
Veolia Propreté a jeté son dévolu sur le port de Bassens, en aval de Bordeaux. Le port lui-même, dans un souci de diversification de ses activités, a ouvert ses bras à ce groupe tentaculaire qui en connaît déjà un rayon dans le domaine du démantèlement des plante-formes pétrolières. Fini l’épisode du Clémenceau et son amiante envoyé à la ferraille en Inde. Et si le service public se saisissait de ce secteur énorme...
- Extrait d’un long reportage à paraître dans le N°18 de Friture Mag, sortie mi-février.par Claudia Courtois sur www.frituremag.info
Quand on parle du démantèlement de bateaux, nombreux gardent encore en tête ces images du Clémenceau, le navire de guerre français réformé qui, en 2008, avait failli être démantelé au Bangladesh, sans aucune protection ni pour les ouvriers ni pour l’environnement. Il avait fallu la pression d’associations écologistes et de politiques pour que le porte-avions soit ramené en Europe pour y être démantelé dans un port anglais. Depuis, la Marine nationale a l’obligation de faire des appels d’offres européens. Le choix du site reste le fait de l’industriel. Et comme il n’existe pas de filière structurée en matière de déconstruction de navires, l’industriel s’installe où sa stratégie et les potentialités le mènent.
Et justement, un industriel, Veolia Propreté, a jeté son dévolu sur le port de Bassens, en aval de Bordeaux. Le port lui-même, dans un souci de diversification de ses activités, a ouvert ses bras à ce groupe tentaculaire qui en connaît déjà un rayon dans le domaine du démantèlement des plante-formes pétrolières. En 2008, le groupe achète Bartin recycling group, un spécialiste de la collecte et de la valorisation des déchets d’industrie, en particulier des métaux ferreux et non ferreux. Après des discussions avec la direction du port girondin, ils choisissent la capitale régionale d’Aquitaine.
Un site de prédilection
Déjà dans son rapport de 2010, Pierre Cardo, ex-député des Yvelines et rapporteur de la mission parlementaire sur le démantèlement des navires, avait pointé le potentiel du port de Bassens, avec celui de Brest. « On était tous d’accord pour dire que Bassens était un site de prédilection », se rappelle Pierre Cardo. Veolia Propreté ne s’y est pas trompé : elle a déjà démantelé 34 bateaux de pêche, deux dragues, le bac Royan-Le Verdon, un premier vraquier de 1500 t à La Rochelle en 2011.
Elle ne s’était jamais attaquée à plus gros. Ce qui fut fait avec le Matterhorm, 3300 tonnes, acheté aux Domaines en mai 2012, pour un euro symbolique car le navire avait été abandonné par son armateur qui ne voulait pas s’acquitter d’une amende suite à un dégazage sauvage au large d’Ouessan. Le chantier s’est étalé de juillet à mi-janvier 2013. Un chantier d’apprentissage selon Stéphane Rabot, ingénieur chez Bartin et chef de chantier sur le Matterhorn. Le coût total de l’opération – remorquage depuis Brest, location des installations de Bassens, désamiantage, dépollution, déconstruction, traitement et transports – s’élève à 750 000 euros. « Si on gagne 10 000 euros, ça sera bien », lâche le technicien qu’on doit croire sur parole.
« Nous voulons participer au développement de cette filière car nous considérons qu’un navire en fin de vie est aussi une ressource, une matière première secondaire à valoriser », veut convaincre Bernard Harambillet, directeur général de Veolia Propreté France.
L’Europe « coulée » à côté de l’Asie du Sud-est
Depuis 2005, l’association Robin des Bois étudie le marché de la démolition des navires grâce à la mobilisation et l’analyse d’une trentaine de sources bibliographiques. En 2006, elle avait comptabilisé 293 navires partis pour l’essentiel à la casse au Bangladesh (57%) et en Inde (26%). En 2010, c’est le triple. Le poids total de métaux recyclés est passé de 1,8 million de t en 2006 à plus de 6,4 millions de tonnes en 2010 et 8 millions en 2011. L’Inde reste numéro 1 (en volume et unités à démolir), suivi du Bangladesh en dépit de l’interdiction des échouages pour démolition pendant la moitié de l’année, du Pakistan et de la Turquie. Selon l’association de défense de l’environnement, les Etats-Unis, « en pleine valse hésitation, font démanteler localement les vieilles coques des flottes de réserve mais expédient l’essentiel des navires marchands en Asie ». L’Europe patine, à l’exception de la Belgique qui dispose d’un groupe industriel performant sur ce marché et du Danemark.. Au total, 90% de l’activité mondiale de la déconstruction se situe en Asie du Sud-Est. Il reste donc de la marge pour la filière française, à peine naissante.