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Billet de blog 1 février 2013

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Au resto, du surgelé dans nos assiettes

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Photo Gregg Ellis

Où est donc passé le fait-maison dans nos assiettes ? A première vue, il n’a jamais disparu. Mais avec l’arrivée des plats élaborés surgelés, certains restaurateurs ont réalisé un véritable tour de passe-passe, faisant passer des plat industriels réchauffés pour des plat traditionnels cuisinés par des professionnels. Le client n’est-il pas alors en droit d’être informé sur les produits qu’il consomme ?

par Pauline Martineau sur www.frituremag.info

Sait-on vraiment d’où viennent les produits servis dans notre assiette au restaurant ? La question, lorsqu’on connaît la réputation du savoir-faire culinaire français, peut sembler inopportune. Pot au feu, souris d’agneau, gratin dauphinois, les spécialités françaises sont nombreuses et la reconnaissance de la gastronomie française n’est plus à faire. Preuve en est son classement au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO en novembre 2010.
Pourtant, ce savoir-faire est aujourd’hui mis à rude épreuve. Au restaurant, le traditionnel bœuf bourguignon fait-maison peut très vite se trouver remplacé par un bœuf bourguignon surgelé, prêt à réchauffé… Le tout sans que le consommateur ne se rende compte de quoi que ce soit.

En France, rien n’oblige les restaurateurs à indiquer l’origine des plats sur les menus. Produits frais ou surgelés, produits bruts ou cuisine d’assemblage : le client peut facilement se faire rouler sur la qualité de la marchandise lorsqu’il croit déguster un plat élaboré sur place.

Le frais, avant tout un choix

Réaliser soi-même ses plats, c’est ce que s’efforce de faire Mathieu Couturier dans son établissement, La Gaité Restorant, à Toulouse. Avec son équipe (un cuisinier et un commis de cuisine), il propose une carte variée, réalisée à partir de produits bruts frais de saison. C’est la marque de fabrique du restaurant. « Nous travaillons beaucoup les légumes frais et la qualité. Cela permet de fidéliser les clients. Ils savent d’où viennent les produits que nous servons », explique Mathieu.

Évidemment, ce choix personnel implique une organisation drastique. A la Gaité Restorant, pas de surplus, les stocks sont gérés au jour le jour. « Ça demande un investissement important. La mise en place de cette cuisine est lourde » admet Mathieu. Tous les soirs, après le service, il passe commande auprès de ses fournisseurs pour des produits qui seront livrés le lendemain matin. Ils serviront à composer la carte du soir.
Les coûts sont également plus élevés : les produits frais coûtent plus cher et le temps passé à travailler le produit brut se paie. Résultat, la Gaité Restorant propose son menu à 23 euros. Un prix qui est loin de rebuter les clients selon le restaurateur : « Ce que nous proposons à la carte, c’est ce que recherchent les clients : un bon produit de qualité ».

Le surgelé moins cher

Mais les contraintes de temps et les coûts trop importants sont autant d’arguments qui incitent une partie des restaurateurs à préférer le surgelé, souvent plus bon marché.
Pour Bernard Grateloup, propriétaire du Café de la Poste à Carmaux,« les produits frais coûtent trop cher et il existe des produits bruts surgelés de qualité. On les décongèle et on les cuisine sur place. Pour les légumes et les fruits, je me fournis au marché, excepté les légumes qui ne sont pas de saison, comme les haricots verts. ».
Selon lui, il ne faut pas faire l’amalgame entre produit brut surgelé et mauvaise qualité. « Les produits congelés sont de qualité. La législation en vigueur impose d’ailleurs une congélation obligatoire pour certains produits comme les viandes de gibier. » glisse-t-il.

« Utiliser du surgelé me permet de proposer une restauration traditionnelle à des prix abordables. Le premier menu est à 10 euros 50. Le plus cher ne dépasse pas 15 euros » continue Bernard. Et quand on lui demande s’il renseigne ses clients sur le type de produits utilisés, il répond spontanément qu’il « ne le dit pas. Je ne me suis jamais posé la question. » Mais alors, n’y a-t-il pas tromperie ? « Non. La plupart de mes clients sont des habitués. Ils savent où ils sont ».
Le problème, selon lui, ce sont les restaurateurs qui ne proposent que des plats déjà élaborés qu’ils n’ont qu’à réchauffer au micro-onde avant de servir et qui les vendent au consommateur à un prix exorbitant.

