chacun leur tour, ont gratté une petite poignée de terre de Normandie, sans qu'aucun d'entre eux ne se sente personnellement responsable de la tombe ainsi creusée. Celle où repose le corps d'Arnaud, avec tant de ses semblables.

PS : si vous êtes nommé dans ce billet et que vous avez pris publiquement position contre le barème Macron, je serai honoré de vous retirer de la liste et d’indiquer où et quand vous l’avez fait !

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