
Rapidement oubliée, la navigation sur le Lot fut une longue conquête pour dompter une rivière difficile. On lui doit pourtant l’essor des vins du Quercy, l’arrivée impromptue du stockfish, le succès de l’industrie de Decazeville. Subi, dompté, canalisé, puis désacralisé, le Lot fut l’aventure d’une des rivières « portantes » les plus actives du pays et illustre l’importance des voies d’eau aux temps où elles furent les axes principaux de communication.
L'intégralité de l'article par Christophe Pélaprat sur www.frituremag.info
Deux torrents réunis : c’est ainsi que pouvait se définir l’Olt venu des hauteurs du Mont Lozère après avoir reçu les eaux de la Truyère, à Entraygues (littéralement entre les eaux) en Aveyron. Des terrains anciens du Massif Central aux durs calcaires des Causses du Quercy, jusqu’aux formations meubles à l’approche de la Garonne, une topographie tourmentée impose un régime capricieux aux 481 kilomètres du fleuve. Un torrent impétueux mais aussi une formidable voie de communication, de l’Aveyron jusqu’à Bordeaux, à des époques dépourvues de route et, plus encore, de chemin de fer. Ce passage obligé sera conquis de haute lutte au fil des siècles, au prix de nombreux ouvrages de plus en plus performants.Dès les gallo-romains, l’Olt sert au flottage du bois. Les lourds merrains (billes) assemblés en radeaux sont acheminés vers la basse-vallée, sur un fleuve sauvage truffé de passages périlleux. Seuls Divona (Cahors) et Uxellodunum (Capdenac-le-haut) sont pourvus d’hollandaises, écluses de fortune à la mesure des techniques du temps. Au 17e siècle, les palsières, retenues de piquets plantés à la faveur des moulins, sont autant d’obstacles supplémentaires pour des embarcations difficiles à diriger.

L’Olt, devenu Lot depuis l’édit de 1539 imposant l’usage du français, gagne ses galons de voie commerciale avec l’arrivée des gabarres. Ces bateaux à fond plat d’une quinzaine de mètres, mieux pilotés, rendent les passages dans les passelits beaucoup moins hasardeux, malgré les 40 tonnes de marchandises qui peuvent y être chargées. Quand le débit le permet, pendant les périodes d’ « eau volante » de la Toussaint à la Saint-Jean, châtaignes, fromages d’Auvergne, tissus, vins, blé, charbon transitent par les flots. Une demi-journée peut suffire pour rallier Cajarc à Cahors.
Bois, céréales et surtout du vin
Une telle transversale ne pouvait échapper aux ambitions mercantiles de Colbert qui, outre le canal des Deux-Mers, dote le Lot de digues et d’écluses. Il contribue à en faire un axe économique majeur, du Gévaudan à l’Aquitaine dont la façade atlantique rayonne : on y descend du bois de construction et de chauffage, des merrains de chêne pour la tonnellerie, des châtaignes, des céréales à partir de Cahors, et surtout du vin, alors bien meilleur que celui… de Bordeaux ! Grâce au fleuve se développent les cultures « de rapport », sources d’argent en sus de l’autoconsommation : dans le Quercy, la vigne s’étend sur les coteaux, le Lot figurera au 19e siècle parmi les premiers départements viticoles français.
Aux denrées alimentaires s’ajoutent le charbon venu de Cransac et Aubin, le verre de Penchot, le plomb du figeacois, les cuivres de Najac et Laguépie, les phosphates amenés à Cajarc… Et de Bordeaux remontent du sel, des « épiceries » et des produits coloniaux, du blé « étranger », un peu de minerai de fer, ainsi qu’un étrange poisson séché, le stockfish.

Car s’il est aisé de descendre la rivière, parfois presque trop vite, remonter le courant exige d’autres efforts. Tirées par des bêtes ou à bras d’hommes, les gabarres cabotent d’une rive à l’autre, au gré de chemins de halage parfois creusés dans les falaises, tel celui de Ganil aux pieds de St-Cirq Lapopie.
Toute une économie s’égrène au fil du fleuve. Qu’ils restent à terre ou soient sur l’eau, les gens de rivière, les ribeirols, sont particulièrement concentrés dans les bourgs dédiés à la navigation : Entraygues, Bouillac, autour de Cahors, Villeneuve-sur-Lot, Aiguillon. À Douelle, à l’aval de Cahors, jusqu’à 300 habitants sont sur l’eau, les enfants apprennent le métier sur les gabarres. On ne compte plus les charpentiers pour construire ou radouber les bateaux. Les plus précaires sont les haleurs et les mariniers, parfois saisonniers, viennent ensuite les bateliers, pilotes des bateaux et négociants des marchandises. Les maîtres de bateaux, riches propriétaires des embarcations, dominent… sans jamais mettre un pied sur l’eau.
Réputés braillards et bagarreurs, les ribeirols se distinguent de la population paysanne, ils gagnent plutôt bien leur vie. Une piètre compensation au regard des risques : les naufrages sont nombreux, et si l’on estime à 5000 livres la perte de marchandises annuelle, on ne compte pas tous ceux qui disparaîtront dans les profondeurs du fleuve.
De cette vie intense témoignent encore les maisons d’éclusiers, des chapelles de mariniers, des cales de commerce…