La cuisine d’assemblage, la voie de la facilité

Car, devant l’opportunité que représente ce marché, l’industrie agro-alimentaire s’est bien sûr positionnée. De l’oignon émincé au moelleux au chocolat, en passant par les œufs pochés sous vide, elle propose tous les produits nécessaires à la réalisation de plats cuisinés, mais pas seulement. Sa carte présente aussi de la cuisine d’assemblage : des plats élaborés prêts sous vide, comme des lasagnes, des souris d’agneau ou encore des salades composées, à des prix défiant toute concurrence.
Et les quelques 9 513 établissements de restauration traditionnelle (selon les derniers chiffres connus de l’Observatoire de l’hôtellerie, de la restauration, et des activités de loisirs) du Sud Ouest sont des cibles privilégiées pour cette industrie.

Brake, Davigel (groupe Nestlé), Metro (pour n’en citer que quelques uns), tous sont implantés en Midi-Pyrénées et Aquitaine.
Friture a tenté d’en savoir plus sur le nombre de clients desservis par ces entreprises dans la région et sur l’origine des produits utilisés pour cette cuisine d’assemblage. La société Davigel n’a pas souhaité donner suite à notre requête. « Nous ne communiquons qu’avec les revues spécialisées. C’est une position de groupe » nous a-t-on expliqué. Dommage.
Nous avons eu plus de chance avec Métro, grossiste, dont l’entrepôt régional est situé à Toulouse. « Nous avons 4000 clients réguliers travaillant essentiellement dans la restauration traditionnelle en Midi-Pyrénées » indique Monsieur Corlay, le directeur de l’unité toulousaine. « Mais nous proposons 60 % de produits frais. Le surgelé ne représente que 6-7% de notre stock. Ce que nous souhaitons mettre en avant, ce sont avant tout des produits régionaux et locaux » a-t-il tenu à souligner.

Une loi pour obliger à informer le consommateur

En soi, rien n’interdit d’avoir recours à la cuisine d’assemblage. Le problème reste que le consommateur est lésé car peu ou pas informé. « Ces restaurateurs, soit ils diminuent les prix, soient ils se gavent sur les prix. C’est mensonger. Malheureusement, les gens ne se rendent souvent pas compte. Il faut que les restaurateurs se responsabilisent » déplore Mathieur Couturier. « C’est un peu comme si on perdait notre âme » renchérit Bernard Grateloup.

Un vide juridique que souhaite combler Fernand Siré, député UMP des Pyrénées-Orientales. Ce dernier vient de déposer une proposition de loi, avec 30 autres signataires de l’UMP pour insérer un article L.112-2 au code de la consommation, visant à obliger les restaurateurs à indiquer sur la carte si le plat a été élaboré sur place ou non. Cela se fait déjà en Italie (avec une astérisque). « Dans les magasins de grande distribution, le client sait d’où vient le produit qu’il consomme. Pourquoi ce ne serait pas la même chose au restaurant ? Le but est d’informer pour que le consommateur ait le choix » résume le député.

Mais la loi ne sera examinée qu’en avril à l’Assemblée Nationale. En attendant, comment faire pour s’y retrouver ? Il existe bien des label pour promouvoir le fait-maison. Le Label Maître restaurateur, lancé en 2007 et délivré par la préfecture, garantit au consommateur une cuisine élaborée sur place composée essentiellement de produits frais. Le problème reste que ce label est très peu développé. Sur les 4313 établissements de Midi-Pyrénées, seuls 108 ont reçu la distinction, et 125 sur 5200 en Aquitaine, selon les chiffres de l’Association française des maîtres restaurateur (AFMR).

Dans la plupart des cas, il ne reste alors que la bonne vieille méthode : lire attentivement la carte, vérifier le type de plats proposés (s’il y a une dizaine de plats proposés, il est peu probable d’avoir à faire à une cuisine élaborée sur place), enfin, se lancer à l’assaut de l’assiette et laisser ses papilles donner le verdict.

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