
Quand ils ne sont pas dans les écoles de secteurs, les enfants du voyage vont dans les classes mobiles de l’Éducation Nationale. Dominique Karpp est l’une de ces institutrices vagabondes qui conduit son camion école là où les gens du voyage s’installent pour une semaine, ou pour trois mois.
par Christophe Abramovsky sur www.frituremag.info
Sur le parking de l’Oncopôle de Toulouse, le camion école de Dominique, plus proche du camion frigorifique que d’une classe, attend les enfants du voyage. Près de cinquante caravanes se sont installées sur cet emplacement illicite.
« Clémence, Gwendoline, Joé, allez, on se réveille ! », lance-t-elle comme à la criée. L’école n’est pas obligatoire, l’éducation oui. Et les gens du voyage apprécient le travail de l’équipe de l’Inspection académique de Toulouse, pilotée par l’Inspecteur Farid Djemmal. « L’ambition est de ne laisser aucun enfant sans possibilité de suivre un enseignement de qualité », précise l’Inspecteur.
La classe mobile répond à des situations compliquées
Dominique Karpp enseigne auprès de ce public depuis maintenant 8 ans. Cette institutrice expérimentée a connu de nombreuses situations d’enseignement qui, aujourd’hui, sont autant de savoir-faire qu’elle met au service de ces enfants. « Enseigner en classe mobile est épuisant. On ne sait jamais à l’avance combien d’enfants seront présents, ni combien de temps ils resteront sur le site. En classe mobile, nous travaillons uniquement sur les terrains illicites. Les enfants vivant sur les emplacements communaux sont tous dirigés vers les écoles de secteurs ».
La veille, ce sontt près de 25 caravanes qui sont arrivées. Et désormais, Dominique se retrouve avec 23 enfants en âge d’être scolarisés. Impossible de les envoyer tous dans les écoles de secteurs. Impossible d’en accueillir plus de 9 à la fois dans l’exigu camion école. L’enseignante va demander qu’une autre classe mobile vienne rapidement sur le site.
L’institutrice rappelle alors son rôle de pédagogue auprès des familles : « ma présence sur le parking permet de scolariser les enfants, mais aussi d’expliquer aux familles que la place des enfants est dans les écoles « ordinaires ». Ils apprendront plus de choses et pourront trouver leur place dans la société, dans le monde des "gadjé" (les non-tziganes) ».
Extrais d’un documentaire réalisé en 2009 dans le département des Yvelines
Pédagogie, le maître mot
Huit enfants de 9 à 11 ans répondent à l’appel ce matin d’hiver. Au programme : écriture, lecture et "parler". L’histoire, la géographie ou l’éducation physique ne peuvent que rarement être abordés, faute de temps.
Les enfants du voyage sont comme tous les autres, curieux, vifs, dévorant des yeux leur enseignante quand elle lit l’histoire d’un petit pêcheur de truite. Beaucoup connaissent bien la pêche et se pressent pour expliquer à Dominique comment accrocher un vers à l’hameçon ou comment « tirer fort » sur la canne quand le poisson mord. « On dit ferrer », précise la maîtresse, qui ne manque pas une occasion pour dispenser une connaissance.
« Dans quel mois de l’année sommes-nous ? », interroge la maîtresse. Au tableau, les mois sont représentés par des dessins, mais aussi écrits en toutes lettres. Isaï compte les mois. Puis, tous ensemble, ils répètent le nom de chacun. « Sectembre », dit Inès. « On prononce septembre », rappelle l’institutrice. Dominique confesse que tous les enfants ont des difficultés de prononciation. « Leur langue maternelle est le Manouche, qu’ils parlent tous au quotidien. C’est un mélange de roumain et de langue germanique ».
Brian frappe à la porte. « Que t’est-il arrivé ? demande l’institutrice. Tu as plus d’une demi-heure de retard. Rien, répond l’enfant… Je ne me suis pas réveillé ». La moitié des élèves est arrivée la veille. Dominique effectue un diagnostic de niveau, afin d’organiser le travail des jours suivants. Inès a des difficultés d’écriture. La maîtresse lui prend la main et la guide pour tracer les lettres.
« Avec les enfants voyageurs, il y a des trous dans les savoir-faire d’écriture. Ils connaissent certaines lettres, et en ignorent d’autres. Il faut continuellement s’adapter à eux. C’est un travail d’individualisation. Je prends l’enfant là où il en est et construit avec lui le chemin pour qu’il progresse ».
Améliorer le « parler » pour effacer la honte
À la récré du matin, sur le parking, les caravanes commencent à s’animer. Les femmes lancent leurs premières machines à laver. Quelques hommes apparaissent. La plupart sont au travail ; élagage, marchés, ferraille.
La classe reprend, avec calme et enthousiasme. L’autorité, ici, ne se fait jamais en haussant la voix, mais par des rappels simples et clairs aux règles du vivre ensemble.
Dominique Karpp insiste sur sa mission, qui dépasse de loin le simple fait d’enseigner. « En classe mobile, notre travail consiste aussi à servir de pont entre le monde des gens du voyage et celui des gadjé. Pour les voyageurs, nous représentons des sédentaires à l’écoute des familles, et qui ne font pas du contrôle sur eux. On sert à donner confiance dans l’institution scolaire ». En réalité, les voyageurs ont peurs des gadjé. Le respect, la présence bienveillante et la confiance sont les seuls garants pour une meilleure scolarisation des enfants.
« Pour effacer la honte de mal s’exprimer avec les gadjé, de faire des fautes de français, je travaille avec les enfants le « parler », tout autant que la lecture et l’écriture. Souvent, les gens du voyage ont du mal à mettre leurs enfants dans les écoles de secteur, parce qu’il faut parler avec les instituteurs, le directeur… et ils ont honte ».
Et puis, « il faut arriver à ce qu’ils puissent mettre des mots sur ce qu’ils veulent ou pas, sur ce qu’ils sont. L’objectif, c’est que ce peuple de voyageurs puisse s’intégrer au mieux à notre société, sans être assimilé, ni stigmatisé », ajoute Dominique avec détermination.