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Billet de blog 3 novembre 2012

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Le Dodtour, ou l’alpinisme pour effacer les frontières

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Parti le 11 août 2011 de Courmayeur en Italie, Lionel Daudet a rejoint le sommet du Mont Blanc avant de suivre le contour “réel” de la France sur les crêtes des Pyrénées. Rencontre avec un alpiniste pas comme les autres entre Ariège et Catalogne.


Photos ©Pierre Périssé

par Philippe Serpault sur www.frituremag.info

Lionel Daudet, “Dod” pour les intimes, est de ces alpinistes qui vont plus haut que les sommets et a décidé d’ouvrir l’alpinisme contemporain à de nouveaux horizons. La première expérience du genre s’est déroulée sur les limites administratives du département des Hautes-Alpes, avec au menu, la Barre des Écrins. Dès lors, on ne peut plus l’arrêter et le projet de suivre les frontières géographiques de la France est en gestation : « Il y a deux définitions de la frontière, la barrière et le trait d’union, je préfère la seconde définition qui est beaucoup plus aérée et qui relie les pays, c’est la raison pour laquelle j’ai démarré du côté italien du Mont Blanc et je redescendrai du côté français au retour. » Le Dodtour, c’est le nom donné au périple par son auteur, n’a pas vocation de se retrancher sur la France : « Aller sur la frontière c’est un pas que l’on fait vers son voisin », et tout au long de l’aventure, Lionel Daudet s’est rarement retrouvé seul.

Après l’alpinisme, l’escalade et la randonnée sur les crêtes, le kayak sur les cours d’eau, le VTT aura été le moyen de déplacement principal le long du littoral atlantique, entrecoupé de quelques séances de voile pour rejoindre les îles bretonnes, ou de kayak pour traverser les abers, Hendaye est rejoint en pirogue à la fin du mois de février. Lionel Daudet pourra compter sur des compagnons de cordée tout au long de la traversée. Des porteurs, venant de partout, fournissent les bivouacs et le ravitaillement aux différents cols : « L’idée d’autonomie était absurde, le projet est convivial et collectif, cette chaîne de solidarité fait partie de l’esprit de la montagne et de l’aventure, ce sont des valeurs d’humanisme qui sortent de l’abstrait pour entrer dans le concret au travers d’un projet comme celui-ci ». Les choses sont claires, il ne s’agit pas de rechercher la performance mais de vivre une aventure. « Je suis arrivé dans les Pyrénées en tant que béotien, je ne connaissais pas ces montagnes, ce n’est pas le nom que je vais retenir de l’histoire, mais l’accompagnement ». Sur les crêtes comme au fond du gouffre de la Pierre Saint-Martin, sans oublier la séance kayak pour remonter le cours de la Garonne, les spécialistes de la discipline ont souhaité apporter leur pierre à ce monument de l’aventure. « L’orographie est différente au fur et à mesure que l’on s’avance vers l’Est, les montagnes s’imbriquent différemment, c’est assez touchant. Si frontière il doit y avoir, il s’agit à la fois de la ligne de partage des eaux et de la ligne climatique, on l’a beaucoup ressenti en voyant les nuages s’arrêter sur la ligne de crête », le fil de la crête sera suivi jusqu’à la Méditerranée.

 De cet exercice de funambule, Lionel Daudet s’est fait une philosophie : « On n’a jamais droit à l’erreur, c’est un peu une allégorie de la vie, tu marches sur le fil de crête et tu es en vie, tu fais un pas de côté et tu es mort. » Ce parcours initiatique constitue une vraie leçon d’humanité : « La vraie difficulté est de faire en sorte que le mental ne s’émousse pas, il faut garder cet allant et gérer l’attente quand on est bloqué en cas de mauvais temps », ç’aura été le cas sur trois point des Pyrénées, ainsi que sur la remontée des Alpes vers Chamonix où il fut brûlé par la foudre. Au commencement, surgit un désir : « La montagne m’a toujours apporté cette clarté qui fait que je sais pourquoi je vais en montagne ; mes projets sont complètement gratuits à la base, je fais ça parce que ça me rend heureux, il n’y a pas besoin d’explications. »

La seule explication, c’est ce désir d’itinérance et ce goût du détail, si les frontières de la France coïncident souvent avec les frontières naturelles, des anomalies subsistent : « On a décidé de faire le tour de l’enclave de Llivia », tout comme ce besoin d’aller pointer à l’extrême sud de la Corse, à la rame en raison du déficit de vent, et de contourner Monaco. Le retour au sommet du Mont Blanc, prévu début novembre, est retardé pour cause de mauvais temps. Une fois sur le toit de l’Europe, Lionel Daudet fera un saut dans le vide en parapente afin de rejoindre la terre ferme. À L’heure où des va-t-en-guerre s’inventent des combats ou se proclament philosophe, faute de pouvoir exister par eux-mêmes, Lionel Daudet aura réussi à transformer les frontières, vestiges de la vanité guerrière des gouvernants, en ouverture vers ceux que l’on dit différents, et nous donne une leçon de vie.

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